"L’École des Détectives", par Claude Orval, fut publié dans la revue L'Image n°109 de 1934 (aucune indication de mois).
Les illustrations sont signées Hy Fournier.
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Six heures sonnèrent, Une sonnerie stridente s'engouffra dans les couloirs de la Compagnie d'assurances « La Mouette ». Avec un soupir de satisfaction, les employés se ruèrent aux vestiaires. M. Isidore Pouche quitta ses manches de lustrine, débarrassa sa place et, d'un tiroir, sortit une glace et une boîte. Il cala le miroir sur la table et étudia longuement son ingrate physionomie.
— Ils me reconnaîtraient ! murmura-t-il au bout d'un instant. Il vaut mieux me « camoufler » !
Il se badigeonna de vernis les joues et le menton, tira de la boîte une fausse barbe et se mit en devoir de la coller soigneusement.
Des lunettes noires complétèrent la transformation. Des employés revenus sur leurs pas formaient un cercle ahuri. Pouche se tourna vers eux, mit un doigt sur ses lèvres et souffla mystérieusement :
— Une filature !... Depuis trois jours, j'observe. Je crois pouvoir bientôt empêcher un mauvais coup. Ah ! l'aventure, mes amis ! Elle est partout, elle nous frôle sans cesse. Seulement, il faut savoir ouvrir les yeux !
Il considéra avec un sourire de pitié les mines stupéfaites de ses collègues, songea, en haussant les épaules, qu'ils allaient prosaïquement au café pour entamer d'interminables parties de belote ou de bridge et s'en fut...
...Mais, ce soir là, en quittant les bureaux de « La Mouette », Isidore Pouche était certain d’être enfin mêlé à un drame. Depuis trois jours, il surveillait les allures inquiétantes de trois individus à faces patibulaires, qui, attablés à la terrasse d'un petit café, guettaient obstinément l'entrée d'un hôtel borgne.
— C'est clair ! s'était dit M. Pouche. Ils attendent quelqu'un pour faire un mauvais coup. Mais je veille ! Pourvu que rien ne survienne pendant mes heures de bureau !
...En arrivant, il respira. Les trois hommes étaient là, et, malgré l'air indifférent qu'ils affectaient, Pouche ne se trompa pas aux regards distraits qu'ils jetaient, de temps à autre, sur la porte de l'hôtel.
— J'arrive à temps ! soupira-t-il, radieux.
Il s'installa non loin du groupe et fit mine de se plonger dans la lecture d'un journal. A une heure du matin, le café ferma et les derniers clients furent expulsés. Isidore Pouche se dissimula prestement dans le renfoncement d'une porte cochère et observa. Les trois individus s'étaient embusqués aux alentours de l'hôtel. Tout à coup, la porte du garni s'ouvrit et un homme parut. Il y eut un coup de sifflet, puis une ruée dans l'obscurité. Un cri jaillit et l'écho d'une lutte sauvage frappa les oreilles d'Isidore. Résolument, il s'élança et fonça au milieu du groupe confus des combattants.
Au hasard, il décocha de furieux coups de poing, qui lui furent rendus, et remarqua, avec une profonde satisfaction, que l'homme attaqué, profitant de cette diversion, s'enfuyait à toutes jambes. Cependant, sa joie fut courte. Il fut aussitôt entouré par trois êtres menaçants qui l'assaillirent avec un ensemble parfait, et, quelques minutes plus tard, roué de coups, meurtri, un œil fermé par une enflure violette, Isidore Pouche faisait une entrée lamentable dans les locaux du commissariat de police. Traîné par ses bourreaux qu'une rage insensée semblait bouleverser, il fut jeté dans une cellule à grand renfort de coups de pieds et de poings.
Abruti, assommé, sanglant, il passa une nuit affreuse, hurlant de douleur lorsqu'il remuait un bras ou une jambe.
Le lendemain, le commissaire de police l'interrogea sévèrement et ce ne fut pas sans peine qu'Isidore parvint à recouvrer sa liberté : il s'en tira avec une sévère réprimande et apprit avec stupeur que son intervention avait favorisé la fuite d'un dangereux repris de justice que trois inspecteurs venaient enfin d'appréhender.
