"Kaki", écrit et illustré par Alain Saint-Ogan, fut publié dans L'Anti-boche illustré n°41 du 27 novembre 1915.
Oui, LE Alain Saint-Ogan (1895 - 1974) qui, bien avant Zig et Puce ou Monsieur Poche, œuvrait déjà dans la presse.
On peut d'ailleurs (re)découvrir de nombreuses illustrations d'Alain-Saint-Ogan dans L'Anti-boche illustré, parfois même en couverture :
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A lire aussi :
Alain Saint-Ogan "L'Anti-Boche" (1915)
Alin Monjardin - Ou le plus malin des policiers, Saynète (1918)
L'Intrépide n° 456, 18 Mai 1919 - première série, Offenstadt
Lectures pour Tous, juin 1933, Zoom sur un numéro
Marcel Brion - Un signe des Temps : Pathologie du Roman Policier (1934)
Urs Widmer "Die lange Nacht der Detektive. Kiminalstück in drei Akten" (Diogenes - 1973)
ACTE PREMIER
DICK TARTER
C'est moi qui suis le célèbre détective Dick Tarter et voici mon chien policier, Kaki ; nous arrivons directement de New-Y... (Ici, la claque applaudira bruyamment pour que le public n'entende pas le nom de la ville d'où ils viennent, à cause des foudres de la censure) et nous nous mettons immédiatement à la recherche d'un espion boche, dont la présence dans ces parages nous est signalée.
Un homme apparaît du côté jardin et disparaît du côté cour (1), il a un panier à la main. Le chien Kaki s'élance sur ses traces, et Dick Tarter suit en s'écriant avec un fort accent américain du Nord :
Il y a certainement une Bombe dans le panier que tient cet homme ! Ne serait-ce pas notre espion boche ? (2).
(Le Rideau tombe.)
(Ici, la claque applaudira bruyamment pour couvrir les coups de sifflets toujours possibles.)
ACTE II
Deux autos lancées à toute vitesse (3) ; par la portière du premier, on aperçoit l'homme et son panier ; dans le second, le chien policier Kaki et son maître le célèbre détective Dick Tarter.
DICK TARTER (à son chauffeur)
Quickly ! Quickly ! 200.000 dollars pour vous, si vous rattrapez votre confrère.
(A ce moment, un pneu de l'automobile du détective éclate ! La voiture est précipitée sur un arbre et se brise en mille morceaux.)
(Le Rideau tombe.)
(Ici la claque applaudira, etc., etc.)
ACTE III
Au lever du rideau, Dick Tarter et Kaki sont assis par terre et contemplent les débris de leur auto, le chauffeur est dans un coin, noyé dans une mare de sang. — Quelques minutes s'écoulent, puis brusquement :
DICK TARTER (il se tâte et s'aperçoit qu'il n'est pas blessé)
Name of God ! (4) nous avons perdu la trace de l'homme portant un panier contenant certainement une bombe. O ! Kaki, mon fidèle chien policier, que dois-je faire ?
KAKI
(très excité, montrant de sa patte gauche de devant l'endroit où a disparu l'auto de l'homme portant un panier contenant certainement une bombe.)
Houa ! Houa ! Houa ! (5).
DICK TARTER
Comment le rejoindre ? (Dick Tarter se relève — il était toujours assis par terre — et ajoute :
Mais, que vois-je ? un aéroplane ! Faisons-lui signe de descendre. (Il fait des signaux avec son mouchoir) — Un monoplan apparaît.
(Le Rideau tombe.)
(Ici la claque n'applaudira pas, l'arrivée de l'aéro suffisant à déchaîner l'enthousiasme du public.)
ACTE IV
Dick Tarter tient par le bras l'homme (6). Un agent de police porte avec beaucoup de précautions le panier. Kaki tourne autour du sergent de ville et par conséquent autour du panier.
DICK TARTER (à l'homme)
Avouez tout, vous êtes boche !
L'HOMME
Je vous jure...
DICK TARTER
Silence ! c'est connu. Pourquoi mon chien policier Kaki vous aurait-il suivi si il n'y avait pas de bombe dans le panier que vous teniez à la main ?
L'HOMME
Je comprends tout ! Non, ce n'est pas une bombe ; votre chien policier m'a suivi parce qu'il y a dans mon panier... Mais regardez vous-même.
Ciel ! je suis déshonoré ! (Il sort un revolver à six coups de sa poche.) Je ne puis survivre. (Pan ! pan ! pan ! il se tue.)
L'HOMME (qui avait une maladie de cœur)
Mon Dieu ! Ah ! Ah !... Ah ! (Il meurt.)
(A ce spectacle, l'agent de police devient fou ; il laisse tomber le panier ; une petite chienne s'en échappe et disparaît ; elle est poursuivie par Kaki (7).
L'AGENT DE POLICE (devenu fou)
Ah ! Ah ! Ah ! La bombe, tra la la, les petits agents dansent quand les apaches ne sont pas là ! (Il sort son bâton blanc de l'étui.) Kaki !!! Kaki !!! Kaki ! Kaki ! (Il se passe à tabac (8) et meurt.)
(1) Côté cour et côté jardin, en langage de théâtre, veut dire côté droit et côté gauche, à moins que ça ne soit le contraire (tout dépend de la façon dont on prend sa droite), quand on est gaucher ça doit changer.
(2) Ce long monologue n'est peut-être pas très naturel, mais il est nécessaire à la compréhension du drame.
(3) Avis à MM. les directeurs de théâtres. J'ai chez moi plusieurs ingénieux dessins, dont ils pourront s'inspirer pour la machination de la pièce.
(4) Ce juron, m'a assuré ma délicieuse petite amie Coco, est très employé en Amérique (en français, il s'orthographie N... de D...).
(5) Nous faisons remarquer l'heureuse onomatopée rappelant l'aboiement du chien.
(6) L'Auteur, confiant dans l'esprit des spectateurs, néglige de dire que Dick Tarter et son fidèle chien policier Kaki montent dans la machine volante, qui, grâce à sa vitesse, parvient à rattraper l'homme portant un panier contenant certainement une bombe.
(7) Il paraît difficile de reconnaître de loin si c'est un chien ou une chienne qui s'échappe du panier et disparaît ; mais le public comprend bien vite la vérité lorsque le chien Kaki la poursuit. En effet, puisqu'elle est poursuivie, c'est que c'est une chienne, car si c'était un chien, etc.
(8) Quelques personnes trouveront que la mort de l'agent est excessive, ces pauvres ignorants ! Ne savent-ils pas qu'il est de bonne tradition théâtrale de faire mourir tous les personnages à la fin d'un drame.
Si c'était un vaudeville, ils s'épouseraient, mais ce serait moins gai.
(9) Aux dernières nouvelles, l'état mental de notre collaborateur, Alain Saint-Ogan, s'est un peu amélioré.
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