"Le Bombardement de la Lune" (Image d'Épinal), par René Gilles, fut publié dans Floréal n°25 du 18 juin 1921.
Mais, avant de vous en proposer la lecture, revenons quelques mois en arrière...
Dans cette même revue, le 12 mars 1921, Fanny Clar publiait déjà "Châteaux dans la lune", accompagné d'une illustration de Jean Clar :
Un savant, américain comme de juste, annonce son projet d'expédier sur la lune, des obus chargés d'explosifs éclairants.
Voici une façon lumineuse d'entrer en communication avec la pâle Séléné, selon le nom romantique que donnent à notre satellite de braves personnes qui n'ont jamais pu l'appeler, tout bêtement, la Lune.
Ce n'est pas la première fois que depuis Cyrano de Bergerac, on rêve d'aller voir ce qui se passe là-haut. Les excursions dans la Lune ont fourni à des visionnaires de marque tels Jules Verne et Wells des romans fort ingénieux.
Ils ont peuplé la face lunaire d'êtres étranges. On peut tout se permettre dans un domaine où le contrôle est plutôt difficile. Le savant américain, d'ailleurs, ne prétend pas faire lui-même le trajet à la façon d'un héros de roman d'aventures célestes. Il se contenterait d'adresser à l'amante de Pierrot quelques messages détonants dont il croit la luminosité assez fulgurante pour lui apporter la preuve que ses obus sont arrivés à bon port.
Reste à savoir, en admettant la réussite, si les projectiles, même sous forme de feux de Bengale ne seront pas considérés par les Sélénites comme une déclaration de guerre plutôt que comme une lettre d'amour.
Étant donné qu'il y a peu de raison de croire qu'il se trouve, en un point quelconque du vaste Univers, un terre que la folie guerrière ne hante point, le jeu deviendra peut-être vivement dangereux s'il commence.
Nous voyez-vous une conflagration avec la Lune sur les bras ! Je suis bien sûre qu'immédiatement se constituerait un corps de volontaires pour la conquête lunaire.
Les châteaux dans la Lune remplaceraient assez bien les châteaux en Espagne pour lesquels, depuis que la Terre roule dans l'espace, les hommes se sont égorgés, au nom de principes de douceur, de tendresse et de beauté morale.
Ne souhaitons donc pas trop qu'on sache exactement si la Lune est peuplée. Contentons-nous plutôt de la contempler, comme si elle était là exprès pour inspirer les poètes, gens paisibles et déjà lunaires.
FANNY CLAR
Il n'est bruit depuis quelque temps
Que d'une invention merveilleuse
En un coin des Montagnes Rocheuses
On forge un canon « épatant ».
Le professeur Goddart, ingénieur,
S'est plongé dans la balistique
Et, prochainement il se pique
De lancer un obus « supérieur » !!!
« Supérieur », j'explique et je dis :
Cet obus pèsera trois tonnes !
— Trois mille kilos ! ça t'étonne ?
Pour bombarder le Paradis ! —
Par un certain soir en juillet,
Au jour précis, à l'heure dite
Une gargousse de mélinite
Lancera ce fameux boulet !
Vers la Lune chère à Pierrot,
A 2 kilomètres à la seconde
Il quittera notre mappemonde
Pour aller éclater là-haut.
(« La Lune, défense d'entrer »)
Cependant, penchés et muets,
Très étonnés, les Sélénites
Verront monter cet aérolithe
Sans se douter de ce que c'est !
Arrivant de plus en plus près
Et toujours de plus en plus vite,
L'obus dans le Satellite
Entrera comme dans du beurre frais.
— Mais bah ! tu t'es trompé, Goddart
Ayant trop chargé ta gargousse
L'obus dans la Lune se pousse
Et la traverse de part en part.
(« La Lune n'existe pas, signé Goddart. »)
Désespéré de cet atout
Qui déroute sa mathématique
Et jette bas sa balistique,
Ce pauvre Goddart est devenu fou !!
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