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Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Le Blog de l'Amicale Des Amateurs de Nids À Poussière (A.D.A.N.A.P.) est un lieu de perdition dans lequel nous présentons revues, vieux papiers, journaux, ouvrages anciens ou récents, qui s'empilent un peu partout, avec un seul objectif : PARTAGER !

"Jours d’Épreuves", recueil de Nouvelles suédoises présenté par Mme Louise Hameau fut publié chez Armand Colin, dans la collection Bibliothèque du Petit Français, en 1892 (l'édition présentée ci-dessous est une des nombreuses rééditions).

Les 35 illustrations sont de Albert Robida, Ruty, Martin, Farin, L. Moulignié et Moreno. Excusez du peu !

Il contient quatre textes :

"Jours d'épreuves", par Mme Hameau

"Jeannot l'Intrépide", par Concordia Loefving (Concordia Löfving)

"La Veillée de Noël du petit Wigg", par Fernande de L'Isle (Fernande de L'Ysle), d'après Viktor Rydberg

"L'Arbre de Noël du Paradis", par Michel Delines, d'après V. Tabourina

Albert Robida a illustré le conte "Jeannot l'Intrépide" avec cette gravure :

Nous vous proposons la lecture de "La Veillée de Noël du petit Wigg", un conte moral qui a l'avantage de contenir une autre illustration du grand Albert Robida !

A lire aussi :

Albert Robida, humour, mode et grosses cylindrées (1909)

Albert Robida, humour, jalousie, nature, art et commerce (1915)

Albert Robida : entre diurétiques et tonique vivifiant (1916)

Albert Robida : de l'intestin à l'acide urique (1916-1919)

Léon Maillard - Ceux qui s'en vont : Albert Robida dessinateur, humoriste et voyageur (1926)

La Veillée de Noël du petit Wigg

La neige durcie étincelait sur la bruyère immense, où l'on n'apercevait qu'une seule habitation, une petite chaumière grise. Quelle triste demeure ! se disaient les quelques voyageurs qui passaient devant cette chaumière.

C'est qu'en vérité l'endroit était bien désert : des broussailles et des cailloux, des buissons secs et des pins rabougris, voilà tout ce qui s'offrait aux regards, même pendant l'été.

Mais la chaumière était très confortable à sa façon. Faite en solide bois de chêne, elle offrait un abri sûr contre le froid et le vent. La cheminée s'élevait, droite et large, au-dessus du toit couvert de mousse qui, pendant l'été, ressemblait à du velours vert émaillé de fleurs jaunes et rouges. Dans le petit enclos croissaient alors des pommes de terre, des carottes et des choux, et, le long de la palissade, s'épanouissaient des pavots et des roses ; sur le devant de la maisonnette, grimpait un pommier sauvage ; tout contre, était un banc en bois peint. A la fenêtre, pendait un rideau toujours d'une blancheur éclatante.

La cabane et le petit enclos étaient la propriété de la mère Gertrude, qui y demeurait avec un jeune gars nomme Wigg.

Le matin, de très bonne heure, la mère Gertrude était sortie pour aller faire des emplettes au village le moins éloigné. Le soleil allait se coucher et elle n'était pas encore de retour. Wigg était resté tout seul. Ni bruit de pas, ni bruit de grelots n'avaient troublé le silence qui régnait sur la vaste étendue blanche. La journée semblait bien longue au pauvre petit. Avec quelle impatience il attendait la mère Gertrude, qui devait rentrer avec une miche, un pain d'épices et une chandelle à trois branches, car c'était la veille de Noël !

Il s'approcha de la fenêtre, dont les quatre vitres étaient couvertes de fleurs dessinées par la glace. Avec son haleine, sa salive et ses doigts, il rendit une vitre transparente; mais la vieille femme était toujours invisible. Le soleil se coucha et les nuages à l'horizon prirent peu à peu une magnifique teinte pourprée, tandis qu'une lueur rose pâle se répandait sur la neige de la bruyère. Bientôt toutes les couleurs se fondirent en un ton froid, rouge violacé, et le firmament s'obscurcit.

