Voici deux articles signés Clément Vautel, que l'on pourrait regrouper sous le titre générique : "L'Affaire de l'homonymie" !
Tout d'abord, "Holmès, Barbusse et Catulle", paru dans Prenez-moi ! (imaginez le brainstorming nécessaire avant de trouver ce titre !) n°14 du 22 septembre 1935, puis "Sherlockomanie", publié dans Le Gaulois n°11193 du 6 juin 1908.
Ils ne sont pas proposés dans l'ordre chronologique de parution, mais vous allez très vite comprendre pourquoi...
A lire aussi :
Georges Auriol - Éclatante Défaite de Sherlock Holmes (1911)
Alin Monjardin - Ou le plus malin des policiers, Saynète (1918)
Léo Marchès - Un émule de Sherlock Holmes (1924)
Claude Orval - L’École des Détectives (1934)
Marcel Brion - Un signe des Temps : Pathologie du Roman Policier (1934)
Georges Charensol - Les illustres inconnus : Maurice Leblanc (1931)
Frédéric Lefèvre - Une heure avec Maurice Leblanc père d'Arsène Lupin (1935)
Urs Widmer "Die lange Nacht der Detektive. Kiminalstück in drei Akten" (Diogenes - 1973)
Détectives rétro : une anthologie d'enquêtes excentriques (Les Moutons Electriques - 2014)
Voici, maintenant, cette fameuse « fantaisie » :
Sherlockomanie
Depuis quelques années, tout homme a dans la cœur un petit Sherlock Holmes qui sommeille. L'effrayante tragédie de Vaugirard vient de le réveiller.
Au cercle, dans le monde, au théâtre, au pesage, partout, on n'entend que des propos de ce genre :
— Hamard a-t-il bien examiné le parquet au microscope pour trouver des traces de pas ?
— Moi, j'aurais cherché des empreintes de doigts sur l'encrier...
— Le cordon est-il en chanvre ou en coton ?... C'est très important !
Chacun donne son avis. Le bridge en souffre, le flirt aussi. Car les femmes les plus détachées des vulgarités de ce monde cherchent passionnément le mot de l'énigme policière. Elles bavardent gentiment dans les coins :
— Voulez-vous mon avis ?...
— Sur votre nouveau chapeau ?
— Non, sur l'affaire Steinheil. Eh bien, écoutez...
Et voici la 37,385e version, — qui d'ailleurs est peut-être la bonne.
Sherlock Holmes est partout. On le rencontre surtout au café du Commerce où, devant une pile de soucoupes et non loin de la caissière figée entre deux pyramides de morceaux de sucre, il « reconstitue la scène du crime ». Ah ! s'il était le chef de la Sûreté, l'affaire serait vite tirée au clair, je vous assure ! Il ferait arrêter toutes les femmes rousses, tous les imprimeurs et tous les hommes barbus de Paris. Seulement, voilà, la police manque de poigne, de flair, de tout. Et toujours ce refrain :
— Ah ! si j'étais M. Hamard !
Être policier, suivre des pistes, relever des traces, examiner des empreintes, se lancer à la poursuite de criminels, tel est, semble-t-il, l'idéal de notre temps. Jusqu'aux enfants qui s'en mêlent !... Que dis-je, ils sont tous, ou presque tous, atteints de cette « sherlockomanie » aiguë.
— Petit Bob, que feras-tu quand tu seras grand ?
— Je serai général !
Ce dialogue date de dix ans.
Aujourd'hui, le petit Bob répondrait :
— Je serai policier !
Son ambition est de marcher sur les traces de Sherlock Holmes ou d'Arsène Lupin. Pour lui, le bonheur est de mettre la main au collet d'un malfaiteur masqué — sans masque, c'est moins bien — et de lui dire avec sang-froid :
— Un instant, mon gaillard, je vous arrête !
Des moralistes tireront à ma place des conclusions inquiétantes de cette diminution de l' « idéal de la jeunesse contemporaine ». Contentons-nous de constater ce fait que si les petits garçons du bon vieux temps — il y a dix ans c'était le bon vieux temps — rêvaient de conduire des régiments à la victoire, ceux d'aujourd'hui se contenteraient de conduire des apaches au Dépôt.
— Je veux un cheval ! disaient encore vers 1898 les petits Français.
Ceux de 1908 répondent :
— Je veux un cabriolet... pour le passer aux poignets des brigands masqués !
C'est au point qu'un de mes amis, fabricant de jouets, m'avouait l'autre jour :
— L'antimilitarisme, ou tout au moins le refroidissement du sentiment militaire, a de curieuses conséquences... Ainsi je ne vends presque plus de petits soldats de plomb.
— Vous croyez que les enfants ?...
— Oui, les enfants — et les parents — ne veulent plus de mes zouaves de Magenta, de mes chasseurs d'Afrique, voire de mes petits Japonais de Port-Arthur — trois francs cinquante avec le fort démontable et la boîte. Alors, j'ai eu une idée, une idée géniale !...
— Pas possible.
— Si, mon cher : j'ai renvoyé mes petits bonshommes à la fonte et je les ai fait transformer en apaches et en policiers... Aussi quel succès ! Cela s'enlève comme du pain... J'ai d'ailleurs plusieurs groupes : le Cambriolage, deux francs quarante-cinq avec voleurs, victimes et inspecteurs de la Sûreté ; le Panier à salade, joli et bien fait, démontable, avec prisonniers et garde municipal. J'ai même lancé un panier à salade automobile avec évadé qui se demande beaucoup. Mais mon triomphe, c'est la Rafle, avec apaches, femmes, agents, officiers de paix, becs de gaz et monsieur naïf et galant qui offre son bras... Sept francs cinquante tout compris. Je vous engage à offrir ce jouet à votre petit neveu, vous verrez, il sera ravi !
Cette sherlockomanie incite d'ailleurs beaucoup de gens à envoyer à M. Hamard des lettres où ils lui donnent des conseils sur les enquêtes en cours.
Depuis deux jours, le chef de la Sûreté a reçu plusieurs centaines d'épistoles relatives à l'affaire Steinheil. Il y en a d'extraordinaires... L'une contient ce passage :
« La colonie russe est nombreuse à Vaugirard. Je parie que ces assassins vêtus de longues robes noires sont bel et bien des popes authentiques. Voilà ce que nous vaut l'alliance franco-russe ! »
Il est vrai qu'une autre lettre accuse les Jésuites. A celle-là, il fallait s'y attendre ! Bref, chacun dit son mot dans cette affaire : malheureusement, ce n'est pas le mot de l'énigme. Mais notre petit policier intérieur — brigade centrale — tient absolument à faire briller ses qualités d'observation et de déduction.
J'attends le Sherlock Holmes qui ira passage Ronsin, reniflera des cailloux, grattera la batterie de cuisine, comptera les fleurs des tapis, puis s'approchera d'un monsieur en chapeau haut de forme et lui dira :
— Vous êtes Suédois, artiste peintre, amoureux d'une somnambule-manucure et myope... je vois cela à la couleur de vos cheveux, à la forme de votre cravate, à l'aspect de vos ongles et à votre lorgnon... Ce n'est pas tout : je lis dans vos yeux que vous êtes le coupable ! je vous arrête...
Et le monsieur en chapeau haut de forme sera M. Hamard.
Clément Vautel
Commenter cet article