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Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Le Blog de l'Amicale Des Amateurs de Nids À Poussière (A.D.A.N.A.P.) est un lieu de perdition dans lequel nous présentons revues, vieux papiers, journaux, ouvrages anciens ou récents, qui s'empilent un peu partout, avec un seul objectif : PARTAGER !

"Les Débuts d'un Mécène", de André Pascal, fut publié dans Le Plaisir de vivre n°51 du 18 décembre 1926.

Les illustrations ne sont pas créditées, mais une signature est lisible : Paul Fersac (?).

Sous réserve du bon décryptage de ce paraphe :

 

 

A lire aussi :

Octave Uzanne "La bibliophilie moderne, ses origines, ses étapes, ses formes actuelles" (1896)

Portraits d'amateurs de "Nids à poussière"... (1921-1923)

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Anonyme - L'Auteur chez le libraire (1926)

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André Pascal - Les Débuts d'un Mécène (1926)

André Pascal - Les Débuts d'un Mécène (1926)

Les Débuts d'un Mécène

Monsieur Sorbier venait de rentrer. Comme tous les vendredis, il avait présidé le Conseil d'administration de la Banque Franco-Suisse, le Comité des Assurances générales, et reçu en audience plus de vingt personnes, venues, les unes pour lui proposer une affaire, les autres pour mettre sa générosité à contribution. Malgré tant d'occupations, le financier s'était accordé, vers la fin de l'après-midi, une heure de liberté. Il l'avait passée chez Leduc, son libraire, passage des Princes, où, depuis des années, il se rencontrait, deux ou trois fois par semaine, avec des bibliophiles, ses amis. Dans ce cénacle, composé d'érudits et d'amateurs avertis, le président de la Banque Franco-Suisse se plaisait à deviser, soit sur les « incunables » (1), soit sur les livres illustrés du XVIIIe siècle.

Ce vendredi-là, M. Sorbier avait fait à ses confrères un véritable cours sur les « Éditions de Molière », qui, toutes, sauf celle de 1734, figuraient dans sa bibliothèque. Emporté par son sujet, il s'était attardé, et il était passé six heures, quand il poussa la porte de son cabinet de travail.

Malgré sa fatigue, un sourire éclairait son visage. Après avoir jeté sa serviette sur la table-bureau, il se laissa tomber dans un fauteuil, alluma un cigare et se mit à suivre des yeux la fumée bleue qui montait lentement vers le plafond.

A voir le « patron » de bonne humeur et aussi confortablement installé, un familier de la maison aurait sans doute émis l'hypothèse qu'il avait réussi quelque bonne spéculation à la Bourse. En fait, M. Sorbier venait, tout simplement, d'acheter à un de ses confrères de la « Société des Bibliophiles » le fameux « Molière de 1734 », qu'il cherchait depuis près de quarante ans à faire entrer dans sa bibliothèque.

La rarissime édition se composait de six volumes in-quarto, illustrés de trente-trois gravures à l'eau-forte par Laurent Cars, d'après les dessins de François Boucher. L'heureux collectionneur avait eu la bonne fortune d'acquérir, en même temps que l'ouvrage, un album où se trouvaient réunis les « originaux » du grand maître et les trente-trois gravures tirées avant la lettre.

Ce recueil d'une valeur inestimable avait été constitué vers 1840 par le célèbre baron J. Pichon. Malgré les grosses sommes qu'à plus d'une reprise il avait offertes pour cet ensemble unique, M. Sorbier n'était jamais parvenu à décider l'amateur qui le possédait à s'en dessaisir. Après tant d'années de patiente persévérance, il était enfin parvenu à satisfaire son caprice. Aussi son cœur de bibliophile débordait d'une joie intense. Son bonheur se mesurait à la façon dont il dégustait son cigare : il le savourait lentement, par petites bouffées, le regardant et le flairant avec volupté après chaque aspiration. Sans le moindre doute, le « corona » était plus onctueux, plus parfumé que de coutume.

