Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Le Blog de l'Amicale Des Amateurs de Nids À Poussière (A.D.A.N.A.P.) est un lieu de perdition dans lequel nous présentons revues, vieux papiers, journaux, ouvrages anciens ou récents, qui s'empilent un peu partout, avec un seul objectif : PARTAGER !

Deux articles sur Emile Driant, alias le Capitaine Danrit, publiés dans Le Journal des 18 mars et 10 avril 1916.

 

A lire aussi :

Capitaine Danrit sur Roman d'aventures

Capitaine Danrit sur nooSFere

Capitaine Danrit sur B.D.F.I.

Emile Driant / Colonel Danrit sur LittPop

Capitaine Danrit, La Guerre de demain (affiche) sur ArchéoSF

A télécharger sur ArchéoSF : Capitaine Danrit, "Le cyclisme militaire aujourd'hui et demain" (1894)

Capitaine Danrit : Tombé au champ d'honneur (1916)

Capitaine Danrit : Tombé au champ d'honneur (1916)

Tombé au champ d'honneur.

La mort héroïque sous Verdun du Colonel Driant.

La triste nouvelle que le Journal était, l'autre jour, le premier à annoncer, reçoit aujourd'hui son entière confirmation.

Le lieutenant-colonel Driant a été tué par une grenade, dans le bois des Caures. Il repose près de Beaumont. Un officier supérieur allemand aurait visité sa tombe. Les journaux allemands l'annoncent.

D'autre part, la Gazette des Ardennes dit que les déclarations des prisonniers français ont permis de connaître les circonstances de sa mort. Les groupes de chasseurs qu'il commandait étaient arrivés par bonds successifs jusqu'à la crête du bois de Ville, lorsque le lieutenant-colonel s'affaissa, en s'écriant : « Oh ! là, là ! mon Dieu ! »

Ce cri a été distinctement entendu par le sergent C... et le médecin B... Ce dernier vit que son chef venait d'être frappé à la tempe par une balle de mitrailleuse et que le sang lui sortait par la bouche. C... constata qu'il avait le hoquet et vomissait le sang à flots. Il était resté étendu à la place même où il était tombé, sur la hauteur.

Peu après, le sergent C... l'appela : « Mon colonel ! », mais il ne reçut aucune réponse ; le lieutenant-colonel Driant était mort.

Personnalité marquée et multiple, Driant avait partout inspiré l'estime et la sympathie. Officier, puis homme politique, il avait eu aussi une carrière curieuse comme homme de lettres. Tout le monde sait qu'il fut officier d'ordonnance du général Boulanger, dont il épousa la fille, et qu'il quitta volontairement l'armée comme chef de bataillon, en 1906, pour être élu peu après député de Nancy.

Sous le pseudonyme de capitaine Danrit il avait écrit beaucoup d'ouvrages à succès : la Guerre fatale, la Guerre de demain, l'Invasion Jaune, la Révolution de demain.

Dans le plus connu de ces livres : la Guerre de demain, publié en 1889, il est curieux de retrouver aujourd'hui des anticipations assez perspicaces.

Ses héros, qu'il suppose assiégés dans le fort de Lionville, utilisent les procédés de défense et d'attaque de la guerre actuelle. Et notamment les fils de fer barbelés qu'il décrit avec précision :

« Des piquets de 30 à 40 centimètres sont enfoncés en terre en quinconce à sept mètres les uns des autres, et le fil de fer qui se croise à leur sommet forme une toile invisible où l'assaillant vient s'abattre sans l'avoir soupçonnée. »

L'auteur parle des obus-torpilles pesant de 80 à 100 kilos, des grenades à main. Il insiste sur l'éventualité des bombardements intensifs sur un front restreint et sur l'utilisation de canons lourds pour la réduction des forteresses.

Les projectiles asphyxiants n'avaient pas non plus échappé à sa perspicacité. Il les voyait composés de gaz délétères plus mauvais que l'oxyde de carbone et se dégageant au milieu d'une fumée épaisse produite par la combustion du goudron.

Des inventions, à cette époque dans l'enfance, aujourd'hui au point, l'avaient préoccupé : les dirigeables, les canons et les projectiles spéciaux nécessaires pour les atteindre, les microphones pour signaler l'approche des troupes. Surtout, il avait prévu le rôle décisif de l'artillerie lourde et des mitrailleuses, c'est-à-dire des armes qui, de fait, décident maintenant du sort des batailles.

