"Vers l'automobile de demain et après-demain" est un article de Pierre Rousseau publié dans le Journal de Mickey n°672 d'avril 1965. Les illustrations ne sont pas signées.
« Au cours des essais de mise au point du moteur rotatif NSU-WANKEL, des ingénieurs s'étaient arrêtés pour déjeuner dans une trattoria italienne. Lorsqu'ils assortirent de l'auberge, un groupe d'enthousiastes, intrigués par le bruit qu'avait fait la voiture en entrant dans le village, demandèrent à voir le moteur. Le conducteur souleva le capot avant, puis le capot arrière, et prit un air navré : « Le moteur n'est plus là ! » s'écria-t-il en levant les bras au ciel. Sur quoi, il actionna le démarreur et partit en trombe. »
Quand je lus à Jean-Pierre cet article, paru récemment dans un quotidien, il me regarda d'un air si stupéfait que j'éclatai de rire.
« Il y avait pourtant bien un moteur », finit-il par dire.
« Parbleu ! On n'est pas encore parvenu à faire rouler une voiture sans moteur ! »
« Alors, où était-il caché ? »
« Eh bien, sous le coffre arrière, ce qui prouve qu'il ne tenait pas beaucoup de place. Mais ce n'était pas un moteur ordinaire, avec des pistons qui vont et qui viennent dans les cylindres : c'était un moteur rotatif, une invention qui prépare peut-être une révolution imminente dans l'industrie automobile. Du reste, cette voiture mystérieuse, conçue par l'ingénieur suisse Wankel et construite par la marque allemande NSU, on a pu la voir au dernier Salon, et n'importe qui a pu se rendre compte que son moteur était à peine plus gros que celui d'un scooter.
« Comment ce moteur fonctionne-t-il ? Représente-toi une boite plate et à peu près ronde — mettons de la taille d'une roue de scooter. C'est cette boîte qui remplace le cylindre. A l'intérieur tourne une pièce à peu près en forme de triangle, et c'est dans l'intervalle compris entre les côtés de ce triangle et les parois de la boîte que le mélange gazeux est aspiré, comprimé et enflammé. »
« Comme dans un moteur ordinaire, en somme ? »
« Oui, c'est un moteur à quatre temps, mais dans lequel le triangle qui sert de piston tourne au lieu d'aller et venir. Son gros avantage est donc de fournir directement du mouvement circulaire : plus besoin de bielles ni de vilebrequin ! »
« Chaque fois que j'ai regardé une locomotive à vapeur, j'en ai trouvé le mécanisme très compliqué, puisque le piston est animé d'un mouvement de va-et-vient qui doit être ensuite transformé en mouvement de rotation. »
« Il en est de même pour les moteurs de voiture, et tu comprends que bien des ingénieurs se soient évertués à inventer un moteur où le piston lui-même tournerait. C'est fait maintenant, et il n'y a plus qu'à attendre que cet engin se popularise. On nous promet, pour l'année prochaine, des NSU à moteur rotatif. »
« Ce sera une grande nouveauté. »
« La plus grande en automobile depuis cinquante ans. Car il faut bien constater que, à part le perfectionnement du moteur, de la carrosserie et des accessoires, la voiture actuelle n'est qu'une variante de celle d'autrefois : même moteur à explosion, même transmission par arbre et pont arrière, etc. Tout cela est comme figé. Or la mise en service du moteur rotatif nous annonce du nouveau. A part le moteur Wankel, plusieurs inventions encore sont sur le point de passer dans la pratique et, peut-être, dans dix ans, la voiture ne ressemblera-t-elle plus du tout à celles d'aujourd'hui. J'en veux pour preuve cette petite histoire :
« Il s'agit d'un gros avion de transport qui atterrit sur l'aéroport par un brouillard à « couper au couteau ». Un atterrissage de ce genre, sans aucune visibilité, est maintenant possible grâce à des systèmes de guidage électroniques tout nouveaux. L'avion se pose donc, les passagers sortent, descendent, et attendent le car qui doit les conduire à l'aérogare... mais le car ne vient pas... et pour cause : il s'est perdu dans le brouillard et n'a pu découvrir l'avion ! »
« Quoi ? s'écria Jean-Pierre. Un avion réussirait à se poser et un car serait incapable de trouver sa route ? »