Il faisait encore plus obscur dans la chaumière. Wigg alla au foyer, où quelques braises prêtes à s'éteindre brillaient faiblement sous la cendre. Il régnait un silence tel, que toutes les fois que ses sabots frappaient le plancher, il lui semblait qu'on devait les entendre dans toute l'étendue de la bruyère. Il s'assit devant le foyer, se demandant comment était fait ce pain d'épices qu'il attendait. Il aurait voulu savoir aussi comment les oiseaux célébraient leur veille de Noël...

Il serait bien difficile de dire combien de temps Wïgg était resté assis de la sorte, quand il entendit un son de grelots. Il courut à la fenêtre, aplatit son nez contre la vitre pour voir qui venait : certainement ce ne pouvait être la mère Gertrude.

Toutes les lumières du ciel étaient allumées, elles brillaient et scintillaient de leur plus bel éclat. Dans le lointain, quelque chose de noir courait sur la neige. Cet objet s'approchait toujours davantage et toujours plus fort retentissait le tintement joyeux des grelots.

— Un traîneau ! un traîneau ! s'écria-t-il. Il ne suit pas la grande route, il se dirige droit à travers la bruyère...

Wigg savait bien par où passait la grande route, lui qui, en été, avait cueilli des airelles rouges et fait des excursions à plusieurs milles aux alentours. Quel plaisir ce serait d'aller en traîneau au son de grelots pareils et de conduire soi-même l'attelage !

A peine Wigg eut-il exprimé ce désir, que l'équipage se trouva devant la chaumière et s'arrêta sous la fenêtre.

"La Veillée de Noël du petit Wigg" par Fernande de L'Isle, d'après Viktor Rydberg, in Mme Louise Hameau "Jours d’Épreuves, nouvelles suédoises" (Armand Colin - 1892).  Illustrations par Albert Robida, Ruty, Martin, Farin, L. Moulignié et Moreno

"La Veillée de Noël du petit Wigg" par Fernande de L'Isle, d'après Viktor Rydberg, in Mme Louise Hameau "Jours d’Épreuves, nouvelles suédoises" (Armand Colin - 1892). Illustrations par Albert Robida, Ruty, Martin, Farin, L. Moulignié et Moreno

C'était un traîneau attelé de quatre chevaux plus petits que des poulains. Ils s'étaient arrêtés, car celui qui les conduisait tenait les rênes courtes, mais ils ne paraissaient pas se soucier de reprendre haleine, bien au contraire ; ils hennissaient, secouaient leur crinière et lançaient en piaffant la neige tout autour d'eux.

— Ne fais pas le polisson, le Rapide ! reste tranquille, l'Éveillé ! sois sage, l'Élégant ! gare à toi, si tu bouges, le Dégourdi ! cria le personnage assis dans le traîneau.

Wigg n'avait jamais vu d'homme comme celui-là. Mais il faut avouer qu'il n'avait pas encore vu beaucoup de monde.

C'était un petit vieillard, fait tout juste pour de tels chevaux. Son visage était sillonné de rides et sa longue barbe ressemblait à la mousse qui croissait sur le toit de la chaumière.

— Bonsoir, le petit camus, dit-il. Y a-t-il quelqu'un à la maison ?

— Tu vois bien qu'il y a quelqu'un puisque j'y suis, moi, répondit Wigg.

— Tu as raison ; mais c'est qu'il ne fait pas très clair dans ta chambre, quoique ce soit la veille de Noël.

— J'aurai un brasier de Noël et une chandelle à trois branches, quand la mère sera de retour.

— Oh ! la mère Gertrude n'est pas encore ici, fit ironiquement le petit homme. Tu es seul, et tu seras seul une bonne heure encore!... N'as-tu pas peur ?

— Je suis un gars suédois, répondit Wigg. La mère Gertrude lui avait appris à dire comme cela.

