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Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Le Blog de l'Amicale Des Amateurs de Nids À Poussière (A.D.A.N.A.P.) est un lieu de perdition dans lequel nous présentons revues, vieux papiers, journaux, ouvrages anciens ou récents, qui s'empilent un peu partout, avec un seul objectif : PARTAGER !

Publié le par Fabrice Mundzik
Publié dans : #Floréal, #Aventuriers, #Résurrection, #Exploration, #Afrique, #Fakirs, #Catalepsie, #Pierre de la Batut, #LittPop, #Marcel Montagnier

Essentiellement connu pour "L'Homme aux trois peaux" (1919) écrit avec André Birabeau, "La jeune fille en proie aux monstres" (1921) et "La ville sans amour" (1929), on en oublie que Pierre de la Batut a aussi écrit des Nouvelles.

"D'Autres hommes qui sont au monde", nouvelle inédite publiée dans Floréal n°29 du 21 août 1920 met en scène les Mafsitis, capables de "simuler la mort naturelle et demeurer longtemps en état de catalepsie", avant de revenir à la vie en un clin d'oeil !

Pas de nom pour les illustrations, mais une signature est visible néanmoins :

Si quelqu'un la reconnait...?

Réponse de arzam sur le forum LittPop : "Je pense qu'il s'agit de Marcel Montagnier (mort en 1942) voir ici". Effectivement, la signature correspond !

Simultanément, réponse du grand Maître archéobibliographe Guy Costes qui indique : "il s'agit de Marcel Montagnier (1899-1942) qui avait la manie de signer aussi m m".

Un grand merci à tous les deux.

Il n'y a qu'un an, c'était ici, sans doute, comme aujourd'hui, le premier éveil du printemps, la brise plus tiède qui caressait le feuillage des marronniers. Et, la-bas, où je me trouvais, c'était l'étouffante humidité de la saison des pluies qui faisait s'épanouir, pour si peu de temps, les buissons et les plantes de la brousse tropicale. Je me revois, là-bas, dans l'Afrique australe, aux contins du désert de Kalahari, regardant avec épouvante ces deux cadavres étendus sur la terre molle et dont l'un était si peu humain…

En compagnie de l'aide-major Boissol, j'avais été chargé d'une mission d'études ethnographiques et topographiques dans le Bechouanaland. Le pays, Peuplé pourtant de nègres pacifiques, se trouvait alors en pleine effervescence guerrière par suite des incursions répétées de nomades, étrangers et barbares, qui massacraient les habitants, pillaient et brûlaient les villages. Ils venaient, on ne savait d'où, du désertpeut-être, certainement de territoires éloignés, car on ne se souvenait pas, dans la contrée, d'avoir jamais souffert auparavant de leurs exactions. Les indigènes ne parlaient d'eux qu'avec terreur et les appelaient les Mafsitis (démons).

Si terribles qu'ils fussent, ils ne semblèrent pas, tout d'abord, se soucier d'entrer en conflit avec nous. De notre côté, nous n'avions nul motif de les craindre. Nous étions, mon camarade et moi, huit Arabes et soixante porteurs nègres, assez nombreux et bien armés pour tenir tête, si besoin était, à plusieurs centaines de ces pillards. Leurs sagaies et leurs flèches empoisonnées ne nous effrayaient pas.

Un soir, on nous signala la présence des Mafsitis dans un bois dont nous venions d'atteindre la lisière. Contrairement à leur habitude, ils n'avaient pas fui à notre approche. Je fis tripler la garde de notre campement, pensant qu'ils en voulaient à nos provisions et qu'ils profiteraient de l'obscurité pour nous assaillir. Il n'en fut rien et la nuit se passa sans incident.

A l’aube, nous décidâmes de prendre les devants. Outre qu'il s'agissait là d'une opération de police dont les sédentaires du pays nous sauraient le plus grand gré, Boissol désirait faire connaissance avec une race dont on nous rapportait des traits de mœurs surprenants.

Nous vîmes, à l'attaque, que leur bravoure n'égalait pas leur cruauté. Ils se défendaient assez mollement.