M. Sorbier fumait depuis un bon moment, quand on vint frapper à sa porte. « Entrez » ! fit-il d'une voix sourde, brusquement tiré de sa rêverie. Un valet de pied entra. Correct et respectueux, il s'approcha de son maître et l'informa que l'on venait de livrer « une commande de livres ». — « Allez tout de suite chercher ce paquet », répliqua le bibliophile impatient. Tandis que le serviteur regagnait l'antichambre à la recherche du précieux envoi, M. Sorbier se leva, alla jeter dans la cheminée ce qui restait du « corona », et se mit à faire à grands pas le tour de son cabinet de travail. Le valet de pied revint bientôt, encombré d'un volumineux paquet. Il avait à peine franchi le seuil de la porte que son maître l'interpellait : « Jean, déposez les livres sur la table-bureau et retirez-vous », ordonna le nouveau propriétaire du « Molière ». Le collectionneur tenait à déballer lui-même les volumes et à les contempler sans témoins, dans l'austère solitude de sa bibliothèque. Les amateurs d'art ont souvent, avec le goût des belles choses, de petites manies, et cultivent assez volontiers un certain égoïsme.

Quand le valet de pied eut refermé la porte derrière lui, M. Sorbier dénoua avec méthode deux solides ficelles et déplia trois épaisseurs de papier. Il lui fallut près de dix minutes pour libérer de leurs enveloppes de protection l'album de dessins et les six « in-quartos ». L'un après l'autre, ceux-ci s'alignèrent sur la table-bureau ; ils apparaissaient superbes de « conservation » et leurs reliures étaient d'une « fraîcheur » exceptionnelle.

La besogne achevée, le bibliophile contempla sa nouvelle « folie ». Ses yeux brillants et sa lèvre inférieure, légèrement tombante, témoignaient d'un contentement absolu.

Assis sur le coin de la table-bureau, les jambes ballantes, il fixait du regard le maroquin rouge des somptueuses reliures, quand, tout à coup, son visage pâlit et ses traits se crispèrent. Un détail capital pour un collectionneur d'éditions « princeps » était subitement revenu à sa mémoire. Comme tous les amateurs de livres anciens, M. Sorbier savait que le « Molière de 1734 » avait été « tiré » en deux fois. Troublé par la joie de posséder enfin un ouvrage longtemps convoité, il avait oublié de rechercher la « coquille » (2) qui permet d'identifier les rares et précieux exemplaires du « premier tirage ». — « Dans quel volume et à quelle page se trouve la faute d'impression ? » se demanda le bibliophile, momentanément trahi par son impeccable mémoire. Après une courte hésitation, il sauta à terre, et alla reprendre sa place dans son fauteuil. D'un rayon d'une table tournante placée à portée de sa main, il tira un volume du « Brunet » le Manuel du libraire, et se mit à le consulter. En moins de deux minutes, il fut en possession du renseignement souhaité. — « Dans le premier tirage », disait Brunet (3), « on trouve, à la douzième ligne de la page 360 du tome VI, le mot « comteese » avec deux « e » et un seul « s ». — Le bibliophile remit le « Brunet » à sa place et s'empara du tome VI du « Molière ». Il se demanda, non sans quelque inquiétude, s'il allait avoir la bonne fortune de trouver la fameuse « coquille ». Avec précaution, il ouvrit le livre à la page 360 ; puis s'aidant d'un coupe-papier, il compta « douze lignes ». Le mot « comteese » s'y trouvait bel et bien imprimé avec deux « e » et un seul « s ». Plus de doute possible. L'exemplaire qu'il venait d'acheter était bien du « premier tirage ».

Jamais au cours de sa carrière de bibliophile M. Sorbier n'avait éprouvé une satisfaction plus grande. Il exultait. Longuement, il caressa du regard les six « in-quartos» et le précieux album qui renfermait les dessins de Boucher. Puis il rangea « son Molière » à la place qui lui était réservée depuis des années dans la vitrine où se trouvaient déjà les « premières éditions » de Sganarelle, du Bourgeois Gentilhomme et du Malade Imaginaire. Le travail achevé, le collectionneur regagna son fauteuil et s'installa confortablement. Pour témoigner de sa satisfaction, il alluma un second « corona ».

A peine avait-il aspiré quelques bouffées parfumées que, de nouveau, il entendit frapper a sa porte. « Entrez ! » fit d'une voix claire le bibliophile, aimable et satisfait. La porte s'ouvrit et Paul Sorbier, le fils du financier, entra dans le cabinet de son père.

André Pascal - Les Débuts d'un Mécène (1926)

André Pascal - Les Débuts d'un Mécène (1926)

Le fils de M. Sorbier avait vingt-deux ans. Grand et bien bâti, il avait les apparences d'un athlète entraîné ; en fait, le jeune homme était un scientifique, intelligent et laborieux. Une prédilection marquée pour les sciences l'avait orienté du côté des mathématiques. Après deux années de « spéciales », il était entré à la Sorbonne, où, dans le laboratoire d'un éminent physicien, membre de l'Institut, il préparait sa licence et son doctorat ès sciences.

