Un fait-divers très intéressant défraya les chroniques en 1897 : l'apparition d'un objet volant non identifié (bien avant la création de cette appellation), puis identifié, mais en fait non, encore que... Bref, une belle embrouille en cette fin de siècle !
Commençons avec la dépêche que l'on retrouve sous différents titres : L'Aéronef américaine, Le Navire aérien, La Navigation aérienne, Les Ballons dirigeables, etc...
A lire aussi :
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Cette information se retrouve dans de nombreux journaux, parfois à la virgule près :
Le Petit parisien du 18 avril 1897, publie aussi cette information, mais avec quelques réserves :
"Il parait que tous les télescopes des Etats-Unis sont, depuis quelque temps, braqués sur un appareil en forme de navire qui évolue au-dessus des villes, projetant des torrents de lumière électriques.
Il y a quelques jours, on a signalé, disent les journaux de New-York, l'apparition de cette aéronef sur des localités du Wisconsin et de l'Indiana. A Greenburg, dans ce dernier État, le professeur George Keeley aurait pu l'observer au télescope et apercevoir sur le pont de la nacelle qui est entièrement fermée un homme barbu d'environ cinquante ans et un jeune homme [...]
Il convient d'ajouter que les Américains eux-mêmes montrent quelque scepticisme à l'endroit de cette nouvelle découverte, et que le professeur Willis Moore, chef du bureau météorologique de Washington, croit qu'il s'agit d'une gigantesque farce."
Les journaux Le Rappel, ainsi que Le XIXe siècle, du 18 avril 1897, évoquent les paris lancés à son sujet, dans des articles strictement identiques :
"[…] Ce serait, croit-on, une lettre du fameux ballon dirigeable dont nous avons parlé et qui ne s'est encore manifesté aux yeux du public que par son éclairage nocturne.
Cependant, les bruits de son existence prennent consistance. C'est ainsi qu'à Greenburg, dans l'Indiana, le professeur George Keeley aurait pu l'observer au télescope et apercevoir sur le pont de la nacelle, qui est entièrement fermée, un homme barbu d'environ cinquante ans et un jeune homme.
Mais les détracteurs aussi sont nombreux et le professeur Willis Moore, chef du bureau météorologique de Washington, se montre encore sceptique. Il a déclaré à un correspondant du Journal de New-York qu'il n'avait reçu aucune information de l'observatoire de Kansas-City où l'aéronef a été, dit-on, aperçue. Il croit qu'il s'agit peut-être de quelque gigantesque farce comme celle qu'imaginèrent, il y a quelque temps, des mauvais plaisants de San-Francisco qui lancèrent des ballons auxquels étaient attachés des produits chimiques lumineux.
Si la nouvelle est fausse, elle n'en aura pas moins été un sujet de paris, car déjà, dit-on, des syndicats de parieurs se sont formés pour et contre le mystérieux aérostat."
Dans le journal de Georges Clemenceau, La Justice, un article est même publié en première page, le 18 avril 1897. On y apprend qu'une rumeur d'explosion de l'engincircule aussi :
"L'opinion publique, aux États-Unis, continue à être violemment surexcitée par l'apparition mystérieuse dont nous avons entretenu nos lecteurs [...]
La nouvelle d'après laquelle l'aéronef aurait éclaté paraît fausse, car on signale son apparition le 13 avril sur des localités du Wisconsin et de l'Indiana."
C'est même un dossier complet, sous le titre "Un mystérieux aérostat", qui est publié dans Chronique de la Jeunesse, supplément du Journal de la Jeunesse n°1274 du 8 mai 1897 :
Les journaux des États-Unis sont remplis depuis quelque temps des récits les plus extraordinaires au sujet d'un mystérieux aérostat qui sillonnerait en tous sens le ciel de l'Union. Est-ce une mystification ? un canard ? ou bien vraiment se trouve-t-on en présence d'une nouvelle et merveilleuse découverte ? Quoique nous penchions pour la première opinion, nous ne voulons pas nous prononcer, puisque le mot de l'énigme n'a pas encore été trouvé et que la question semble avoir été prise au sérieux par des personnages scientifiques. Nous nous contenterons pour le moment de mettre sous les yeux de nos lecteurs l'exposé de ce rébus aérien tel qu'il nous a été envoyé successivement par les journaux américains.
