"Rivalité de la Terre et de la Lune", écrit et illustré par Mauryce Motet, fut publié dans La Jeunesse illustrée n°22 du 26 juillet 1903 :
Le célèbre savant Fabius Gribouillas, dans son laboratoire, parmi ses livres et ses cornues, venait de trouver le moyen pratique de faire le voyage de la terre à la lune.
Il se rendit alors chez l'éminent ingénieur Bobinoff, lui montra ses plans, lui expliqua tous les détails de son invention et le pria d'exécuter ses projets.
Quelque temps après, Bobinoff venant de terminer ses travaux, c'est-à-dire un canon immense et un obus d'une dimension fantastique, fit venir Fabius Gribouillas.
Le travail étant fait selon son désir, Fabius Gribouillas fit placer à l'intérieur de l'obus des provisions, quelques bagages et tout ce qui lui était nécessaire pour entreprendre son voyage.
Et un beau soir, à l'heure de la pleine lune, au milieu d'une foule enthousiasmée, le canon gigantesque, chargé de l'obus qui renfermait Gribouillas, fut braqué sur la lune.
Une détonation formidable retentit, et l'obus partit dans la direction de la planète, au son de la Marseillaise et aux acclamations de la foule.
Durant des heures et des heures, l'obus fila à travers l'espace, écorchant des étoiles, ébréchant des planètes, tandis qu'à la fenêtre de l'obus, Gribouillas regardait radieux.
Enfin l'obus plongea dans la lune, et vint tomber au pied d'une grande montagne. Gribouillas venait d'atterrir ou pour être plus exact, d'alunir.
Les luniens, ahuris d'une telle arrivée, crurent à une attaque de la terre. Ils songèrent à riposter.
Aussitôt, se mettant à l'ouvrage, ils construisirent des obus sur le modèle de celui de Gribouillas, mais d'un plus petit calibre.
Un lunien, d'un caractère brave et audacieux, s'approcha de l'obus et découvrit Fabius Gribouillas, qui n'avait pas osé sortir, lorsqu'il avait vu que la lune avait des habitants.
Gribouillas songea à fuir. Il ouvrit la porte de son obus et s'esquiva, poursuivi par une bande de luniens, mais ceux-ci perdirent bientôt sa trace, sauf un.
Sur le point d'être saisi par celui-ci qui courait très vite, il lui jeta à la tête le contenu d'un petit flacon d'ammoniaque qu'il avait sur lui.
Les luniens étaient des êtres au nez très développé ; celui qui poursuivait Gribouillas, étourdi par l'odeur, tomba évanoui.
Il pirouetta sur lui-même, et resta inanimé sur le terrain. Gribouillas était sauvé momentanément.
Mais il ne pourrait pas échapper longtemps aux luniens, et il ne savait comment se tirer d'affaire, lorsqu'il arriva à l'endroit où les canons étaient braqués sur la terre.
— On est en train de tirer, voilà mon affaire, dit Gribouillas, et il monte sur un rocher qui domine le champ de tir et s'apprête à sauter sur un obus filant sur la terre.
Il prend son élan, une... deux... trois, et vif connue l'éclair, au moment où un projectile part, Gribouillas saute et se trouve à califourchon.
Et dans une chute vertigineuse, Gribouillas coupait l'espace, filant à toute vitesse vers le globe terrestre.
A l'arrivée des obus envoyés par les luniens, les terriens, surpris par cette attaque lunaire, s'apprêtaient à riposter lorsqu'arriva Gribouillas.
Instruit par son expérience, Gribouillas leur conseilla de charger les obus d'ammoniaque.
Ses conseils furent suivis. A cause de leur nez immense les luniens ne purent résister aux émanations ammoniacales et tombèrent évanouis les uns après les autres. Ainsi finit le combat entre les deux planètes.
Fabius Gribouillas fut fêté et vénéré pour ce haut fait. On lui offrit des fleurs et de grandes cérémonies furent organisées en son honneur.
Et depuis cette guerre, on n'a plus jamais eu de nouvelles des luniens. Seul, Gribouillas reste heureux en contemplant la lune qui semble triste et morne depuis ce singulier combat.
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