"La Grotte du génie des Mines", signé Jeanne-Bénita Azaïs, fut publié dans La Jeunesse illustrée n°364 du 13 février 1910.
Les trois illustrations qui l'accompagnent sont de Carsten Raven (1859 - 1914).
A lire aussi :
Jeanne Bénita Azaïs, Nouvelliste pour la jeunesse et poètesse
Andrée Dubois-Millot - Le Cheveu d'Or (1956)
Belle comme la fleur dont elle portait le nom, Rose était pour tous les sujets du royaume de son père « la bonne demoiselle. » Son cœur était si pitoyable au malheur que, lorsqu'on avait une supplique à adresser au roi, on chargeait toujours la princesse Rose de la remettre à son père, et le monarque, malgré son caractère inflexible, était sans force pour sévir, lorsque sa fille haussait vers le sien son doux visage pour l'embrasser en lui demandant quelque chose.
Aussi, partout où passait Rose, était-elle saluée d'une bénédiction et d'un sourire, au grand scandale de sa dame d'honneur qui ne comprenait pas qu'une fille de roi pût « se commettre avec des manants ».
Cependant, malgré les prières de sa fille, le roi se laissait aller souvent à son naturel emporté. C'est ainsi qu'il déclara la guerre à un souverain du voisinage qui, plus puissant que lui, envahit ses États avec une troupe considérable.
Réfugié avec tout ce qui restait d'hommes valides dans le palais royal, le monarque résolut de se défendre jusqu'à la mort. Mais songeant à sa fille qui devait trembler de peur, il la confia à ses dames d'atour, dans la chapelle du palais.
Rose pleurait, toute tremblante, car le bruit de la fusillade arrivait jusqu'à elle et lui causait une frayeur indicible. A un vacarme plus fort que les autres, toutes les femmes, effarées, quittèrent la chapelle, laissant la pauvre Rose toute seule. Comme elle allait fuir à son tour, une dalle se souleva et la tête d'un bûcheron, qu'elle avait sauvé jadis de la corde, apparut dans l'ouverture.
— Je pensais bien que vous étiez, ici, ma bonne demoiselle. Le château est menacé, suivez-moi et n'ayez pas peur, je vous sauverai, dit-il à voix basse.
— Et mon père ? demanda Rose en pleurant.
— Ne vous tourmentez pas, bonne demoiselle, on ne lui fera aucun mal et, s'il en est besoin, plus lard, nous le sauverons à son tour.
Des cris éclataient plus proches : Rose n'hésita plus et se laissa emporter par le bûcheron, tandis que la dalle se refermait sur eux...
L'homme, qui connaissait les tours et les détours du souterrain où ils étaient, marcha longtemps en portant son léger fardeau. Enfin, après deux heures de marche dans une demi-obscurité, il se trouva devant un orifice qui s'ouvrait en pleine forêt.
Brisée par la fatigue et par les émotions, la princesse dormait profondément, bercée par le pas régulier du bûcheron.
Quand elle se réveilla, elle était dans une pauvre cabane, couchée sur un lit de fougères sèches. Autour d'elle, une nichée d'enfants la regardaient curieusement, de leurs jolis yeux étonnés, tandis qu'une femme, jeune et active, chantonnait en berçant un poupon. A la vue de Rose qui la considérait craintivement, elle appela :
— Hanz, la bonne demoiselle vient de s'éveiller.
Aussitôt, Hanz montra sa bonne figure dans l'entre-bâillement de la porte.
— Vous voilà reposée, mademoiselle, et bien en sûreté, dit-il. Personne ne songera à venir vous chercher ici, et, tant qu'il y aura un morceau de pain dans la cabane du pauvre bûcheron, il sera pour la « bonne demoiselle qui me sauva de la mort ».
Rose ne dit rien, mais une larme de reconnaissance coula le long de ses joues. Elle tendit sa petite main à Hanz qui la serra avec précaution, et embrassa la jeune femme qui rougit de plaisir ; à cette vue les enfants approchèrent : — « Et moi ? — et moi ? » disaient-ils en se poussant les uns les autres. Rose les embrassa tous, et, un instant après, ils jouaient tous ensemble en riant, devant la porte de la cabane.
Cependant, au palais, le roi, voyant autour de lui tomber ses vaillants défenseurs, avait reconnu ses torts, et accepté la paix que lui proposait son rival. Sur-le-champ, un traité avait été signé, et quand, heureux, il avait couru annoncer la bonne nouvelle à sa fille, le monarque avait trouvé le chapelle vide. Fou de douleur, il l'avait fait rechercher, mais nul n'avait pensé que la jeune fille pût être chez Hanz le pauvre bûcheron.
