Taride, l'éditeur roi des cartes et des globes, des guides, le fidèle compagnon du voyageur et de l'automobiliste des premiers âges... Taride a aussi publié une série de fascicules photographiques « Notre Belle France », douze pages de clichés dont dix pleine page. Et l'éditeur les a reproduits soigneusement ces souvenirs sur papier glacé, léger mais solide. Des monuments, classiques et moins intéressants, mais aussi des instantanés animés de la vie d'autrefois, de l'architecture monumentale quand les cités n'étaient encore que l'esquisse de ce qu'elles allaient devenir aujourd'hui.
Les fascicules ne sont pas datés, l'information n'est pas disponible sur la toile, mais un gros cuirassé au nom étonnant, le "Suffren" me paraissait prometteur. Gagné ! il eut une courte et violente carrière, ce terrible bâtiment de la classe Charlemagne (je ne sais pas trop ce que cela veut dire, mais le terme est classe, c'est le cas de le dire). Mis à l'eau en 1899, il est torpillé par un sous-marin allemand le 26 novembre 1916 et coule avec ses 648 membres d'équipage, au large de Lisbonne. RIP tous ces hommes disparus loin des tranchées, ils furent noyés en quelques secondes d'après la notice wikipédia.
« Le cuirassé SUFFREN commandé par le Capitaine de vaisseau GUEPIN et se rendant de Gibraltar à Lorient a été coulé le 26 novembre 1916, vers 8 ou 9 heures du matin, à 90 milles à l’ouest des Berlingues, par un sous-marin ennemi qui réussit à s’approcher de lui en plongée sans être aperçu. Une explosion formidable se produisit qui laisse croire que la torpille a touché une soute à munitions. Vers 10 heures du matin, un cargo anglais passant sur les lieux du sinistre n’a rencontré que de nombreuses épaves. Aucun des membres de l’équipage du SUFFREN n’a survécu à cette catastrophe. »
in Guerre 14/18 - Citations Marines de Gilbert Delannoy (Lulu éditions)
Légende de la photo :
TOULON. — DEPART DU CUIRASSE « LE SUFFREN » Ph. A. Bougault. Toulon.
Le cuirassé Suffren est l'une des plus belles unités de notre flotte. I1 déplace 12.750 tonnes, mesure 126 mètres de long sur 21 mètres de large, est actionné par 3 machines de 16.200 chevaux. Son armement se compose de quatre canons de 3o5 millimètres en tourelles avant et arrière, 10 pièces de 164 millimètres, 8 pièces de 100 millimètres et 22 pièces de 47 millimètres complètent sa formidable artillerie. A l'avant 2 tubes sous-marins lance-torpilles. Vitesse : 18 nœuds à l’heure.
L'auteur du cliché est l'un des deux Alexandre Bougault (1851-1911 et 1875-1950), père et fils, renommés pour leur talent de photographes de la Marine. (pour les curieux : Net Marine)
À présent que les photographies ont trouvé leur place chronologique dans l'Histoire, les tout débuts du XXe siècle, c'est une balade, un voyage dans le temps guère lointain, il y a un peu plus de cent ans, que je propose à l'amateur.
Certains clichés, comme je le disais plus haut, n'ont rien d'exceptionnel dans leur sujet, les monuments souvent protégés ont peu changé. D'autres dits pittoresques exposent des endroits plus ou moins naturels, des vues de loin de paysages urbains ou de campagne et de montagne. Ceux-là réservent parfois des surprises inattendues. Plus encore les prises sur le vif, animées par des êtres humains dont on distingue la silhouette ou le visage voilé, vaquant à de mystérieuses occupations ou, eux aussi se promenant. Des objets, dont la grandeur n'auraient pas gagné seuls la faveur des photographes, apparaissent comme des minuscules témoignages de la vie quotidienne, vécue pourtant par la grande majorité des habitants de ces années 1900.
