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Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Le Blog de l'Amicale Des Amateurs de Nids À Poussière (A.D.A.N.A.P.) est un lieu de perdition dans lequel nous présentons revues, vieux papiers, journaux, ouvrages anciens ou récents, qui s'empilent un peu partout, avec un seul objectif : PARTAGER !

Publié le par Fabrice Mundzik
Publié dans : #Humour, #Floréal, #Robert Lenoir, #Landru, #Jésus, #Dieu, #Guerre, #Anges, #Miracles, #Légion d'honneur

"La Nouvelle incarnation de N.S. Jésus-Christ", par Georges-Armand Masson fut publié dans Floréal de décembre 1922.

Les illustrations sont de Robert Lenoir.

Un texte à clef, sans aucun doute, dont le le nom le plus transparent est "Landruas" pour... Landru.

En l'an 1999, le 21 décembre, Dieu le père dit à son fils :

— Ce sera ce soir, à minuit, le vingtième centenaire de ta naissance. Il me semble qu'il serait expédient de marquer cet anniversaire par quelque prodige mémorable. Que dirais-tu, par exemple, d'un tremblement de terre ?

Jésus répondit :

— A quoi bon ?

— Tu as raison, reprit Dieu le père, cela ne serait pas suffisant. Mais, j'y pense, la date conviendrait parfaitement pour une seconde incarnation. Tu descendrais de nouveau sur la terre et tu sauverais les hommes une deuxième fois. Ils en ont grandement besoin, si j'en juge par mes églises qui sont désertes et par le trésor pontifical qui est à sec.

Jésus, bien que cette perspective ne lui sourit point, répondit que si telle était la volonté de son Père, il s'inclinerait devant elle.

— Eh bien, fit Dieu, prépare-toi, car l'occasion est excellente, et si nous la laissons passer, nous ne la retrouverons que dans mille ans.

Jésus choisit pour mère une jeune dactylographe de Vaugirard, qui venait de convoler en justes noces avec un employé de banque. Il naquit au cours de la nuit nuptiale. Cette fois, il ne se fit pas annoncer par des ange parce que ce n'était plus dans les mœurs du siècle, ni adorer par des bergers et des rois mages, parce qu'il n'y avait plus de rois sur la terre, toutes les nations du monde ayant été depuis longtemps soviétisées, ni de bergers, tous les moutons étant gardés à la mécanique. Il fit seulement, pour respecter la tradition, paraître dans le ciel une nouvelle étoile, qui toute la nuit, survola le XVe arrondissement. Mais les gens qui, au sortir du réveillon, aperçurent l'astre ambulant, crurent que c'était l'avion postal Paris-Strasbourg, et n'y prirent pas autrement garde. Et la naissance de Jésus passa inaperçue, sauf de son père putatif qui, dans l'endurcissement de son cœur, ne voulut pas entendre parler d'immaculée conception et introduisit, le lendemain même, une instance en divorce contre la nouvelle Sainte-Vierge, sa femme.

Jésus grandit. On le mit à l'école où il émerveilla ses maîtres par son intelligence. Il était le premier dé la classe et chaque samedi le professeur accrochait la croix sur le tablier noir de l'enfant. Il marchait sur ses dix ou onze ans quand, un soir, sa mère s'étonna de ne pas le voir rentrer, à quatre heures, comme d'habitude. Elle attendit une heure, pensant qu'il s'était attardé à jouer avec des petits camarade. Puis, ne le voyant pas venir, elle se rendit à l'école. Peut-être, se dit-elle, a-t-il été mis en retenue. Cela ne laissait pas de l'étonner, car il était si sage et studieux qu'il n'avait jamais été puni. Le maître ne put lui dire où était allé son enfant ; mais, s'informant auprès des passants, des boutiquiers, des sergents de ville, elle apprit qu'on avait vu son fils du côté de la rue Saint-Jacques. De Renseignements en renseignements, elle finit par le retrouver au Collège de France, où, devant un auditoire de professeur illustres, de licenciés et de docteurs qui demeuraient bouche bée en présence d'un pareil enfant prodige, Jésus faisait un cours d'exégèse.

Cela fit du bruit dans la presse. Jésus eut son portrait dans tous les journaux, passa sur l'écran de tous les cinémas. Du monde entier, les directeurs de music-halls lui offrirent des ponts d'or pour qu'il acceptât de donner un numéro sur leur scène. Les grands quotidiens lui demandèrent des article. Mme Goménol le fit prier de faire une conférence à l'un de ses samedis littéraires. Mais il déclina toute ces avances.