Un peu sauvage et d'un caractère indépendant, Paul se tenait assez volontiers éloigné du monde : les plaisirs et les distractions frivoles, chers à la plupart des jeunes gens de son âge, le laissaient indifférent. Il occupait ses loisirs à pratiquer les sports, de préférence le yachting à voile et l'automobilisme, qui exigent de l'intelligence et des connaissances techniques. L'élude de la physique, de l'électricité et de la mécanique lui avait permis d'entreprendre quelques recherches d'ordre pratique dont il avait fait bénéficier des constructeurs de ses amis.

Le jeune savant se plaisait à s'entretenir avec des ingénieurs ou des inventeurs ; parfois, il les aidait de ses deniers pour leur permettre d'exécuter la mise au point de tel ou tel appareil, dont la conception lui avait semblé digne de recevoir une application pratique. A la Sorbonne, comme parmi les techniciens, Paul Sorbier ne passait pas inaperçu ; malgré ses vingt-deux ans, il s'était fait dans les milieux scientifiques et industriels une réputation d'homme aimable, complaisant et généreux.

M. Sorbier avait pour son fils une profonde tendresse, même une certaine admiration. Paul travaillait avec labeur et occupait utilement ses loisirs, quand tant d'autres à sa place auraient préféré sans doute jouir d'une existence de fête et de plaisirs.

Comme le jeune homme était souvent retenu au dehors par ses études et rentrait assez tard dans la soirée, son père ne le voyait que de façon irrégulière. Aussi le brave homme éprouvait-il une vraie joie lorsque, de temps à autre. Paul lui faisait la surprise d'une visite. Quand, ce jour-là, il entra dans le cabinet de travail de son père, le bibliophile se leva, poussa un gros soupir de satisfaction, et se dirigea prestement vers son fils. « Je suis bien aise de te voir, mon enfant », fit-il d'une voix affectueuse et le visage illuminé d'un large sourire. Puis, avant que le jeune étudiant ait eu le temps de placer une parole, son père le prit par le bras et l'entraîna vers la vitrine où l'on pouvait admirer, placés en évidence, les précieux volumes qui, depuis une heure, faisaient partie de la bibliothèque. « Tiens », fit M. Sorbier, en désignant les somptueuses reliures, « c'est une édition rarissime de Molière, celle de 1734. J'ai cherché pendant près de quarante ans à la faire entrer dans ma collection ; aujourd'hui seulement j'ai pu réaliser mon rêve. »

Tandis que Paul contemplait en silence les dos richement dorés des « in-quartos », M. Sorbier lui fit brièvement la description et l'historique de la précieuse édition. Il crut même nécessaire de lui rappeler en passant la légère variante qui permettait de différencier les deux tirages.

En guise de péroraison, l'érudit bibliophile avoua à son fils, — mais sous le sceau le plus absolu du secret, — la somme qu'il avait payée pour entrer en possession du fameux Molière. C'était assurément beaucoup d'argent, mais, tous comptes faits, l'affaire était bonne : le financier, comme le bibliophile, pouvait s'estimer satisfait.

M. Sorbier avait terminé son discours. Avec impatience, il attendait les félicitations enthousiastes qu'en pareille circonstance Paul n'hésitait pas à lui adresser. Par atavisme, une œuvre d'art ou un beau livre ne laissaient jamais le jeune homme indifférent. Ce jour-là, fait étrange, Paul se contenta de répondre : « Mes compliments. »

— C'est tout ce que tu trouves à me dire ? répliqua le père un peu déconfit.

Le jeune étudiant se ressaisit brusquement ; d'une voix frémissante d'enthousiasme juvénile, il reprit :

Excuse-moi, papa... je suis un peu... dans les nuages... Malgré moi, je pense à autre chose...

— A quoi ? reprit M. Sorbier d'un ton sec, surpris par l'étrange attitude de son fils.

— C'est assez difficile à expliquer, fit Paul, visiblement embarrassé.

— Allons !... Raconte, mon petit, répliqua M. Sorbier, paternel et indulgent.