— Un gars suédois ! répondit le vieillard en frottant ses gants de peau et en retirant sa pipe de sa bouche. Sais-tu qui je suis ?

— Je ne te connais pas ! Et toi me connais-tu ? Le vieillard ôta son bonnet fourré, fît une profonde révérence, et dit :

— J'ai l'honneur de parler à Wigg, le preux chevalier de la bruyère, qui vient tout au plus de mettre sa première culotte, le héros qu'une barbe de sapeur n'effrayerait pas. Tu es Wigg, et moi je suis le petit homme de Noël. Aurais-je par hasard l'honneur d'être connu de toi ?

— Ah ! tu es le petit homme de Noël !... Alors tu es un brave vieux !... La mère m'a souvent parlé de toi.

— Merci du compliment. Mais les opinions sont partagées sur ce point-là... Eh bien ! Wigg, veux-tu venir avec moi faire une promenade en traîneau ?

— Si je veux !... Mais je n'ose pas... Si la mère revient et que je sois absent...

— Je te promets que tu seras de retour avant ta mère. « Un homme tient sa parole, et une vieille sa besace », dit le proverbe. Arrive.

En un saut, Wigg fut dehors. Mais qu'il faisait froid, et que Wigg était légèrement vêtu ! Sa petite veste de laine était si étroite ! et ses sabots avaient de nouveau troué aux talons les bas tant de fois raccommodés par la mère Gertrude. Cependant le petit homme ferma la porte, souleva Wigg dans le traîneau, arrangea la couverture autour de lui, lui souffla la fumée de sa pipe dans le nez, ce qui le fit éternuer bien fort ; puis un claquement de fouet... et, en route !

Le Rapide et l'Éveillé, l'Élégant et le Dégourdi franchirent l'espace comme l'éclair, et les grelots d'argent retentissaient sur la bruyère comme si toutes les cloches du ciel eussent été mises en branle.

— Me serait-il permis de conduire ? demanda Wigg.

— Non, tu n'es pas encore de force à cela, dit le petit homme.

Bientôt ils eurent la bruyère derrière eux et se trouvèrent dans la forêt sombre dont la mère Gertrude avait parlé, où les arbres sont si hauts, qu'on dirait les étoiles suspendues à leurs branches. Entre les arbres brillaient de temps à autre les fenêtres d'une habitation. Le petit homme arrêta son attelage devant une ferme.

Entre deux pierres du soubassement se montrait une tête aux yeux étincelants, qui se fixèrent sur le petit homme.

C'était la tête de la couleuvre familière (1) qui s'inclinait en manière de salutation courtoise.

 

(1) La couleuvre à collier porte en suédois les noms de Snok et de Tomtertem (serpent familier). Elle a reçu ce dernier nom parce qu'on la rencontre souvent, en hiver, dans les étables et dans les granges. Les paysans, qui voient en elle une espèce d'esprit familier, ont pour ce reptile une vénération superstitieuse.

"La Veillée de Noël du petit Wigg" par Fernande de L'Isle, d'après Viktor Rydberg, in Mme Louise Hameau "Jours d’Épreuves, nouvelles suédoises" (Armand Colin - 1892).  Illustrations par Albert Robida, Ruty, Martin, Farin, L. Moulignié et Moreno

"La Veillée de Noël du petit Wigg" par Fernande de L'Isle, d'après Viktor Rydberg, in Mme Louise Hameau "Jours d’Épreuves, nouvelles suédoises" (Armand Colin - 1892). Illustrations par Albert Robida, Ruty, Martin, Farin, L. Moulignié et Moreno

Pour toute réponse, le petit homme souleva son bonnet fourré et demanda :

— Couleuvre, couleuvre à la queue tortillée, dis-moi ce que vaut la maison ?

La couleuvre répondit :

— Du foyer le travail est l'hôte. Un cheval et trois belles vaches.