« Eh ! oui. On vient de mettre au point des instruments qui guident le pilote en altitude et en direction, mais on n'en est pas encore là pour l'automobile ! Rectifions : disons plutôt que l'on n'en était pas encore là, car les Anglais viennent de monter, sur une Land-Rover, un dispositif qui lui permet de foncer dans les ténèbres les plus opaques. Ce dispositif est très simple... en principe. Il se compose d'abord d'un compas — d'une boussole, si tu veux, ou, plus exactement, d'un gyroscope semblable à celui des navires — qui marque la route suivie ; et d'un indicateur de vitesse grâce auquel, sachant la durée du parcours, on connaît la distance couverte. Un petit robot électronique combine ces deux données et, finalement, le conducteur peut suivre son chemin sur une carte routière où sa voiture est figurée par un index lumineux qui se déplace. L'appareil est, paraît-il, si précis que le chauffeur peut se guider uniquement sur la carte sans voir à l'extérieur. »
« Hum ! Il me semble que je ne m'y fierais pas trop : il pourrait m'arriver de zigzaguer sur la route. »
« C'est pourquoi un tel véhicule n'est pas encore prêt d'être vendu à la clientèle ! De ce point de vue, les techniciens de l'automobile attendent davantage de la part de la voiture à turbine, comme l'Étoile filante lancée par Renault il y a quelques années, et la Chrysler et la Rover qui figurèrent, l'année dernière, aux 24 Heures du Mans. Dans ces machines, les roues sont entraînées par une turbine, c'est-à-dire, si tu veux, une sorte de roue à ailettes, ces dernières étant poussées à grande vitesse par l'irruption de gaz brûlants. L'inconvénient de ce moteur est qu'il tourne très vite... et qu'il coûte cher. Aussi commence-t-on à s'intéresser à une autre nouveauté qui sera peut-être plus économique et qui s'appelle le moteur linéaire. Celui-là répond à la même préoccupation que la turbine, c'est-à-dire qu'il supprime le mécanisme compliqué qui transmet aux roues le mouvement de va-et-vient des pistons ; mais il y répond de façon beaucoup plus radicale, puisqu'il supprime non seulement les bielles et les vilebrequins, mais aussi les roues ! »
« Comment ? s'exclama notre ami. Mais sur quoi la voiture se déplace-t-elle ? »
« Prenons d'abord un exemple... celui de l'âne, que l'on fait avancer en lui tendant une carotte ! Et supposons, à la place de l'âne, une locomotive à laquelle on tend, en guise de carotte, un énorme aimant. Tu devines que la locomotive est attirée par l'aimant, et que si celui-ci recule, elle le suit, c'est-à-dire qu'elle avance. Eh bien, c'est peut-être une comparaison de ce genre qui donna à l'ingénieur anglais Laithwaite l'idée de son moteur linéaire, puisque le principe de ce moteur consiste à lancer, dans un rail, un courant électrique ; ce courant crée, dans la locomotive, un phénomène que les physiciens appellent induction qui engendre une certaine aimantation, et la machine court alors après son aimantation comme l'âne après sa carotte. Et voilà cette machine qui avance, sans vapeur et sans pantographe ! (1) Elle a néanmoins des roues, me diras-tu ? Mais non, car les ingénieurs anglais les suppriment pour les remplacer par des coussins d'air, comme l'on fait dans les hovercrafts ou, en français, les aéroglisseurs. »
« S'il n'y a plus de roues, il n'y a plus besoin de rails ? »
« Justement non, et le courant qui induit l'aimantation peut être communiqué au véhicule par un simple câble électrique enterré sous la voie. Et c'est là que prend naissance le projet d'automobile à moteur linéaire ; que l'on loge le câble sous la chaussée, et toutes les voitures qui suivront la route, pourvu qu'elles soient munies du moteur Laithwaite, seront entraînées automatiquement, sans essence, sans volant (puisqu'elles ne pourront faire autrement que suivre le câble), et même sans roues, si elles reposent, elles aussi, sur des coussins d'air ! Quel avenir merveilleux ! Car qui empêchera de construire, sur le même principe, des ascenseurs sans câbles, des escaliers roulants sans engrenages et des fusées sans tour de lancement ? »
« En attendant les pneus sans crevaison », ajouta piteusement, derrière nous, la voix de M. Jauneau qui, sur le point de partir pour un rendez-vous urgent, venait de s'apercevoir qu'un de ses pneus avait malencontreusement rendu l'âme...
Pierre ROUSSEAU.
(1) Le pantographe est le système de tiges articulées qui surmonte les locomotives électriques et qui leur sert à recueillir le courant.
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