Cette dure leçon ne le corrigea pas de son amour des aventures...
Quelques jours après, il montait son escalier, à une heure du matin, lorsqu'il s'aperçut que la porte qui faisait face à la sienne était entr'ouverte. Se félicitant intérieurement de ses facultés d'observateur toujours en éveil, il poussa doucement le battant et entra. Parvenu dans l'antichambre obscure, il ouvrit une porte au hasard et pénétra dans une pièce plongée dans les ténèbres. Il fit deux pas hésitants et, tout à coup, sursauta. Derrière lui, la porte venait de se refermer.
Quelqu'un le frôla, puis, brusquement, un plafonnier électrique s'alluma. Un homme était là, le revolver braqué. Isidore constata d'un coup d’œil qu'un désordre insensé bouleversait la pièce, et comprit qu'il venait tout bonnement de surprendre un cambrioleur en plein travail. Plus fort que sa terreur, un sentiment d'orgueil l'envahit : il ne lui restait plus qu'à arrêter le bandit pour avoir enfin une action d'éclat à son actif. Seulement, voilà. Rien de tel qu'un canon de pistolet braqué sur votre poitrine pour vous inciter à la prudence !
Fiévreusement, Isidore se remémora ses lectures, pensant que l'un de ses héros favoris avait dû se trouver dans une situation analogue et qu'il s'en était brillamment tiré... Un sourire se dessina sur ses lèvres : il avait trouvé !...
Le cambrioleur était debout au milieu de la pièce ; sous ses pieds, s'étendait une large carpette. Vif comme l'éclair, Isidore se baissa et d'une violente secousse tira le tapis à lui... Hélas !... La fatalité veillait !... A la seconde précise où il effectuait cette habile manœuvre, le bandit recula de deux pas, attiré par un bruit suspect venant de la rue, et, Isidore Pouche s'écroula lourdement sur le dos... Après quelques efforts, il émergea des replis du tapis qui l'ensevelissait et se releva, tout penaud... Son adversaire esquissa un geste menaçant, et, Isidore, avec un remarquable sang-froid, usa aussitôt d'un deuxième subterfuge réputé infaillible par les romans policiers.
Il regarda attentivement le browning toujours dirigé vers lui, sourit, puis, soudain, éclata de rire :
— Mais votre revolver est au cran de sûreté ! ricana-t-il.
Interloqué, le bandit regarda son arme, mais n'agit pas tout à fait comme l'espérait Isidore. Au lieu de vérifier le pistolet, simplement, il pressa la gâchette. Une détonation éclata, suivie d'un cri strident... La moitié d'une oreille arrachée par la balle, Isidore, hurlant de douleur, dansait au milieu de la pièce.
Inquiet de tout ce bruit, le cambrioleur s'esquiva, non sans décocher, en passant, un féroce coup de poing au malheureux mutilé. Isidore eut assez de sang-froid pour regagner précipitamment son logis, avant que les locataires, alertés par la détonation, n'envahissent l'appartement pillé...
Mais, comme ils avaient aperçu de la lumière sous sa porte, bravement les gens — heureux de ne s'être pas trouvés en présence d'un cambrioleur, car on ne sait jamais, c'est une race qui, souvent, a des réactions redoutables — heurtèrent l'huis. M. Pouche se garda de répondre. Les appels redoublèrent, impératifs, menaçants. Que faire ? M. Pouche se décida à ouvrir.
L'un des locataires, finaud, s'aperçut que l'oreille du digne Isidore saignait. Il le fit remarquer. Comme il fallait un coupable, on s'en prit au malheureux. Oui, c'était bien simple : au moment du règlement de compte, les cambrioleurs n'étaient pas tombés d'accord et M. Pouche avait été blessé par son complice. Et le pauvre homme eut toutes les peines du monde à faire éclater la vérité.
Cette dernière mésaventure dégoûta à jamais M. Pouche des actions d'éclat. Il se résigna à sa monotone existence. Mais, quelques mois plus tard, il se maria, et connut enfin une vie mouvementée !...
CLAUDE ORVAL.
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