La technologie domestique offre quelquefois des bienfaits tout aussi étonnants, comme le scanner, une machine à laquelle je suis fidèle depuis mon premier modèle à main – et à moteur ! le produit high-tech de l'époque – acquis il y a près de vingt-cinq ans. Le dernier en date numérise de manière très convaincante en 600 dpi (pour les connaisseurs), et permet l'exploration en détail des images, surtout lorsqu'elles sont à l'origine de bonne qualité. Et puisque le cuirassé le « Suffren » a servi de datation au carbone, la visite commencera au numéro cinq. Cela n'a guère d'importance, les autres numéros sont contemporains, et je ne les possède pas tous. Ce sera une promenade photographique soumise à mes caprices, je n'en présenterai pas d'excuse, avec des agrandissements qui m'auront plu et peut-être des commentaires.
« M'sieurs-Dames, Mesdemoiselles et jeunes gens, voici donc comment ce bout de Terre vivait sous l’œil des photographes en 1910. Vous avez vu un fier bâtiment de guerre, toute fumée dehors, impétueux sur la mer grise. Et si l'on approche... »
Dégageant une colonne monumentale de fumée, équipé de canots de sauvetage qui n'eurent pas d'utilité, armé jusqu'aux dents sans avoir su éviter le naufrage... et peuplé.
Légende de la photo :
LE LAC D’ANNECY (Haute-Savoie). — DUINGT et TALLOIRES N D. Phot
Le Lac d'Annecy est réputé pour sa reposante intimité et la douceur ombragée des villages qui s’échelonnent sur ses bords. Talloires et Duingt s'y font vis-à vis : Duing. pittoresquement situé sur une presqu’île, dans un nid de verdure, avec à la pointe son château; Talloires, sur l’autre rive, entourée de vignobles et protégée contre les vents par le mont de la Tournotte. Ces stations rivalisent de charme, en reflétant dans le lac la grâce de leurs coteaux et les aspects souriants de leurs rives.
Le lac d'Annecy.
Légende de la photo :
LA SCHLUCHT (Vosges). — LACS DE LONGEMER ET DE RETOURNEMER N. D. Phot
Du haut de la Schlucht, qui relie les vallées de Gérardmer et de Munster, orv jouit de la vue d'un magnifique cirque de montagnes encadrant deux lacs ravissants, le lac de Longemer, et le lac de Retournemer. Tout alentour au milieu d’une végétation débordante, des milliers de sapins, de hêtres et de mélèzes s'épanouissent, couvrent les sommets, les coteaux, les versants et descendent en bataillons serrés jusqu'aux abords des lacs où se reflètent en beauté leurs masses verdoyantes.
Le lac de Longemer et le lac de Retournemer
Légende de la photo :
LA CITÉ DE CARCASSONNE (Aude). — LA PORTE D’AUDE.
L'ancien Carcassonne est le type de la cité militaire du moyen âge. L’accès principal sur le front ouest est la Porte d’Aude. C'est une formidable entrée défensive, protégée de tous côtés par des ouvrages crénelés ; à gauche de la porte, la Tour de la Justice bâtie au XIIIe siècle, entre deux courtines visigothes ; plus loin, la Tour Pinte, seul reste de l’occupation sarrasine, et, ensuite, le Château, dont la puissante masse rectangulaire forme le point culminant de la Cité.
Carcassonne et un seul visiteur par beau temps....
Légende de la photo :
TOURS. — LA LOIRE. — LE PONT DE TOURS N. D. Phot
Tours est la capitale de cette Touraine fleurie et parfumée dont on a dit qu’elle était « le Jardin de la France ». Elle étend son charme et sa grâce aux pieds de la Loire, à laquelle aboutit son artère principale, la rue Nationale, pour former la place des Arts, avec à droite l’ancien Hôtel de Ville et le Musée. Dans l'axe de la rue Nationale, le Pont de Tours réunit la ville à Saint-Symphorien. À proximité du pont, l’île Aucard projette la douceur de ses ombrages sur le fleuve.
Tours.
Légende de la photo :
LE HAVRE. — LA PLACE GAMBETTA. — LE BASSIN DU COMMERCE N. D. Phot
Le Havre séduit autant par la belle ordonnance de ses rues que par le mouvement de ses quais, de ses bassins et de sa jetée. La place Gambetta, située au cœur de la ville, est traversée par la rue de Paris qui descend à l'avant-port; ses deux squares sont ornés des statues en bronze de Bernardin de Saint-Pierre et de Casimir Delavigne, par David d’Angers ; elle est bordée à l’est par le Bassin du Commerce, affecté aux yachts de plaisance, aux torpilleurs et aux grands voiliers.