— Un cheval et trois vaches, couleuvre, ma mie, ce n'est pas beaucoup, dit le petit homme, mais cela augmentera, puisque la femme et le mari sont travailleurs. Ils ont commencé les mains vides et ce qu'ils possèdent, ils l'ont bien gagné ; sans compter qu'ils ont avec cela leurs vieux parents à nourrir. Comment soignent-ils leurs vaches ?

— Les bêtes sont allègres et grassettes.

— Encore un mot, couleuvre, que dis-tu des enfants de la maison ?

— Fille jolie et bambin joyeux. Le gars d'humeur un peu sauvage ; mais la fillette est douce et sage !

— Ils auront des étrennes ! Bonsoir et bonne nuit de Noël, couleuvre à la queue tortillée.

— Bonsoir, mon cher petit homme, dit la couleuvre en cachant sa tête.

Derrière le siège du traîneau se trouvait un coffre. Le petit homme l'ouvrit et en retira divers objets, un abécédaire et un canif pour le bambin ; un dé et un livre de psaumes pour la fillette, des écheveaux de fil, un peigne à tisser et une navette pour la mère ; un almanach et un coucou pour le père ; des bésicles pour le grand-père et la grand'mère. En outre, il prit à pleines mains quelque chose que Wigg ne pouvait voir.

— Ce sont des souhaits et des bénédictions, dit le petit homme.

Cela dit, il se glissa avec Wigg dans la chaumière. Toute la famille était assise devant le feu pétillant, et le père lisait à haute voix. Le petit homme déposa silencieusement et sans être aperçu ses présents à la porte, et retourna avec Wigg au traîneau, puis ils se remirent en route à travers la forêt. La seconde fois que le petit homme s'arrêta, ce fut près de la grange d'une ferme. On entendait dans la grange un bruit sourd et mesuré comme celui des fléaux ; mais ce bruit était presque couvert par celui d'un ruisseau qui se querellait avec les cailloux et les racines des sapins. Le petit homme ouvrit le guichet de la grange. Wigg aperçut deux petits êtres bien extraordinaires, aux sourcils touffus, aux joues rondes et enfantines, coiffés d'un bonnet rouge pointu et vêtus d'une jaquette grise ; ils battaient le grain et s'évertuaient si bien, à la lueur d'une lanterne, que la poussière volait tout autour d'eux.

Le petit homme les salua de la tête et leur dit :

— Follets, follets familiers, battez-vous encore en grange ? Les follets répondirent en balançant leurs fléaux :

— Que le fléau fasse tic tac ; le tas est gros, la meule immense.

— Mais la veille de Noël, on peut bien s'accorder un peu de repos, dit le petit homme.

Les follets répondirent :

— La graine est dure, la miche est ronde ; chaque heure, chaque minute a de l'or dans la bouche.

— Mais vous vous souvenez bien du lieu et de l'heure où nous devons nous rencontrer ?

— Tantôt, chez le vieux de la montagne. Au revoir, petit homme, dirent les follets, le saluant à leur tour.

Le petit homme ouvrit le coffre, remplit ses mains d'étrennes de Noël et courut chez le père, la mère et les enfants de la ferme. Parmi les présents, se trouvait un fusil de soldat, car tout homme doit en avoir un pour la défense de sa patrie.

C'est ainsi qu'ils s'en allèrent de chaumière en chaumière, de ferme en ferme.