Quand il eut atteint sa majorité, il passa le conseil de révision et fut déclaré « bon comme la romaine », selon l'expression du major. L'année suivante, la république soviétique française, qui était alors sous la dictature de Rappoport IV, déclarait la guerre à la république soviétique de Monaco. Tous les hommes en âge de porter les armes furent appelés. Or il est dit : « tu ne tueras point. » Jésus et sa mère décidèrent donc de partir et s'enfuirent à Bruxelles. Loin de l'inquiéter, les douaniers, qui étaient contre la guerre, le laissèrent passer en lui donnant des cigarettes. Sa fuite en Belgique ayant été connue, fut applaudie chaleureusement de toute la jeunesse soviétique, qui l'imita et passa la frontière en masse, si bien que l'on dut signer la paix avec les monégasques avant même d'avoir commencé les hostilités. Après quoi, tous les jeunes gens rentrèrent en France et Jésus fut porté en triomphe.

Quelque temps après, Jésus fut invité aux noces d'un de ses cousins. Cet homme, qui n'était pas des plus riches, avait une parenté fort nombreuse, et quand on fut au point de préparer la table pour les convives, la mère de Jésus qui aidait ses parents à cette besogne, dit tout bas à son fils : « Je crois bien qu'il n'y aura pas assez de vin. Comment faire ? » Jésus dit : « Ne t'en fais pas. » Et s'étant fait apporter des bouteilles de vin que l'on avait montées, ainsi qu'un certain nombre de bouteilles vides et une cruche d'eau, il baptisa le vin, ou plus exactement il baptisa vin l'eau rougie. Et ce fut le premier miracle de Jésus. Or, un des invités, qui était bistro de sa profession, s'aperçut du prodige en portant son verre à ses lèvres, et le lendemain il fit passer un écho dans le « Moniteur corporatif des limonadiers-restaurateurs », sous ce titre : « Jésus est un des nôtres. » A partir de ce jour-là, Jésus eut pour lui les marchands de vin.

Un jour, se trouvant traverser les Halles, avec ses disciples, il remarqua que les prix des denrées étaient supérieurs aux barèmes préfectoraux. Il ramassa quelques cordes, se fit un fouet, et se mit à en flageller les marchands. Les acheteurs l'acclamèrent et l'aidèrent dans cette chasse aux mercantis. Après quoi, ils pillèrent les étalages et rentrèrent chez eux, rendant grâce à Jésus, qui avait trouvé le meilleur moyen de lutter contre la vie chère. Les ligues de consommateurs lui votèrent des adresses de félicitations.

Le soir même, Jésus se rendit à la Bourse et voulut en chasser les agents de change et les coulissiers comme il avait fait des bouchers et des poissonnières. Mais les agents intervinrent et l'emmenèrent à l'infirmerie du Dépôt.

« Fou mystique. Inoffensif, mais à surveiller » conclut l'examen médical. Et, le soir même, il était dirigé sur Charenton.

Jésus, que ses disciples étaient venus voir, leur dit : « En vérité, je vous le dis, voici mon heure qui commence, et je vais avoir à souffrir, et je serai mis à mort, et je ressusciterai le troisième jour. »

Mais son équipée avait redoublé sa popularité ; des meetings s'organisèrent, des cortèges se formèrent dans les rues, réclamant sa mise en liberté. Un siège de député était vacant dans le XVe arrondissement. On vota en masse pour lui, et il fut élu sans avoir posé sa candidature.

Un soir, cent mille parisiens manifestèrent sous les fenêtres du dictateur. Celui-ci parut à son balcon, et pour satisfaire la foule, lui donna à choisir entre la libération de Jésus et celle d'un prisonnier nommé Landruas, qui avait brûlé dix femmes par petits morceaux sur un réchaud à alcool, et que la presse avait rendu fort populaire. Il pensait en lui-même que les manifestants choisiraient Landruas. Mais la foule se mit à chanter, sur un air connu : « C'est Jésus-Christ qu'il nous fau-au-au-au-aut ! » Le dictateur, qui était un homme prudent et politique, donna séance tenante un coup de téléphone au directeur de l'asile de Charenton. Jésus, appelé dans le bureau directorial, baissa la tête et dit : « Mon heure est venue. Je suis prêt à mourir. » Mais le directeur se toucha légèrement le front de l'index, en murmurant : « Manie de la persécution ». Puis, tout haut : « Vous vous trompez, mon ami ; je vous fais venir pour vous dire que vous êtes libre ». Et Jésus sortit, fort étonné. Cependant, le directeur expliquait à ses gardiens : « Ordre du Gouvernement. S'il fait du scandale, ma foi, tant pis, je m'en lave les mains. »