Dans les premiers jours d'avril on écrivait « Les habitants de toutes les villes, depuis Omaha jusqu'à Chicago, ont été très intrigués par l'apparition dans le ciel, ces nuits dernières, d'une lueur intense qui se mouvait avec une vitesse de cent kilomètres à l'heure dans la direction de Washington. Les avis sont tellement partagés sur la nature de ce phénomène que, tandis que les astronomes y voient simplement l'éclatante étoile Alpha d'un rouge orangé, appartenant à la constellation d'Orion, ou un météore, M. Harmar, secrétaire de l'Association aéronautique de Chicago, déclare qu'il s'agit en réalité du projecteur électrique d'un navire aérien construit par le professeur Chanute avec le concours de plusieurs capitalistes et qui fait son voyage d'essai avec trois personnes à bord. »
D'après le New-York Herald, cette version serait décidément la bonne. « L'énigmatique boule de feu décrivant des mouvements capricieux horizontaux et verticaux ne pouvait, à moins d'admettre une apocalyptique danse des étoiles, appartenir à notre système planétaire. D'autre part, elle projetait sur la ville de Chicago des traînées de lumière comme un phare électrique, et on aurait de plus obtenu en plein jour la photographie instantanée d'une étrange machine ayant la forme d'un énorme cigare, de dix mètres de long, et planant à une altitude de sept à huit cents mètres sur le Rogers Park. A en croire les témoins oculaires et leurs déclarations sous serment, le navire aérien n'avait ni voiles ni ailes. La partie supérieure parait consister en un cylindre en forme de cigare, terminé en pointe aux deux extrémités et recouvert de soie, comme les aérostats connus. Au-dessous était suspendue une nacelle nouveau modèle où manœuvrait l'aéronaute, qui aurait découvert le secret de la navigation aérienne. Il est exact qu'un certain nombre d'inventeurs américains travaillent depuis quelque temps à la solution de ce problème et promettent des merveilles. Est-ce cette promesse qui vient de se réaliser ? On attend anxieusement, pour répondre à cette question, un nommé Clinton qui vient d'adresser à l'exposition du Trans-Mississippi une lettre annonçant qu'il exposera, la semaine prochaine, un navire aérien de son intention. Peut-être est-ce lui qui réalise ce fantastique voyage dans les airs auquel on a encore quelque peine à croire, même dans le pays de M. Edison, qui est aussi celui de la nouvelle sensationnelle. »
Quelques jours plus tard, une dépêche d'Appleton (Wisconsin) annonce qu'une lettre qu'on prétend venir de la fameuse aéronef qui tient en ce moment braqués tous les télescopes des États-Unis a été ramassée près de cette localité. Elle était attachée a un poids en fer et est ainsi conçue d'après le New-York Herald :
A bord de l'aéronef Pégase,
9 avril 1897.
« Le problème de la navigation aérienne est résolu. Ceux qui écrivent cette lettre ont passé tout le mois dernier à croiser dans les airs à bord du Pégase et ont démontré de toute évidence que leur invention eut un succès complet.
« Nous avons pu atteindre une vitesse de 250 kilomètres a l'heure et une altitude de 2500 pieds au-dessus du niveau de la mer.
« Le Pégase a été construit dans un lieu isolé, a 16 kilomètres de Lafayette (Tennessee). Les diverses pièces de la machine y ont été apportées de Glasgow (Kentucky). Dans un mois notre demande de brevets pour une aéronef a plans parallèles sera télégraphiée simultanément à Washington et dans les capitales européennes.
« L'appareil est mû par la vapeur, éclairé par l'électricité et peut porter jusqu'à 300 [sic] kilos. »
On ne dit pas si la lettre est signée et l'on ignore donc quel est le capitaine Nemo de ce Nautilus aérien.
Les histoires les plus extraordinaires continuent à remplir les colonnes des journaux américains au sujet de la mystérieuse aéronef.
D'après un rapport de Kalamagoa (Michigan) publié par le Herald, des habitants de cette localité ont vu la « machine » faire explosion dans les airs avec un bruit de tonnerre. On aurait recueilli comme preuve de la catastrophe une bobine électrique et une aile d'hélice d'une matière légère en partie fondue tombées dans la plaine. De plus, des ouvriers employés a couvrir une grange ont trouvé le lendemain matin les charpentes criblées de petites particules d'acier. L'aéronaute a été vraisemblablement volatilisé, car on n'a retrouvé aucuns restes humains.