"La Veillée de Noël du petit Wigg" par Fernande de L'Isle, d'après Viktor Rydberg, in Mme Louise Hameau "Jours d’Épreuves, nouvelles suédoises" (Armand Colin - 1892).  Illustrations par Albert Robida, Ruty, Martin, Farin, L. Moulignié et Moreno

"La Veillée de Noël du petit Wigg" par Fernande de L'Isle, d'après Viktor Rydberg, in Mme Louise Hameau "Jours d’Épreuves, nouvelles suédoises" (Armand Colin - 1892). Illustrations par Albert Robida, Ruty, Martin, Farin, L. Moulignié et Moreno

Le presbytère dans lequel il jeta un coup d'œil par la fenêtre fut la maison qui intéressa le plus vivement Wigg. Là était assis le vieux pasteur que Wigg connaissait bien, car cet excellent homme avait été souvent à la chaumière de la bruyère, et posant la main sur la tête de l'enfant, il avait encouragé ses progrès en lecture. Wigg connaissait également la vieille épouse du pasteur et les jolies demoiselles qui étaient si bonnes pour la mère Gertrude. Le petit homme aimait aussi beaucoup le presbytère, où les gens étaient si bienveillants entre eux et si doux envers les animaux, voulant, disaient-ils, qu'hommes et bêtes fussent heureux !

En continuant leur course, ils rencontrèrent dans le bois un follet qui marchait d'un air triste et découragé.

— Où vas-tu, cousin ? dit le petit homme.

— J'use mes souliers en quête d'un nouveau logis.

— Pourquoi donc ?

— Parce que le père est un ivrogne, la mère une désordonnée ; les enfants, toujours sales, sont hypocrites et paresseux.

— Essaye d'y rester encore une année, peut-être parviendras-tu à changer leur manière de vivre, à ramener la paix dans ce ménage et un peu de prospérité dans leurs affaires.

— J'y resterai puisque tu le désires, dit le follet... Mais il s'en retourna bien tristement.

Le petit homme s'arrêta ensuite devant l'habitation d'un ministre. C'était une grande maison dont toutes les fenêtre étaient éclairées.

— Ici je donnerai beaucoup d'étrennes, dit-il en ouvrant son coffre, Wigg fut ébloui de toutes les belles choses qu'il aperçut : des étoffes de soie et de velours, des épingles, des broches, des médaillons, des bracelets et des colliers ; l'or, l'argent, les pierres précieuses étincelaient, puis parmi toutes ces belles choses une étoile d'or destinée à orner l'habit du maître de la maison.

Le petit homme mit un pépin dans la poche de la jaquette de Wigg, ce qui le rendit invisible, sauf pour son compagnon. Ils montèrent ainsi le grand escalier.

Le petit homme présenta les cadeaux. Chacun les reçut avec enthousiasme, l'étoile surtout causa une joie immense ; quand il l'offrit en disant que ce don venait du roi, le ministre se leva et s'inclina, puis la fixa sur sa poitrine en disant :

— Maintenant tous mes souhaits sont exaucés ; merci au roi, merci à vous, brave petit homme de Noël !

Ils arrivèrent ensuite au château royal.

— Ici, dit le petit homme, je ne laisserai que quelques présents pour le fils du roi. Après, nous irons chez mon roi à moi, le vieux de la montagne, puis nous irons chez la mère Gertrude de la bruyère.

Encore une fois le coffre fut ouvert, et ce que Wigg découvrit surpassa tout ce qu'il, avait déjà vu. Sur un grand plateau d'argent se trouvaient des milliers de guerriers à pied et à cheval. Quand on touchait un ressort, ils présentaient les armes, marchaient tantôt à droite, tantôt à gauche ; les chevaux se cabraient et les cavaliers se battaient à grands coups de sabre.

Sur un autre plateau représentant la mer, on voyait des navires de guerre ; à l'aide d'un même ressort, les canons tiraient contre une forteresse qui répondait avec ses pièces de rempart. Mais le troisième plateau était le plus remarquable, car on y voyait un roi assis sur un trône, entouré de ses conseillers ; ils se tenaient debout et devant eux il y avait des sonneurs de trompe. Sur un des côtés, un moulin, et derrière le moulin, une grande quantité d'hommes qui travaillaient : des moissonneurs, des forgerons, des tisserands, des tailleurs et des cordonniers.