La réputation de Jésus grandissait de jour en jour. Tout le monde l'aimait. Une foule enthousiaste venait assister régulièrement à ses conférences, qu'il donnait à la Salle des Sociétés Savantes. Dans ce qu'il disait, chacun de ses auditeurs prenait ce qui lui plaisait, négligeant le reste ; et tout le monde était content. Il affirmait : « Quiconque a déjà, on lui donnera encore, et il sera dans l'abondance ; mais pour celui qui n'a point, on lui ôtera même ce qu'il a. » Et les marchands, les gens de finances, les prêteurs sur gages, entendant ces réconfortantes paroles, lui pardonnèrent l'affaire des vendeurs chassés des Halles. Il ajoutait : « En vérité, il est moins difficile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de mon père ». Et à leur tour les pauvres applaudissaient. Il disait encore : « Si votre main ou votre pied vous cause un objet de scandale, coupez-les ». Ce qui réjouissait les orthopédistes. Et il leur contait aussi la parabole des ouvriers de la septième heure qui venaient travailler une heure avant la sortie des ateliers et touchaient la même paie que ceux qui avaient travaillé huit heures pleines. Cela, c'était le triomphe. Les militants syndicalistes l'acclamaient et criaient : « Bravo ! c'est un frère ! Vive la journée d'une demi-heure ! » Et il ajoutait : Les premiers seront les derniers ! » Ce qui mettait le comble à leur joie. Quant aux femmes, elles étaient tout simplement, folles de lui, à cause de ses yeux profonds et doux, de sa barbe soyeuse et de sa longue chevelure blonde. D'ailleurs, il avait un faible pour la femme adultère, de sorte que toutes les Marie-Madeleine du boulevard et du Quartier latin le chérissaient. Seul, dans tout Paris, un faux prophète du nom de Raymond Duncan, ne pouvait le souffrir, parce qu'il portait comme lui un manteau de laine blanche et qu'il lui faisait de la concurrence.

Or Jésus se disait à part lui : « Si cela continue ainsi, jamais je n'accomplirai ce qui est écrit, jamais je ne serai crucifié ». Alors il composa un roman incendiaire dans lequel il avait accumulé les plus violentes diatribes contre les mœurs du temps et la politique gouvernementale. L'ouvrage fit la fortune de l'éditeur et Jésus se vit décerner le prix Goncourt. Un jour qu'il professait au milieu de ses disciples, l'un d'eux, Pierre, fils de Benoît, s'approcha de lui d'un air mystérieux et lui dit : « Maître, le Ministre de l'Instruction publique veut vous parler. »

Jésus se leva et dit : « En vérité, je vous le dis, mon heure est proche. »

Le ministre entra et dit à Jésus : « Vous avez écrit un livre terrible, d'une audace et d'une violence peu communes. Vous avez chassé les marchands des Halles. Vous avez refusé de faire la guerre et proclamé que ceux qui prendront l'épée périront par l'épée. Vous avez encouragé la désertion, la paresse et l'anarchie. Cela ne mérite-t-il pas la croix ? »

Et Jésus, courbant la tête et croisant les bras sur sa poitrine, lui répondit, d'une voix résignée :

— Vous l'avez dit.

Alors le ministre épingla sur sa tunique la croix de la Légion d'honneur.

Et Jésus fut très étonné.

Le lendemain, Jésus avait disparu.

Il était remonté s'asseoir à la droite de son père. Celui-ci, en l'apercevant, lui dit :

— Eh quoi ! tu n'est pas mort ? Je t'avais ordonné de descendre sur terre, afin de sauver les hommes par ton sacrifice.

Mais Jésus répondit :

— Il n'y a rien à faire avec ces gens-là. Ils ne croient à rien, et croient n'importe quoi. Tout ce que je leur ai dit était parole d’Évangile. Ils ne sont pas intéressants.

Et c'est alors que Dieu le père commença les préparatifs du Jugement dernier.

Georges-Armand MASSON

Georges-Armand Masson - La Nouvelle incarnation de N.S. Jésus-Christ in Floréal de décembre 1922.

Georges-Armand Masson - La Nouvelle incarnation de N.S. Jésus-Christ in Floréal de décembre 1922.

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