Le jeune homme réfléchit un instant, puis s'armant de courage, il reprit :

— Comme toi, papa, je me suis payé, une fantaisie !... J'ai fait une belle acquisition.

— Qu'est-ce que tu t'es offert ? interrogea M. Sorbier, un peu troublé par cette première confidence.

Paul hésita une seconde fois, puis le dialogue se poursuivit entre le père et le fils.

— J'ai acheté une propriété.

— Fichtre !... Le Val-Fleury ne te suffît donc plus ?

— Non ! Un peu égoïste par tempérament, j'ai voulu acquérir un domaine dont je serai l'unique propriétaire.

— Tu vas bien, mon garçon ! Et cette propriété, est située ?

— Devine ?...

— Dans les environs de Paris ?

— Non.

— Dans le Midi ? Pas davantage.

— En Bretagne ou dans les Pyrénées ?

— Tu n'y es pas.

— Diable ! Diable ! Tu m'effrayes !

— Cherche...

— En France ?

— Non... plus loin.

— A l'étranger ?

— Si tu veux.

— Tu es fou, ma parole !

— Je le répète, c'est une fantaisie !

— Aux Indes, peut-être ?

— Plus loin encore.

— Songerais-tu par hasard à t'installer au Japon ou dans une île du Pacifique ?

— Il n'en est pas question.

— Alors, en Amérique ?

— Pas davantage. Plus loin encore.

— Tu m'exaspères... Assez ! Explique-toi...

— Eh bien, soit, fit Paul... J'ai acheté... une planète.

— Une planète ? Qu'est-ce à dire ?

— Une planète, une étoile, si tu préfères... comme Mars, Vénus, et tant d'autres...

— Tu es devenu fou, mon pauvre enfant, interrompit brusquement M. Sorbier, bouleversé par les paroles étranges de son fils.

— Pas le moins du monde, papa, répliqua Paul. Je le répète, j'ai acheté « une planète », une superbe planète, toute nouvelle, qu'un astronome vient de découvrir.

M. Sorbier s'effondra dans son fauteuil, et laissa tomber son cigare sur le tapis. Il regarda son fils avec stupeur, persuadé qu'il avait subitement perdu la raison. Paul enfourcha une chaise et s'installa devant son père. Il le regarda fixement, puis il partit d'un grand éclat de rire.

— Tu te payes ma tête, fit l'excellent homme, en se levant brusquement.

— Loin de moi la pensée de vouloir te manquer de respect, reprit le futur licencié. Ce que je viens de dire est sérieux ; si tu le permets, je vais te conter l'aventure.

— Si je le permets ! reprit M. Sorbier. Je te le demande instamment.

Le bibliophile, quelque peu rassuré, s'enfonça confortablement dans son fauteuil et tendit une oreille attentive.

— Voici comment j'ai été amené à acheter ma fameuse planète, fit Paul d'une voix un peu émue ; et le jeune savant fit à son père le récit suivant :

« Il y a une huitaine de jours, le Doyen de la Faculté des Sciences me fit appeler dans son cabinet. Je me rendis à sa convocation, non sans éprouver une légère émotion. Ma conscience, cependant, était tranquille : j'étais certain de n'avoir provoqué en Sorbonne ni bruit ni scandale. Un huissier me fit entrer dans l'austère cabinet de mon chef hiérarchique. Le Doyen, courbé sur son bureau, les yeux fixés sur un volumineux dossier, se redressa à l'annonce de mon nom. Il enleva son lorgnon et s'avança vers moi en me tendant la main. Ce geste bienveillant me réconforta. Une cordiale poignée de main finit par me rassurer complètement.

« — Vous êtes aimable de vous déranger, cher monsieur, fit d'un ton bienveillant l'illustre savant en me désignant un fauteuil.

« Très impressionné, je m'assis, tandis que le Doyen reprenait, sa place à son bureau. J'étais, je dois l'avouer, un peu troublé par cette réception aussi sympathique qu'imprévue. Le « cher monsieur » et le « fauteuil » me paraissaient exagérés pour un simple étudiant, candidat à la licence. Cependant, j'étais impatient de connaître le motif de cette audience, qui venait de débuter de façon si étrange. J'allais bientôt être fixé.

« A peine assis, le Doyen reprit en ces termes :

— C'est pour vous demander un petit service, cher monsieur, que je vous ai prié de monter à mon cabinet.

