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Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Le Blog de l'Amicale Des Amateurs de Nids À Poussière (A.D.A.N.A.P.) est un lieu de perdition dans lequel nous présentons revues, vieux papiers, journaux, ouvrages anciens ou récents, qui s'empilent un peu partout, avec un seul objectif : PARTAGER !

Publié le par Fabrice Mundzik
Publié dans : #Gus Bofa, #G. de Pawlowski, #Automobilia, #Automobile aux armée, #Guerre, #Humour, #Arnaque, #Embusqué, #Charles Humbert

"L'Artilleur du métro", de Gaston de Pawlowski, fut publié dans la revue bimensuelle illustrée Automobilia, l'automobile aux armée, n°10 de juillet 1917.

Les illustrations sont de Gus Bofa.

Je n'ai jamais compris l'éloge que l'on fait souvent de l'industrie hôtelière allemande. Rien n'est plus déplorable que les logements laissés derrière eux par les Boches lorsqu'ils battent en retraite, et la dernière de nos auberges est plus hospitalière que le plus beau château aménagé par nos ennemis.

Cette absence de confort ne date pas d'aujourd'hui, et je me souviens que, pendant l'avance de la Somme, il nous arriva d'organiser quelques déjeuners sur l'herbe aux environs de Péronne, dans les localités abandonnées par les Boches, et qui manquaient du confort le plus élémentaire. Je me hâte d'ajouter que le Club des Cent n'était point responsable de l'aventure, et que ces localités ne figuraient pas dans sa liste secrète des hôtels recommandés aux automobilistes.

Ce qu'il y avait de plus désagréable dans ces déjeuners sur l'herbe, c'était, comme toujours en été, l'abondance des mouches. Dès que l'on était à table, assis par terre, autour d'une boîte de singe, les mouches, attirées sans doute par l'odeur de la viande, commençaient à bourdonner dans le ciel.

On les voyait d'abord, tournoyant très haut, translucides, puis, bientôt, elles se rapprochaient du sol, et s'efforçaient, semble-t-il, de laisser tomber leurs œufs dans nos boîtes de singe.

Et comme ces œufs étaient explosibles, cela troublait bien souvent la tranquillité d'un repas sur l'herbe.

Il y avait aussi de gros bourdons, qui, stupidement, s'élançaient par moments du fond de l'horizon, et passaient en trombe à côté des dîneurs. Tous les automobilistes savent combien cela fait mal lorsque l'on reçoit un de ces gros bourdons dans l’œil, c'est assez vous dire que nos repas n'étaient pas des plus paisibles, et que l'industrie hôtelière boche ne nous a pas laissé d'excellents souvenirs.

Fort heureusement dans cette boucle de la Somme, qui, pour tous les sportsmen rappelait souvent la boucle de la Mort de nos anciens music-halls, se trouvait une joyeuse batterie d'autos-canons dont la bonne humeur eût déridé le plus neurasthénique des éleveurs de cafards d'un petit muséum de province. A vrai dire, cette batterie d'autos-canons n'avait pas la conscience très nette. Chargée de défendre une ville de l'intérieur, contre les incursions aériennes des Boches, elle avait manifesté une tendance trop évidente à démontrer aux habitants quelle ne manquait pas de culot. Pour calmer son zèle, on avait décidé de l'envoyer dans un endroit fort exposé de la boucle de la Somme, où la vie n'était bon marché que pour la Mort.

Toute autre batterie eût montré quelque mélancolie dans cet infernal séjour, mais cette batterie-là était indomptable, car elle avait un fétiche. Ce fétiche, du reste, n'était pas ordinaire, c'était un fétiche humain, que la batterie — luxe inouï — conservait soigneusement, à l'abri, à Paris.

Tous les jours, à chaque courrier, les hommes de la batterie s'interrogeaient anxieusement :

— T'a-t-y reçu des nouvelles d'Achille ?

Quand on n'avait pas reçu des nouvelles d'Achille, toute la batterie était triste, et la journée se traînait lamentablement.

Quand, au contraire, on recevait des nouvelles d'Achille, c'était une véritable explosion de joie dans toute la batterie. On se réunissait immédiatement dans de l'appendice quelque boyau abandonné, et on relisait, sans se lasser, la missive du fétiche, qu'accompagnait, généralement, un respectable mandat postal, à l'usage de toute la batterie.

Aux questions qu'on leur posait à ce sujet, les gars des autos-canons répondaient évasivement. On comprenait bien que leur fétiche était chargé, à Paris, d'exercer sur la population civile des représailles qui paraissaient assez fructueuses, mais il était assez difficile de comprendre à quel genre de chasse il se livrait. On savait bien, d'une façon générale, que la batterie, depuis son envoi en exil, avait quelque rancune contre les populations urbaines, mais comment pouvait-elle s'en venger ?

Comment le mystérieux Achille pouvait-il en exiger une indemnité de guerre ? Le secret était bien gardé par toute la batterie qui rigolait doucement en recevant les rapports de son fétiche, mais ne trahissait pas sa confiance.

Un jour, cependant, que la possibilité d'un enterrement en commun, dans une ancienne cagnia boche désaffectée, nous avait rapprochés plus étroitement que de coutume, les gars de la batterie d'autos-canons se décidèrent à me confier leur secret.

Cette confession, du reste, ne se fit que par bribes.

Lorsqu'on eut constaté que l'on avait oublié les outils de terrassement, qui pourraient nous dégager éventuellement si une marmite bouchait le trou à rats qui servait d'unique sortie à l'établissement, un gars des autos-canons émit, tristement, cette simple idée :

— Ça serait tout de même malheureux de se faire enterrer ici, avant de savoir si Achille a gagné son dernier procès !