Il n'est guère de noirs, d'ailleurs, qui se montrent courageux en face des fusils modernes. Ils se résignèrent assez vite à une retraite précipitée. Nous supposions en avoir tué une vingtaine mais, en avançant, nous vîmes que le nombre de corps étendus sur le sol était beaucoup plus élevé, tellement considérable qu'une même pensée nous vint à Boissel et à moi :

— Ces gens-là font les morts.

Nous approchâmes avec précaution, mais les cadavres avaient déjà la rigidité de la mort ; couchés, les membres étendus, ils ressemblaient à de grandes fourmis sombres dans la brousse verte. Nous les examinâmes l'un après l'autre avec grand soin. Beaucoup n'avaient aucune trace de blessure, ce qui augmenta notre surprise.

— Je n'y comprends rien, dit Boissol. A moins qu'ils ne soient morts de peur…

— C'est bien possible, dis-je. Regardez cette race dégénérée. Est-il rien de plus laid que ces têtes trop grosses pour ces frêles torses d'enfants, ces bras et ces jambes maigres démesurément longs ?

Malgré notre désir de faire disparaître promptement ces affreux spécimens d'une humanité primitive, nous dûmes attendre pour faire creuser leur fosse. Nos hommes, fiers de leur victoire, ne se souciaient pas d'entreprendre de suite une corvée de fossoyeurs. De plus, la pluie qui ne devait pas cesser de la journée ni de la nuit, recommençait à tomber à torrents.

J'eus un accès de fièvre dans la soirée, mais qui ne dura pas. Je m'éveillai toutefois assez tard le lendemain. En sortant de la tente, je vis qu'un événement extraordinaire avait dû se produire. Nos hommes s'étaient attroupés et discouraient avec animation. Je sus bientôt la cause de cet émoi : la moitié des cadavres des Mafsitis avaient disparu.

Cela ne pouvait être le fait de bêtes fauves car aucune empreinte animale ne fut relevée sur la terre humide. Nous vîmes bien des pas, mais des pas humains… des pas de nègres qui, tous, s'éloignaient vers la forêt…

— A moins que ces cadavres n'aient ressuscité, dis-je à Boissol, je ne vois qu'une explication : les vaincus sont venus chercher leurs morts.

Cette deuxième hypothèse était fort peu vraisemblable. Elle était contredite par la direction et le nombre des empreintes. Et les Mafsitis, étant donnée la lâcheté dont ils avaient fait preuve, ne devaient pas s'être risqués de nouveau à portée de nos munitions. Mais nous l'acceptâmes pourtant, car la première, n'est-ce pas, était bien plus effarante ?

Nul ne trouvait mieux d'ailleurs. Les indigènes, que j'interrogeais, me répondaient en haussant les épaules :

— Il a beaucoup plu cette nuit.

Et ils ne voulaient rien ajouter d'autre.

Nous fîmes une battue en suivant les empreintes. Nous marchions lentement, l’œil aux aguets, car une embuscade pouvait être à craindre, derrière un de nos nègres qui relevait la piste. Tout à coup, il s'arrêta. Nous étions parvenus au bord d'une large mare et je crus qu'il s'agissait d'un caïman, ou de quelque bête venue à l'abreuvoir. Mais non, un Mafsitis était couché sur le ventre, près d'un buisson. Nous le retournâmes. Il semblait mort. Notre pisteur, pourtant, prétendait l'avoir vu remuer, il n'y avait qu'un instant.

Boissol, après un examen attentif, ne put que constater le trépas. Il voulut faire porter le cadavre au camp, mais les indigènes s'y refusèrent obstinément avec une grande répulsion. Il est vrai que le corps était affreux, les bras et les jambes recroquevillées d'une façon singulière. Un de nos nègres le poussa du pied dans l'eau. Bon ! Les caïmans s'en chargeront.

La chute fit rejaillir l'eau. La mare n'avait pas repris son calme que, nous vîmes un bouillonnement. Le corps remontait à la surface… et à grandes brassées s'efforçait de regagner l'autre rive. Nous le regardions, abasourdis…

Soudain, un cri d'horreur s'éleva parmi nous. Un caïman venait de saisir le malheureux et le coupait en deux. La victime hurlait. Cela s'était fait si rapidement qu'il était déjà trop tard pour intervenir. Un congénère vint achever l'horrible opération.