« Cette phrase nette et laconique suffit pour me mettre complètement à mon aise. Je cessai de regarder le bout de mes pieds, et je contemplai le Doyen, dont la voix douce et le propos inattendu avaient dissipé mon « trac ».

Paul interrompit son récit pour allumer une cigarette.

— Continue, fit M. Sorbier, vivement intéressé.

Le jeune homme poursuivit :

« Nous avons à la Sorbonne, me dit alors le Doyen, un savant russe du nom de Wasilieff ; il vient de faire de très belles découvertes en astronomie. Docteur de l'Université, il désire passer son « doctorat d'État », qui lui ouvrira les portes de l'enseignement. Faites-moi un véritable plaisir ; accordez un rendez-vous à ce savant, et bavardez seulement quelques instants avec lui. Il désire vous parler de ses découvertes ; elles sont remarquables, et j'ai pu moi-même en apprécier toute l'importance. »

Je répondis respectueusement au Doyen que je verrais très volontiers son protégé ; le jeune astronome n'avait qu'à venir au laboratoire de mon patron, où je passais la plus grande partie de mon temps. Le maître me remercia et me reconduisit jusqu'à la porte.

« Prévenu par un message téléphonique, M. Wasilieff, dès le lendemain matin, me rendit visite au laboratoire. Je m'installai avec lui dans un petit cabinet voisin, et nous bavardâmes un bon moment. Le savant russe m'exposa son affaire. Il commença par une autobiographie des plus intéressantes, et me fit ensuite un résumé très clair de ses travaux scientifiques. En manière de conclusion, il me déclara qu'il désirait passer son « doctorat d'État », mais qu'il lui manquait l'argent nécessaire pour faire imprimer sa thèse. Je devinai alors le service que M. le Doyen attendait de moi, et je proposai à l'astronome de prendre à ma charge la note de l'éditeur.

« — Je n'accepte pas, répondit avec dignité M. Wasilieff. Je ne suis pas un solliciteur, et il ne saurait être question entre nous d'un prêt d'argent, encore moins d'un don. Je désire conclure une affaire honnête et loyale. J'ai découvert dix planètes nouvelles ; elles sont ma propriété. Pour me faire de l'argent, je désire les vendre. Voulez-vous en acheter une ? Ce faisant, vous me rendrez un réel service.

« — La proposition, je l'avoue, me surprit, je crus même à une plaisanterie, mais l'astronome poursuivit :

— Sur les dix planètes, j'en ai offert une à la France, pour la remercier de l'hospitalité qu'elle m'a donnée, et une autre à l'Université de Paris, pour témoigner ma reconnaissance aux maîtres illustres qui m'ont aidé dans mes recherches. Les huit autres, je les mets en vente. Si tout ce que je viens de vous dire n'était pas l'expression fidèle de la vérité, M. le Doyen ne se serait pas intéressé à mes travaux, et ne vous aurait pas parlé de moi.

« L'astronome avait terminé son discours. Après un instant de réflexion, je répondis à M. Wasilieff que j'acceptais sa proposition, et que j'achetais, pour le prix qu'il désirait, une de ses planètes. L'astronome me serra la main avec émotion. Avant de se retirer, il ajouta :

« — Votre planète portera votre nom, et ma thèse pour le doctorat d'État donnera la description complète et la situation exacte de votre nouveau domaine.

« Voilà papa, comment je suis, depuis quarante-huit heures, l'heureux propriétaire d'une « planète », le paradis rêvé, où je n'aurai ni voisins gênants ni impôts à payer.

M. Sorbier avait écouté son fils avec une attention soutenue. Quand Paul eut achevé son récit, le bibliophile se leva, et prenant son fils par le bras, il lui dit d'une voix un peu émue :

— Mon enfant, je te félicite... Et je souhaite que tu ne t'en tiennes pas là !

Paul ne répondit pas, mais il tira de son portefeuille une lettre qu'il tendit à son père. M. Sorbier déplia le papier et lut à haute voix le texte suivant :

« Monsieur, je viens d'apprendre par M. Wasilieff de quelle heureuse façon vous êtes venu en aide à ce savant. Permettez-moi de vous adresser mes remerciements ; vous avez rendu un grand service à la science française.

« Le Doyen de la Faculté des sciences ».

André Pascal

(1) Livres imprimés avant 1500.

(2) Erreur typographique.

(3) Brunet, Manuel du libraire, tome III, col. 1798.

André Pascal - Les Débuts d'un Mécène (1926)

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