Aussi, après avoir honoré son courage, nous a-t-il paru juste de rendre hommage à sa clairvoyance.

Capitaine Danrit : Tombé au champ d'honneur (1916)

Capitaine Danrit : Tombé au champ d'honneur (1916)

Capitaine Danrit : Tombé au champ d'honneur (1916)

Capitaine Danrit : Tombé au champ d'honneur (1916)

Souvenirs inédits d'un héros

Écrits et paroles du colonel Driant
Sa dernière lettre le 20 février

C'est entre Beaumont et Flabas, à la lisière du bois des Caures, que les ennemis ont respectueusement inhumé le corps du colonel Driant. On imagine dans cette clairière ravagée par la mitraille, dans ce paysage désolé où s'était prodigué tant d'héroïsme, le simple et glorieux tumulus, suprême hommage d'un adversaire loyalement combattu et qui s'incline devant la bravoure.

C'est que les assaillants avaient appris à connaître l'officier qui défendait ce point de nord Verdun ; ils savaient ce que ce merveilleux entraîneur d'hommes avait fait des 56e et 59e bataillons de chasseurs à pied ; ils savaient qu'un tel homme (il l'avait déclaré) ne serait jamais tombé vivant entre leurs mains et que, adoré de ses soldats, il devait être suivi par eux jusqu'au dernier sacrifice.

Sa grande force, c'était l'Exemple. Ses subordonnés pouvaient le regarder vivre ; il soutenait sans peur parce que sans reproche. Et il est loyal de noter ici, sans effleurer d'un jugement cette constatation, que Driant était soutenu par une foi religieuse sincère et profonde.

Quelques documents inédits, dont nous devons la communication à l'obligeance de ses proches, diront mieux que toutes paroles d'emprunt l'étroite union d'idéal qui soudait le chef à ses officiers, à ses sous- officiers et à ses soldats.

Nuit d'allégresse

Pour en donner l'impression nette et grandiose, il suffit d'ouvrir une de ces lettres.

Quelle belle nuit, la nuit dernière, si tu savais ! Nous venions d'apprendre le succès de l'offensive de Champagne. Il fallait le faire savoir aux Boches.

Je suis parti au bois à onze heures, quand la lutte d'artillerie d'ici eut pris fin et que la lune parut. Tous les chasseurs savaient déjà la nouvelle par le téléphone et, à minuit, ils s'étaient réunis dans leurs tranchées, quittant tous les travaux de sape que l'on ne peut faire que la nuit. Je fis lancer une fusée blanche de la tranchée centrale où j'étais, et alors tous entonnèrent à pleine voix la Marseillaise.

Dans la nuit calme, c'était saisissant et je me représentais, dans toutes les tranchées environnantes, les Boches écoutant. Puis, dans les villages que nous occupons, les cloches sonnèrent à toute volée.

Enfin, au point I, où on n'est qu'à quinze mètres d'eux, un chasseur, quand les chants furent éteints, lut à très haute voix en allemand le communiqué français donnant le détail de la victoire ; après quoi, on lâcha sur tous leurs créneaux une bordée de coups de fusil auxquels ils ne répondirent point.

Je passais ensuite dans toutes nos tranchées, leur commentant les résultats.

J'avais fini à cinq heures du matin ; nous étions cinq, dont l'abbé D... Je lui suggérai de dire la messe à l'intention des actions de grâce à rendre, ce qui eut lieu dans le boyau où se trouve la chapelle de P... de M... et je rentrai à Somogneux à sept heures, où je dormis comme un plomb jusqu'à midi. Mais quelle joie partout !

Un ordre du jour

C'était alors les heures d'attente passées à scruter les mouvements de l'ennemi ; puis ceux-ci accentuèrent leur menace. Alors vinrent les minutes décisives, et dans un ordre du jour qu'on nous permettra de publier aujourd'hui, puisqu'il est datée du 20 janvier, le colonel Driant sut adresser à ses soldats les paroles qu'il fallait :

Les mouvements ennemis constatés dans la région nord de Verdun, les reconnaissances opérées sur notre front en vue de le renforcer, la suspension des permissions, tout semble indiquer que l'offensive allemande a choisi pour se manifester prochainement le front de notre division.