Mais la nouvelle d'après laquelle l'aéronef aurait éclaté paraît fausse, car on signale son apparition, le 13 avril, sur des localités du Wisconsin et de l'Indiana. A Greenburg, dans ce dernier État, le professeur George Keeley aurait pu l'observer au télescope et apercevoir sur le pont de la nacelle qui est entièrement fermée un homme barbu d'environ cinquante ans et un jeune homme !
Malgré tout, le professeur Willis Moore, chef du bureau météorologique de Washington, se montre encore sceptique. Il a déclaré a un correspondant du Journal de New-York qu'il n'avait reçu aucune information de l'observatoire de Kansas City, où l'aéronef a été, dit-on, aperçue. Il croit qu'il s'agit peut-être de quelque gigantesque farce comme celle qu'imaginèrent, il y a quelque temps, des mauvais plaisants de San-Francisco, qui lancèrent des ballons auxquels étaient attachés des produits chimiques lumineux.
Cependant le 16 avril un télégramme du New-York Herald annonce que le mystérieux navire aérien aurait atterri avec un homme à bord, dans l'après-midi du jour précédent, près d'une petite localité du nom de Waterloo, située dans l’État d'Iowa, sur les bords de la rivière Cedar. Mais on apprend peu après que la prétendue descente du navire aérien n'était qu'une fumisterie imaginée par un Lemice-Terrieux de l'endroit qui avait fabrique une épave d'aérostat avec de la grosse toile et une carcasse de bois, simulant tant bien que mal une nacelle. Un millier de personnes se sont précipitées sur les lieux et ont constaté qu'elles étaient jouées.
Le New-York Herald est obligé de constater que le monde savant américain commence à perdre patience devant l'impossibilité d'obtenir des informations dignes de foi au sujet de l’aéronef qui commence a tourner au ballon fantôme.
Et pourtant, des rapports de citoyens respectables, de clergymen, de diverses localités de l'Iowa, continuent à affluer, affirmant que l'aéronef a été vue par eux en plein jour. Une déclaration sous serment d'un M. Waters, habitant de Birmingham, dans cet État, dit que lui et plusieurs autres personnes ont aperçu l'aéronef atterrissant dans la plaine à un mille de cette localité. Mais quand ils arrivèrent sur la place, l'aéronef s'enlevait dans les airs, tandis que deux hommes qui l'occupaient leur faisaient des signes de la main.
Tout cela n'est-il pas étrange et bien américain !
Peu d'informations par la suite, dans les journaux français. Continuons donc à suivre cette histoire, qui devient de plus en plus foutraque, dans les périodiques américains.
Tout d'abord, revenons quelques semaines en arrière, avant de poursuivre. The Saint Paul Globe du 13 avril 1897 : selon des témoins, le mystérieux aéronef aurait atterri afin de faire le plein de provisions. Un nom serait visible : "Prosperity" [tiens, ce n'est plus "Pégase" ?] et serait en vol depuis plus de 5 mois [mais aucune précision sur l'origine de cette information...].
Wheeling Daily Intelligencer du 13 avril 1897 : les habitants de Chicago voient à leur tour le fameux "airship".
The Evening Times du 13 avril 1897 annonce qu'une semaine après sa première apparition, le vaisseau a été vu en au moins une dizaine d'endroits différents de l’État.
Un habitant, Walter McCann prétend avoir pris 2 photographies de l'engin.
El Paso Daily Herald du 13 avril 1897 révèle la supercherie montée par Walter McCann :
"McCann secured his "airship photograph" by hoisting a piece or canvass on a trolley wire. On the canvass was painted a picture of an airship and a kodak did tbe rest."
The Sun du 14 avril 1897 : des témoins affirment avoir vu des personnes dans l'engin.
The Saint Paul Globe du 14 avril 1897 donne de nouvelles informations, sur un ton plutôt humoristique :
"The aerial skipper indulged in a series of signals with his "yellow, red and green lights." Not being familiar with the code, those watching the ship were undecided as to whether the captain wanted a supply of naptha or a bicycle pump.