Et, comme intrigué, je demandais quel était ce procès, le gars me répondit évasivement :

— Ben, bien sûr, le dernier procès qu'il a fait, comme d'habitude, à un type du Métro.

Et, petit à petit, la violence du bombardement aidant, la vérité me fut dévoilée tout entière.

C'était bien simple. Achille, le fétiche des autos-canons, avait eu la poitrine méchamment labourée par un éclat d'obus, au début de l'offensive de la Somme. De conseil de réforme en conseil de réforme, il avait été mis, provisoirement, en congé, et, rendu à la vie civile, il s'était avisé bientôt d'un commerce lucratif et de tout repos qui lui assurait de larges revenus.

Un hasard heureux lui avait fait découvrir, dès le premier jour, le vrai, l'unique filon dont il vivait depuis lors.

Au sortir de l'hôpital, habillé pour quelque temps en civil, il avait pris, tout simplement, le Métro, et, peu habitué aux héroïques compressions de ce moyen de transport parisien, il avait bousculé, sans y prendre garde, une noble dame qui se trouvait là. Aussitôt, vingt commères furieuses avaient pris fait et cause pour la noble dame, et avaient accablé le pauvre Achille sous les coups acérés des pointes de leur esprit et de leurs parapluies.

— Voyez-vous, Madame, si c'est pas honteux, à cet âge, d'être embusqué ! un jeune homme comme ça, si ça n'devrait pas être au front, au lieu de bousculer les Femmes de France qui font l'admiration du monde entier !

Et comme Achille, atterré, se taisait, un monsieur fort bien, orné d'une perle et d'une perruque, lança cette idée fâcheuse qu'en somme rien ne prouvait que ce jeune homme — qui n'était pas soldat — n'était pas un Boche !

Ce fut la goutte de trop !

Achille, qui était patient, se fâcha, et quand Achille se fâchait, il en résultait forcément une effroyable bagarre. La rame du Métro resta désespérément en panne à la prochaine station ; des hurlements atroces ébranlèrent la voûte de notre chemin de fer souterrain, les employés se mirent de la partie, les uns sifflant désespérément le spectacle, d'autres soufflant dans leur petite musique, pour adoucir les mœurs ; le chef de gare, extrait de son téléphone, dut requérir des agents et ce fut seulement en présence de l'autorité qu'Achille, triomphalement, renouvelant le geste de Phryné, fit le public juge de l'horrible blessure qui lui labourait la poitrine.

Ce fut dans la foule un revirement soudain. Le monsieur très bien, orné d'une perle et d'une perruque chancelante, fut traîné au poste, puis bientôt en correctionnelle, où le Tribunal, scandalisé par tant d'injustice, alloua à notre jeune héros trois mille francs de dommages-intérêts, pour avoir été traité injustement de Boche et d'embusqué.

Ce fut pour Achille une révélation : il avait trouvé sa voie. Il fit part de son succès à son ancienne batterie, dont il devint le fétiche, et quel fétiche ! Il est assez rare, en effet, qu'une idole donne de l'argent à ses adorateurs. Achille, au contraire, ne manquait pas de partager tous ses bénéfices judiciaires avec ses anciens camarades et sa batterie d'autos-canons, dédaignant les pneumatiques désuets, roulait maintenant sur l'or. Il faut vous dire, en effet, qu'encouragé par ce premier succès, Achille, depuis trois mois, consacrait ses journées entières à la chasse aux civils. Il était devenu : l'Artilleur du Métro, et son nouveau métier créant de nouveaux besoins, il s'était même fait confectionner un veston et une chemise à dégrafage très mobile, permettant, en quelques secondes, une exhibition complète de sa glorieuse blessure. Du matin au soir, Achille prenait le Métro, coudoyait ses voisins avec arrogance, cherchant de préférence le monsieur très bien, d'aspect fortuné, qui pourrait lui chercher querelle. En trois mois, il avait ainsi réuni une vingtaine de mille francs.

 

Malheureusement, depuis quelque temps, les affaires baissaient, et la batterie n'était pas sans inquiétude.

On signalait, en effet, dans la population parisienne, une fâcheuse tendance à l'indulgence. Fait plus grave, une vieille dame flairant sans doute un soldat réformé, avait offert dernièrement sa place au pauvre Achille, déconcerté.

Et puis, ne parlait-on pas d'imposer les bénéfices de guerre ? La batterie, sur ce point, n'était pas sans inquiétudes.

Mais qu'importait l'avenir ? La batterie avait été vengée, et bien vengée, et durant toute la Somme, elle demeura insensible aux obus de tout calibre, elle savait que l'on travaillait pour elle à l'arrière et Charles Humbert vous le dirait : pour un artilleur, tout est là.

G. de Pawlowski

Annonce de parution (octobre 1918) :

A lire aussi :

Le site officiel de Gus Bofa.

Gus Bofa, l’enchanteur désenchanté (Emmanuel Pollaud-Dulian – Éditions Cornélius), vu par Li-An

Gaston Paris - Les Maîtres du dessin chez eux : Gus Bofa (1932)

L'indispensable ouvrage d'Eric Dussert, "Une Forêt cachée : 156 portraits d'écrivains oubliés" (La Table Ronde – 2013), propose un portrait de G. de Pawlowski.

Théodore Botrel - L'Aigle et le Tigre in L'Ambulance (1918)

G. de Pawlowski - L'Artilleur du métro (1917), illustré par Gus Bofa

G. de Pawlowski - L'Artilleur du métro (1917), illustré par Gus Bofa

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