Boissol, le premier, retrouva l'usage de la parole.

— C'est incompréhensible, murmura-t-il, cette résurrection brusque. Je sais bien que certains fakirs de l'Inde peuvent simuler la mort naturelle et demeurer longtemps en état de catalepsie. Mais il ne s'agit que de rares sujets pour lesquels une longue initiation est nécessaire. Tandis que ce nègre est revenu à la vie, sous nos yeux, avec une telle rapidité ! Il y a là un mystère que je désire éclaircir.

— Bah ! dis-je en riant, pour secouer la sorte d'angoisse qui nous étreignait tous, tu te seras trompé et ce démon n'était qu'évanoui.

Nous revînmes, cependant, au camp. Boissol, de plus en plus intrigué désirait pratiquer de suite l'autopsie d'un de nos tués de la veille. Quand nous arrivâmes, leur inhumation n'était pas terminée et nous pûmes, à cette occasion, constater que seuls avaient disparu les cadavres ne portant pas trace de blessures.

Celui que Boissol choisit portait un trou à la tête. Nous l'étendîmes sous la tente, sur une caisse qui faisait aussi office de table. Avec les instruments de chirurgie qu'il avait à sa disposition, il commença la funèbre besogne. Cela fut très long et n'était pas achevé à la nuit tombée.

J'allumai une lampe à acétylène puis, ne pouvant être d'aucune utilité, je m'assis sur mon lit de camp. De temps à autre, il me faisait part de ses remarques :

— Drôle de constitution ! La peau est grise, poreuse, semble-t-il… La chair est molle, avec la consistance du caoutchouc… Les os sont spongieux et se détachent avec la plus grande facilité… Le cœur est très petit, embryonnaire presque, ce qui dénote peut-être une circulation très lente pouvant expliquer ces phénomènes de vie ralentie…

Je le regarde de loin. La vue d'une autopsie, comme celle d'une dissection, a toujours produit en moi un certain écœurement. Pour un peu, je m'assoupirais… Tiens ! Un bruit singulier ! Boissol s'arrêta, le doigt levé. Assourdi par le crépitement de la pluie sur la toile de la tente, nous avons cru percevoir un sifflement, puis un autre… Ah ! un coup de feu…

Les Mafsitis, profitant de l'ombre et du mauvais temps, ont voulu nous attaquer par surprise. Mais nos veilleurs faisaient bonne garde, et l'alerte a été donnée… Nos hommes sont debout, prêts à riposter et eux, voyant leur coup manqué, se retirent déjà. Nous n'avons plus qu'à reposer nos carabines.

Comme nous rentrons sous la tente, après avoir ordonné quelques nouvelles mesures de précaution, on nous amène un prisonnier. C'est bien un Mafsitis, le frère de celui qui gît, dépecé sur la table…

Le vivant a vu le mort. Peut-être l'a-t-il reconnu pour un des siens. Son visage reflète une épouvante indicible. Croit-il que nous allons lui faire subir un traitement semblable ? Hé ! hé ! Boissol en a grande envie. Il le regarde avec un intérêt scientifique assez inquiétant. Tout à coup les lèvres du nègre se serrent, il retient sa respiration… Ses jambes flageolent et voici qu'il s'écroule à nos pieds, raidi à son tour comme un cadavre.

Mon camarade l'a fait étendre sur la table débarrassée :

— Mon cher, me dit-il, quand nous sommes seuls, nous venons d'assister d'une façon certaine, cette fois, à un phénomène très curieux d'autocatalepsie si je puis dire. Cet indigène vient de se donner les apparences du trépas. Devant le péril, il a fait le mort. Certaines espèces d'insectes font ainsi, mais jamais avec autant de perfection. C'est du beau travail. Aucune pulsation. Le cœur est arrêté. Un miroir placé sous les narines ne décèle aucune trace d'haleine. Les muscles sont rigides. La peau, tendue, est sonore sous le doigt comme un tambour.

Autant que j'ai pu l'observer, c'est en retenant son souffle qu'il s'est mis dans cet état. Je voudrais surtout connaître le mécanisme du retour à la vie. Ah ! je suis heureux d'avoir ce spécimen en ma possession. Il faudra qu'il nous dise son secret.