Some thought from the manner in which the lights "wabbled" that the ship might have broken its rudder in a collision with a stray comet, and that the crew was seeking permission to put in at St. Paul for repairs."
The Copper Country Evening News du 14 avril 1897 indique que le "mystère" est résolu:
"Arthur C. Lunn of Lawrence university watched the supposed airship carefully Monday night, and, after calculation has proven beyond a doubt that the supposed ship is the star Betelguese in the constallation Orion."
"
The Copper Country Evening News du 15 avril 1897 (le même journal qui annonçait la veille que l'engin n'existait pas, cf. ci-dessus) déclare que l'aéronef a explosé :
"The Aerial Mystery said to have exploded in Michigan [...] The descriptions given by them are somewhat at variance, but both agree in the assertion that the apparition was illuminated at both ends and moved through space with wonderful rapidity. They had scarcely time for their observations when a dull explosion was heard and the object disappeared."
Chariton Courrie du 16 avril 1897 :
"The imagination, worked upon by much reading in the daily papers concerningthe air-ship that some weeks ago first made its appearance to the people of Kansas, has finally revealed that wonderful aerial inhabitant to one of our own citizens.
[...] He thinks he couldn't have mistaken Venus for the headlight of an air-ship, because the clouds at the time obscured the planet from observation."
The Evening Times du 16 avril 1897 : l'aéronef dépose un message.
The San Francisco Call du 17 avril 1897 récapitule les apparitions de l'engin volant et ajoute que deux hommes ont été vus dans la nacelle.
Il dévoile aussi une nouvelle supercherie :
"It is about forty feet long and constructed like a giant cigar, with winglike attachments on the side and a steering apparatus in the rear. The whole is surmounted by a cupola or lookout chair on the roof. The queer craft appears to be built of canvas, subjected to a heavy coat of varnish. The pipe leading from the cone of the thing constantly emits a vapor, as if the motor power were steam. The man incharge is a stranger, in this section and carries a rifle to keep the people from too closely examining the machine. He secured permission from the farmer on whose land he is to keep his machine for a few days.
The man says he is on a voyage around the world, but was forced to alight for repairs, and that if the people do not believe he can fly through the air they can wait a day or two and he will give them a very startling free exhibition.
Late to-night the owner told a straight story of how, in company with a Mr. Stormont, he left San Francisco March 20, and gave every detail of the voyage up to the time of landing. It is said now the whole affair is a hoax and the machine was built by a local wag for the purpose of creating a sensation."
The Sun du 18 avril 1897 indique que le mystérieux objet volant a été étudié avec téléscope :
"the object was observed through a telescope and the outlines of the craft were seen. The person who caught this excellent view of the strange visitor and brought it near the earth by means of a powerful lens is Dr. Leo Caplan"
L'histoire fait la une de The Times du 17 avril 1897 :
The Evening Times du 20 avril 1897 : l'aéronef laisse un message et disparît derrière les nuages...
Un "homme mystérieux" affirme dans
qu'il s'agit d'éclaireurs venus de Mars pour tester les capacités défensives des Etats-Unis :à moins qu'il ne s'agisse du retour du Christ sur Terre ? Comme l'affirme ce prédicateur dans The Breckenridge News du 28 avril 1897 :
Par la suite, des histoire d'enlèvements d'enfants, de... chèvres, de vaches et autres délires furent ajoutées à cette longue histoire !
Bref... au final... aucune réponse claire...
Est-ce la création d'un inventeur de génie qui emballa l'imagination des témoins, au point de la décrédibiliser complètement ? Si tel est le cas, qu'est devenue cette aéronef mystérieuse ?
S'agit-il plutôt d'une supercherie de grande envergure qui dépassa son instigateur.
Probable... C'est en tout cas une belle histoire dans laquelle de nombreuses personnes ont fait preuve d'une imagination débridée !
Un dossier récapitulatif, de mars à mai 1897, est disponible en ligne sur ufodocarchive en cliquant sur ce lien (.pdf).
Cette aventure a donné une idée au The Saint Paul globe qui a publié dans son numéro du 9 mai 1897 un pleine page d'illustrations intitulée "Strange ships that sail in the skies" :
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