L'heure est donc venue pour les gradés et chasseurs des deux bataillons de se préparer à l'action et pour chacun de réfléchir au rôle qui va lui incomber. Il faut surtout que, à tous les échelons, on soit pénétré de l'idée que, dans une lutte morcelée comme celle qui s'apprête, nul ne doit se retrancher derrière l'absence d'ordres pour rester inerte. Multiples seront les interruptions de communications, fréquentes les occasions où des fractions de tout effectif se trouveront livrées à elles-mêmes. Résister, arrêter l'ennemi par tous les moyens, telle doit être la pensée dominante de tous : les chasseurs se rappelleront surtout que, dans les combats auxquels ils ont assisté depuis dix-sept mois, ils n'ont laissé, entre les mains de l'ennemi, d'autres prisonniers que les blessés. Les chasseurs ne se rendent pas.

Enfin, que les chasseurs aient pleine confiance. Nulle part, depuis seize mois, les barbares n'ont pu passer, ils ne passeront pas à Verdun. Les 56e et 59e bataillons prouveront une fois de plus, si l'ennemi leur en offre l'occasion, qu'ils savent ce que leur commandent l'honneur militaire et le devoir envers la patrie.

Aussi bien n'avait-il pas besoin d'en dire si long. Un mot de lui les électrisait ; tous ceux qui lui ont survécu l'affirment. Ils se faisaient gloire d'être « ses chasseurs », et l'un d'entre eux avait rimé et rythmé une marche vaillante qui était devenue leur cri de ralliement. Voulez-vous en lire un couplet :

Ce sont les chasseurs de Driant,
S'il te faut encore, ô ma France,
Pour que fleurissent par nos champs
La foi, la fierté, l'espérance.
S'il te faut encore plus de sang,
Prends leur sang avec leur souffrance
Pour refleurir le vieux sol franc,
Car c'est le meilleur sang de France,
Le sang des chasseurs de Driant.

Et il leur rendait en affection, en dévouement attentif toute cette sympathie confiante qui montait vers lui ; mais aucun de ces sentiments ne faisait cependant mollir ses résolutions.

Lignes suprêmes.

Dans le coin de la tranchée-abri, où il a écrit, le soir du 20 février, sa dernière lettre, sa main n'a pas tremblé devant la certitude imminente du choc. Et ces lignes suprêmes, à qui la mort allait donné la valeur sacrée d'un testament moral, sont d'une si simple beauté, qu'elles doivent être connues de tous.

Je ne t'écris que quelques lignes hâtives, car je monte là-haut encourager tout mon monde, voir les derniers préparatifs.

L'ordre du général X..., hier, prouve que l'heure est proche. Leur assaut peut avoir lieu cette nuit, comme il peut encore reculer d'un jour ou deux. Le premier choc sera terrible ; les Allemands emploieront flammes et gaz ; nous le savons par un prisonnier de ce matin. Mes pauvres chasseurs si épargnés jusqu'ici ! Mon cœur se serre, mais je suis très calme, — je ferai de mon mieux. A la grâce de Dieu ! J'ai toujours eu une telle chance que j'y crois encore pour cette fois. Mais comme on se sent peu de chose à ces heures-là...

Et une balle est venue frapper en plein front ce vrai soldat de France ; elle l'a couché à jamais sur cette terre des marches de l'Est où son imagination de romancier avait vu jadis se dérouler toute une épopée de la revanche.

Capitaine Danrit : Tombé au champ d'honneur (1916)

Capitaine Danrit : Tombé au champ d'honneur (1916)

Capitaine Danrit : Tombé au champ d'honneur (1916)

Capitaine Danrit : Tombé au champ d'honneur (1916)

Capitaine Danrit : Tombé au champ d'honneur (1916)

Capitaine Danrit : Tombé au champ d'honneur (1916)

Capitaine Danrit : Tombé au champ d'honneur (1916)

Capitaine Danrit : Tombé au champ d'honneur (1916)

Commenter cet article

Présentation

 

Le Blog de l'Amicale Des Amateurs de Nids À Poussière (A.D.A.N.A.P.) est animé par :

 

(Photographie : Jean-Luc Boutel)

 

Christine Luce

 

Samuel Minne

 

Fabrice Mundzik

 

Liste des contributeurs

 

Articles récents

Quelques dépoussiéreurs :

e-Bulles d’encre

 

À propos de Littérature Populaire

 

Sur l’autre face du monde

 
Les Moutons électriques