"Le remède magique" d'Henry de Forge fut publié dans Floréal de août 1922.
Les illustrations sont de Paul Ferjac.
Les savants, enfin les vrais savants commencent à retenir l'attention publique, un peu plus que trop de cabotins de l'art, auxquels seule la grand presse semble s'intéresser.
Il y a même — ô prodige ! — des âmes généreuses qui font des dons en argent pour favoriser les recherches scientifiques des inconnus et des méconnus qui sont légion...
Un institut de « Science appliquée » vient même d'être organisé tout exprès, qui, pour sa première année, a retenu, pour les creuser davantage, 203 idées sur 51.217 qu'on présenta.
Et je me demande si, parmi ces 203 noms, on trouve le nom de Durin...
Ce Durin est un souvenir de la guerre.
Lorsqu'on avait, au rapport, par ordre du ministre, demandé aux compagnies s'il n'y avait pas, parmi les hommes présents, des chimistes de profession, dans les classes anciennes afin d'être appelés à des usines de l'arrière, tout le monde avait regardé Durin.
— Je pense que tu l'as, le filon, camarade, d'être justement de la confrérie !
Mais Durin hocha la tête et se récusa. Il voulait faire jusqu'au bout sa besogne de soldat.
— Tu es porté chimiste, pourtant, sur ton livret.
— Oui, dit-il, c'est resté inscrit, parce qu'à vingt ans quand je suis parti soldat, j'étudiais la chimie. J'en ai fait beaucoup, en effet, depuis mais mon champ d'expérience à moi n'est pas de ceux qui peuvent être utilisés à la guerre, et je préfère rester où je suis.
Ce Durin était un garçon singulier, d'un caractère qui déroutait, avec beaucoup de douceur dans les yeux, sur un visage d'ascète. Il supportait la guerre en résigné, mais aussi en silencieux aimant peu à parler, ayant horreur, surtout, qu'on parlât de lui.
Un soir pourtant, comme nous nous trouvions de garde ensemble, à la tranchée, par une nuit particulièrement calme, et qui était radieuse d'étoiles, cet homme, sur mon insistance, s'épancha un peu.
— Alors, mon vieux, ai-je demandé, ta chimie, en quoi consiste-t-elle ?
Durin eut un geste lourd, comme de désenchantement.
— Toute ma vie, répondit-il, j'ai fait porter mes recherches, mes expériences sur un seul corps, sur un seul élément chimique, mais qui me semblait merveilleux par ses propriétés formidables, insoupçonnées, qui sont presque de la magie. J'y ai senti vibrer, latents, indiscutables, des secrets qui, une fois mis au point, peuvent bouleverser la médecine.
« Ne crois pas que je déraisonne. Une pareille découverte vaut que l'on se penche vers elle toute une vie, pour tâcher d'arracher le miracle à cet élément inouï. En le cristallisant, en l'épurant, en tirant de lui son essence, j'ai compris qu'on pouvait obtenir un sérum unique, incomparable, un sérum de vie pouvant arriver jusqu'à faire reprendre les battements du cœur, lorsque le cœur n'a plus la force de battre. Un horizon immense s'ouvrait donc à la science.
— C'est cela que j'étudiais passionnément, quand la guerre est venue arrêter mes recherches.
— Quel est donc ce corps extraordinaire, dont tu parles ? Quelque dérivé du radium ? Quelque matière précieuse transformée ?
— Non... La matière la plus commune qui soit, la plus simple, celle à laquelle on n'avait point pensé pourtant, celle que chacun peut donner, qui se trouve en chaque être humain.
— Le sang ?
— Non... Les larmes...
« Toi aussi, tu es surpris, je vois... Je n'ai guère rencontré que des incrédules et personne n'a voulu m'aider.
« Difficiles, du reste, sont les expériences. Il semble que cette puissance d'énergie n'existe que dans les larmes vraiment pleurées et non pas dans celles qu'amèneraient des moyens factices (1).
« Peut-être y a-t-il alors un fluide spécial, mystérieux, capable de propriétés magiques.
« Mais ces larmes-là ne sont pas faciles à se procurer. Il y a une pudeur, n'est-ce pas, à les demander ?
« J'ai pourtant vu, de mes yeux, ce miracle : un enfant sauvé, certainement sauvé, par une injection de larmes, de larmes de sa mère qui pleurait à son chevet. J'avais pu tenter ce prodige. Le cœur a rebattu tout de suite.
« Des médecins, parfois, m'ont encouragé pour voir ; mais ils demeuraient sceptiques.
« D'autres se sont moqués... Un industriel, un jour, m'a proposé une affaire : lancer la « larmine » ou la « lacrymine », à grand tapage. Mais il m'aurait fallu mentir, bluffer, et ma découverte doit, n'est-ce pas, rester sincère, rester fière...
La difficulté est trop grande pour se procurer de vraies larmes, malgré qu'il y en ait tant de par le monde.
« Hélas ! conclut Durin. mon rêve est bien fini, Maintenant !
— Pourquoi « fini » Quel champ expérience au contraire, après la guerre ? Tu pourras plus que jamais reprendre tes recherches. Ce ne sera pas la matière qui te manquera.
— Je ne sais... Peut-être, en effet, pourrais-je trouver assez de larmes pour des expériences décisives. Quel triomphe, alors !
« Peut-être, au contraire, y aura-t-il tant de douleur, de douleur sacrée, que demander des larmes à ceux qui pleureront sera comme un sacrilège et que je devrai y renoncer ! »
Durin redevint silencieux, attentif à sa garde, car des coups de fusil. commençaient à crépiter dans la nuit, les Boches préparaient peut-être un coup de main.
Notre sergent, venu vers nous, avait entendu les dernières paroles de cet étrange chimiste. Il me dit tout bas :
« C'est un doux toqué... Il ne faut pas faire attention à ses propos. »
A ce moment, un obus siffla, à l'adresse de nos tranchées et vint éclater pas loin, assez près pour nous empester d'un nuage fort désagréable, qui nous obligea à mettre nos masques.
O ironie de la Providence, c'était du gaz lacrymogène !
Et ce pauvre Durin pleura, pleura...
Henry de Forge.
"Passionnons-nous davantage pour les vraies merveilles" (1923)
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