On apercevait aussi leurs femmes et leurs enfants : les femmes préparaient les aliments et les enfants mangeaient. Poussé par un ressort moins apparent que les autres, le roi se levait en s'écriant : — Il me faut encore des soldats, et aussitôt sonneurs de trompe embouchaient leurs instruments et conseillers criaient à tue-tête : — L'empereur de la Lune veut s'emparer de notre royaume. Et quand le peuple entendait cela, les moissonneurs avec leurs gerbes, les forgerons avec leur fer, les tisserands avec leur toile, les tailleurs avec leurs habits, les cordonniers avec leurs chaussures, couraient au moulin et jetaient tout ce qu'ils portaient sous les meules qui en moulaient des guerriers, et les corps se mettaient en marche les uns après les autres, présentant les armes en défilant devant le roi.

Après avoir distribué ces joujoux magiques, le petit homme se jeta dans le traîneau et le dirigea vers une forêt sombre.

— Maintenant allons chez le vieux de la montagne.

Wigg était fort sérieux.

— Ton coffre est-il vide ? dit-il après quelques moments de silence.

— A peu près, répondit le petit homme en rallumant sa pipe.

— Chacun a reçu des étrennes, n'en as-tu pas aussi pour moi ?

— Je ne t'ai pas oublié, ton cadeau est au fond du coffre.

— Tu serais bien bon de me le montrer.

— Tu peux attendre jusqu'à ce que tu sois rentré chez ta mère.

— Non, je désirerais le voir sur-le-champ, dit Wigg avec impatience.

— Eh bien ! voilà ! fit le petit homme en sortant du coffre une paire d'épais bas de laine.

— Rien que ça ? soupira. Wigg avec tristesse.

— Ne sont-ils pas les bienvenus? Tes bas sont troués.

— La mère aurait pu les raccommoder... Tu as donné au fils du roi de si belles choses, et aux autres des joujoux si amusants ! tu aurais bien pu m'en donner aussi.

Le petit homme ne répondit pas, mais remit les bas dans le coffre et fuma plus fort qu'auparavant.

Ils continuèrent leur route en silence. Wigg faisait la moue ; il enviait au fils du roi ses jolis cadeaux et maudissait les bas de laine. Le petit homme lançait de grosses bouffées de fumée dans l'air. Mais les sapins murmuraient, les oiseaux gazouillaient et la neige craquait sous les pieds des chevaux. A la lisière de la forêt, un feu follet accourut afin d'éclairer la route. C'était presque inutile, car les étoiles et la neige durcie donnaient une lumière suffisante.

"La Veillée de Noël du petit Wigg" par Fernande de L'Isle, d'après Viktor Rydberg, in Mme Louise Hameau "Jours d’Épreuves, nouvelles suédoises" (Armand Colin - 1892).  Illustrations par Albert Robida, Ruty, Martin, Farin, L. Moulignié et Moreno

"La Veillée de Noël du petit Wigg" par Fernande de L'Isle, d'après Viktor Rydberg, in Mme Louise Hameau "Jours d’Épreuves, nouvelles suédoises" (Armand Colin - 1892). Illustrations par Albert Robida, Ruty, Martin, Farin, L. Moulignié et Moreno

C'est ainsi qu'ils arrivèrent à une montagne taillée à pic. Là ils sautèrent en bas du traîneau. Le petit homme donna un pain d'avoine à chacun de ses chevaux ; puis il frappa le rocher, qui s'ouvrit. Il prit Wigg par la main et tous deux entrèrent par l'ouverture. Mais bientôt l'enfant fut saisi d'une grande frayeur. Dans l'obscurité la plus profonde on n'apercevait que les yeux ardents des vipères et des crapauds venimeux qui rampaient sur les saillies humides des rochers.

— Je veux retourner chez la mère ! cria Wigg.

— Toi, un gars suédois ? fit le petit homme avec ironie.

Alors Wigg se tut.

— Que dis-tu de ce crapaud-là ? demanda, après qu'ils eurent fait quelques pas, le petit homme, en lui montrant un monstre vert accroupi sur une pierre et fixant ses yeux ronds sur le pauvre Wigg.