Le Havre sur les quais, forêt de mats et amas de tôle boulonnée et armée. Des caisses, des charrettes et des tonneaux, des flâneurs et des marins, un garçonnet en costume à la mode, toujours d'inspiration marine, la mer subjugue encore malgré les essais aériens. Et j'aimerais bien savoir ce que fabrique exactement l'individu derrière le pavillon, un sac de jute à la main, des marchandises probablement.
Légende de la photo :
BREST (Finistère). — PORT MILITAIRE ET PONT TOURNANT. N. D. Phot.
Le Port de Brest est situé à l’embouchure de La Penfeld; sur ses quais s’étagent d’immenses bâtiments, arsenaux ou chantiers. Dans le bassin, des navires de tous rangs, parfois même un cuirassé, qui, au sortir de la cale-sèche, s’apprête à regagner la rade. Au-dessus, le Pont tournant réunit les collines de Brest et de la Recouvrance ; il mesure 117 mètres de longueur et 27 mètres d'élévation. Du haut de ce pont, on assiste à un magnifique spectacle de travail et d’activité maritime.
Un complexe portuaire hallucinant, des gens partout, des bâtiments de toute sorte. Brest, ravagé depuis.
Légende de la photo :
CONSTANTINE (Algérie). — VUE GÉNÉRALE.
Constantine, vrai nid d’aigle entouré par les gorges du Rummel, donne une impression de farouche grandeur avec ses rochers de granit rouge et ses escarpements vertigineux. C’est par ce rude chemin que nos soldats, dans un magnifique élan d'héroïsme montèrent à l'assaut en 1837, pour aller planter sur le faîte le drapeau français. Constantine, quoique modernisée, a gardé sa physionomie arabe avec ses dédales, ses minarets, ses coupoles et, à son point culminant, « La Kasbah » .
Un petit coup de flonflons colonialistes, mais une cité extraordinaire et quelques linges séchant au soleil.
Légende de la photo :
LA MEIJE (Altitude 3,982 mètres). — LA GRAVE (Hautes-Alpes).
Il est peu de spectacle aussi émouvant que cette glorieuse muraille de rochers, couronnée d’un éblouissant écran de glaciers et de neiges. La Grave, bourg de 1,200 habitants, est située sur la Romanche au pied de la Meije, à 1500 mètres de hauteur.
Hautes-Alpes.
Légende de la photo :
ROUTE DE LA GRANDE CHARTREUSE (Isère). — LE PONT SAINT-BRUNO N. D. Phot.
La route, qui va de Saint-Laurent-du-Pont à la Grande-Chartreuse, entre, après Fourvoirie, dans une gorge rétrécie, c'est le Désert. Elle passe en encorbellement dans le roc même au-dessus du Guiers et aboutit au Pont Bruno. Décor de montagne impressionnant de beauté sauvage.
(note : la fin est partiellement coupée sur l'original)
Isère.
La dernière page n'est pas légendée, il s'agit de la quatrième de couverture et présente quatre vues. Ici Bordeaux, Clermont-Ferrand, Lyon et Marseille.
Bordeaux : Les Allées de Tourny. Un restaurant, un réclame pour la liqueur Mandarinette, charette à cheval et réverbères.
Clermont-Ferrand : Place Jaude, statue de Vercingétorix. Des promeneurs supris, et ce qui semble un restaurant derrière.
Lyon : Monument de Sadi-Carnot. Et un grand magasin : robes et trousseaux, nouveautés de Paris, probablement. Une réclame pour Ricolès, déjà, Chably et A la Scabieuse, qui semble vendre des colliers près d'un coiffeur. Lyon, à la pointe de la mode.
Marseille : La Canebière. Un panneau publicitaire en tissu qui vole, un trolley affichant une réclame pour Byrrh, des réverbères impressionnants et une belle colonne Morris..
(...à suivre)
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