Je me suis assis de nouveau sur mon lit et je le considère maintenant avec une douce hilarité. Depuis un instant, j'ai une envie nerveuse de plaisanter. L'aide-major et son nègre me paraissent absolument comiques. Est-ce la fièvre qui me reprend, ou la détente succédant aux émotions de la journée ?

— En tout cas, fais-je observer, quelle commodité pour eux et plus encore pour leurs chefs ! Ce sont des guerriers perfectionnés. Leur tâche faite, on les endort. Pas besoin de nourriture et nulle crainte de sédition. On les range dans un coin. Quand on a besoin d'eux, on les réveille et on a des soldats tout frais.

— Je voudrais savoir combien de temps ils sont capables de rester dans cet état de vie ralentie. Certains animaux à sang froid, les crapauds en particulier, peuvent se réveiller après des années… Sais-tu encore à quoi il me fait penser, ce mort vivant ? A l'anastatique, appelée vulgairement rose de Jéricho, dont les rameaux charnus deviennent, au temps de la sécheresse, durs comme du bois sec. Mais, dès qu'ils entrent en contact avec un terrain humide, l'eau pénètre leurs tissus, les gonfle et leur rend leur aspect primitif.

Décidément, Boissol qui compare cet affreux moricaud à une rose, déraisonne complètement. Passe encore pour le crapaud.

Il continue avec une gravité qui me paraît de plus en plus drôle :

— Le rapprochement s'impose d'autant mieux que le pseudo-cadavre d'hier est ressuscité après une nuit de grande pluie et le malheureux de cet après-midi s'est réveillé dans la mare. Il se peut donc que ces individus passent la saison sèche dans quelque abri et ne vivent que durant la saison humide.

Je ne lui réponds pas parce que je me sens comme engourdi, et l'effort qu'il faudrait faire pour parler me paraît devoir être trop considérable.

Maintenant, il prend de l'eau dans un seau et en asperge le noir, tout en me tournant le dos. Puis il lui passe avec un linge mouillé sur tout le corps comme s'il le débarbouillait, consciencieusement. Allons ! je vais tout de même le plaisanter sur ses nouvelles fonctions de nourrice sèche pour moricaud…

Mais, est-ce le jeu de l'ombre, il me semble voir un bras noir remuer. Tiens ! Voici que les paupières se soulèvent, laissant percevoir le globe blanc des yeux. Boissol se retourne vers moi pour me faire admirer sans doute le résultat de son traitement. Est-ce que je rêve, voici qu'il se renverse en arrière et pousse un cri étouffé. Deux mains se sont nouées autour de son cou. Le nègre, dressé sur son séant, est en train d'étrangler mon camarade.

J'avais gardé ma carabine près de moi depuis l'attaque. J'envoie du plomb dans la vilaine tête crépue. Ah ! ah ! il ne se réveillera plus… Mais ses mains raidies ne lâchent pas… Je suis sans force ce soir. J'appelle au secours ! Voici des porteurs, deux Arabes vigoureux. La tente est pleine de gens qui viennent à mon aide.

Nous avons eu toutes les peines du monde à retirer des doigts noueux et secs le cadavre de l'aide-major Boissol.

Je ne pouvais pas continuer ma mission seul, n'est-ce pas ? d'autant que ma santé n'était pas bonne. Je revins à Chochongo ou plutôt on m'y ramena. J'y arrivai tremblant de fièvre.

Je vous vois sourire. Vous n'allez pas croire à mon récit. Je n'ai, en vérité, aucune façon de vous prouver qu'il existe bien une race d'êtres humains telle que celle dont je vous ai parlé, à vie intermittente. Mais voici le portrait de Boissol… j'ai fait parvenir à sa famille son portefeuille et ses effets. Il ne reviendra pas, allez… Est-ce qu'un homme meurt parce que son compagnon a le délire, voyons !…

PIERRE DE LA BATUT.

Pierre de la Batut "D'Autres hommes qui sont au monde" in Floréal n°29 du 21 août 1920.

Pierre de la Batut "D'Autres hommes qui sont au monde" in Floréal n°29 du 21 août 1920.

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