— Il est bien laid.

— C'est toi qui l'as fait venir ici !

— C'est moi qui l'ai fait venir ici ? exclama Wigg.

— Oui, vraiment. Tu as envié au fils du roi ses présents, et tu as méprisé le cadeau que je te faisais de bon cœur. A chaque mauvaise pensée qui naît chez tout homme demeurant dans ces environs, un crapaud ou une vipère arrive ici par la crevasse.

— J'ai mal fait, dit Wigg, que la honte et surtout la peur envahissaient.

Ils firent de grands détours et pénétrèrent au cœur de la montagne. Peu à peu on commença à apercevoir de la lumière. Wigg fut profondément étonné de se voir à l'entrée d'une salle immense, étincelante de lumière, dont les parois étaient en cristal de roche.

Tout autour étaient alignés de petits nains tenant des flambeaux.

Au fond, le roi de la montagne était assis sur son trône d'or massif. Il était revêtu d'un manteau d'amiante parsemé de pierres précieuses. Près de lui, sur un trône moins élevé, était sa fille vêtue d'une robe d'argent. Son visage, d'une ravissante beauté, était d'une pâleur extrême.

Au milieu de la salle pendait une balance gigantesque, tout autour de laquelle se trouvaient des lutins qui mettaient quelque chose, tantôt sur l'un des plateaux, tantôt sur l'autre.

Devant le trône du roi se tenait une masse innombrable de follets venus de toutes les fermes et de toutes les chaumières situées à plusieurs lieues à la ronde ; ils se racontaient tout ce que les hommes, dont ils habitaient les demeures, avaient pensé, dit et fait dans le courant de l'année. Pour chaque bonne pensée et pour chaque bonne action qu'ils relataient, les lutins plaçaient des poids d'or sur l'un des plateaux, et pour chaque mauvaise pensée ou chaque mauvaise action qui était signalée, ils déposaient sur l'autre une vipère ou un crapaud.

— Écoute, Wigg, dit tout bas le petit homme, la princesse est bien malade. Elle mourra si elle ne sort pas bientôt de la montagne, car il lui faut respirer l'air du ciel, contempler les étoiles et se réchauffer aux rayons d'or du soleil. En outre, elle a une promesse que, si elle voit le ciel, elle verra aussi les anges et obtiendra l'éternelle béatitude. Elle meurt d'ennui, mais elle ne sortira de la montagne que la veille de Noël, où le plateau du bien sera descendu jusqu'à terre. Malheureusement tu vois qu'en ce moment les plateaux sont presque en équilibre.

A peine le petit homme avait-il dit cela, qu'il fut à son tour appelé à rendre des comptes. Il avait bien des choses à dire, presque toutes bonnes.

Les lutins mettaient, un grand nombre de poids d'or sur le plateau du bien, à mesure que le petit homme avançait dans son rapport ; et ce plateau devint sensiblement plus lourd que l'autre.

Mais Wigg était sur des épines, car il tremblait d'entendre prononcer son nom. Il tressaillit et devint rouge, puis pâle, quand le petit homme se mit enfin à parler de lui. Ce qu'il dit de lui et des bas de laine, je ne veux pas le répéter par amour pour le cher petit ; mais je ne puis cacher que l'un des nains mit sur le plateau du mal le grand crapaud vert que Wigg avait vu à son entrée dans la grotte, et que ce crapaud était bien lourd. Les regards de tous les assistants, sauf ceux du petit homme qui les portait ailleurs, se fixèrent sur Wigg. Ceux du roi, de la princesse, des nains et des follets étaient si sévères ou si tristes, ceux de la princesse surtout, étaient si doux et si désolés, que Wigg, n'osant lever les yeux, se couvrit le visage de ses deux mains.