Un jeune page, compagnon de jeux de la princesse, avait juré de la retrouver. A cet effet, il avait quitté le palais et était parti à sa recherche.
Pendant ce temps, ignorante de ce qui se passait autre part que dans la forêt, Rose courait et jouait avec les enfants de Hanz. Le grand air l'avait fortifiée ; ses joues, jadis un peu pâles étaient maintenant colorées d'un vif incarnat ; sa taille s'était développée ; bref, Rosé était maintenant une belle jeune fille. Les enfants l'adoraient et ne voulaient pas s'en séparer, et les rossignols des bois voyaient toujours Rose entourée d'une ribambelle de têtes fraîches et rieuses qu'elle caressait doucement. La pensée de son père, dont elle ne savait rien, venait souvent la troubler ; mais, Hanz avait juré de s'occuper de lui, et de le sauver, et Rose, confiante en lui, tâchait d'être forte.
Un jour, le bûcheron, en abattant un gros arbre, tomba malheureusement et se cassa la jambe. Il dut s'aliter : le pain se faisait rare, l'argent manquait au logis, et malgré tout, le pauvre ménage se gardait de murmurer, heureux et fier de se priver pour celle qu'il considérait toujours comme sa bienfaitrice.
Mais Rose était trop délicate pour accepter ce sacrifice. Elle résolut de quitter les bûcherons sans leur rien dire. Un matin, de bonne heure, alors que tous dormaient dans la cabane, elle sortit furtivement et s'en alla dans le bois. Son cœur était bien gros à l'idée de quitter ces braves gens qui l'avaient abritée du péril, mais elle songeait qu'elle leur rendait un service, et cela la consolait.
Il y avait longtemps qu'elle marchait au hasard dans la forêt ; la nuit allait venir, et elle ne savait où elle se trouvait. Avisant une éminence de terrain, qui s'étendait inculte, aride et rocailleuse, elle monta au sommet, ayant la forêt à ses pieds. Mais, arrivée au faîte, elle aperçut des jets de flammes bleues qui semblaient sortir du sol et éclairaient la nuit qui tombait peu à peu. Frissonnante de peur, elle redescendit précipitamment. Au moment où elle arrivait en bas, elle aperçut à quelques pas un cavalier qui regardait avec attention les colonnes de feu.
Effrayée à nouveau, Rose ne savait où se réfugier. Ce cavalier lui faisait peur, car elle était devenue méfiante, à la suite de ses revers. Tout d'un coup, elle vit derrière elle une anfractuosité de rochers. Y entrer et s'y cacher fut pour elle l'affaire d'un moment. Mais quand elle fut là, elle retint un cri d'admiration. Autour d'elle, s'étendait une immense salle aux parois lisses et polies, semblables à du charbon plus gras et plus brillant que celui de chez Hanz.
Un jour plus clair et plus éclatant que la lumière des torches régnait dans cette salle. Comme la princesse restait interdite, elle vit devant elle un vieillard aux yeux perçants et à la grande barbe qui lui dit en s'inclinant :
— Vous êtes ici chez le génie des mines, princesse. La grotte que vous voyez, est la mine des Houilles. Comme je vous sais bonne, je veux vous aider à enrichir les pauvres bûcherons que vous avez quittés pour soulager leur misère. Les parois et les entrailles de cette mine sont faits d'une sorte de charbon de terre, qui rendra de grands services à l'humanité. Si les hommes savent chercher et travailler, ils pourront avec cette houille, arrachée de l'intérieur du sol, se chauffer, comme avec le bois ; ils trouveront la Vapeur, une force invincible, qui fera mouvoir les machines sans le secours d'ouvriers ; ils paveront en bitume les rues de leurs villes ; ils pourront soulager leurs maux avec le goudron qu'ils en extrairont, et, enfin, ils pourront s'éclairer, en enflammant le gaz qui s'échappe de la houille au contact de l'air !
— Je comprends, maintenant, d'où venaient ces colonnes lumineuses qui m'ont effrayée, s'écria la princesse. Oh ! merci, génie des mines, merci pour votre bonté !
Mais le génie avait disparu, et Rose, épuisée de fatigue, s'endormit aussitôt en rêvant à la joie de Hanz, quand elle lui montrerait ces richesses.
Commenter cet article