Alors le petit homme raconta comment la mère Gertrude avait adopté le petit Wigg orphelin de père et mère ; il dit qu'elle tressait des nattes et faisait des balais qu'elle vendait à l'unique, marchand du village pour procurer de la nourriture à l'enfant, qu'elle cousait et raccommodait des habits ; comme elle travaillait joyeusement et avec amour, supportant bien des privations pour lui ; comme elle était heureuse de son humeur gaie, de son bon cœur, de sa santé florissante, de ses doux et beaux yeux et lui pardonnait volontiers ses espiègleries. Elle priait Dieu pour lui chaque soir avant de s'endormir, et ce matin même, malgré le froid, elle était allée bien loin, jusqu'au village, seulement pour le réjouir, le soir venu, d'une chandelle à trois branches et d'autres petites choses.

Pendant que le petit homme parlait, les nains mettaient de pesants poids d'or sur le plateau du bien : le vilain crapaud vert sauta à terre et disparut dans la crevasse ; les yeux de la belle princesse s'emplirent de larmes et Wigg se mit à sangloter tout haut...

"La Veillée de Noël du petit Wigg" par Fernande de L'Isle, d'après Viktor Rydberg, in Mme Louise Hameau "Jours d’Épreuves, nouvelles suédoises" (Armand Colin - 1892).  Illustrations par Albert Robida, Ruty, Martin, Farin, L. Moulignié et Moreno

"La Veillée de Noël du petit Wigg" par Fernande de L'Isle, d'après Viktor Rydberg, in Mme Louise Hameau "Jours d’Épreuves, nouvelles suédoises" (Armand Colin - 1892). Illustrations par Albert Robida, Ruty, Martin, Farin, L. Moulignié et Moreno

Il sanglota si fort qu'il s'éveilla. Le salon du roi et tout ce qui s'y trouvait avait disparu et il se vit couché dans son petit lit de la chaumière. Un magnifique feu de Noël pétillait dans l'âtre, et la mère Gertrude se penchait sur lui en disant :

— Mon pauvre petit garçon, tu es resté longtemps seul dans l'obscurité ; mais je n'ai pu rentrer plus tôt, car le chemin est long ; enfin j'apporte une chandelle à trois branches, une miche et un pain d'épices, sans compter une galette que demain tu donneras aux moineaux. Et tiens, ajouta la mère Gertrude, voici une paire de bas de laine que je t'ai tricotée pour Noël, car tu en as bien besoin, petit brise-fer. Et voici une paire de bottines pour que tu puisses mettre tes sabots de côté pendant les fêtes.

Wigg désirait depuis longtemps une paire de bottines ; aussi les examina-t-il de tous côtés d'un air joyeux ; mais il examina encore plus attentivement les bas de laine ; il les trouvait d'une si grande ressemblance avec ceux qu'il avait vus dans le coffre du petit homme ! Puis il passa ses bras autour du cou de la mère Gertrude en lui disant :

— Merci, mère, pour les bas et pour les bottines, mais surtout pour les bas !

On mit la marmite sur le feu, une nappe branches fut étendue sur la table et la chandelle à trois branches fut allumée. Wigg mit ses bas neufs et ses bottines pour courir dans la chambre. De temps à autre il s'arrêtait devant la fenêtre et regardait du côté de la bruyère, comme pour y chercher la trace du traîneau, car il ne savait au juste que penser du voyage qu'il avait fait.

Mais le petit homme de Noël est bon, et la mère Gertrude est bien bonne aussi! ! Il le savait.

Au dehors, mille étoiles scintillaient dans la nuit silencieuse. Et dans l'unique habitation des bruyères régnaient la chaleur du foyer et la chaleur du cœur.

FERNANDE DE L'ISLE.

(D'après Viktor Rydberg.)

 

"La Veillée de Noël du petit Wigg" par Fernande de L'Isle, d'après Viktor Rydberg, in Mme Louise Hameau "Jours d’Épreuves, nouvelles suédoises" (Armand Colin - 1892).  Illustrations par Albert Robida, Ruty, Martin, Farin, L. Moulignié et Moreno

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