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Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Le Blog de l'Amicale Des Amateurs de Nids À Poussière (A.D.A.N.A.P.) est un lieu de perdition dans lequel nous présentons revues, vieux papiers, journaux, ouvrages anciens ou récents, qui s'empilent un peu partout, avec un seul objectif : PARTAGER !

Roger Régent - Les Films d'anticipation (1930)

Plutôt qu'à imaginer l'avenir, les artistes du tous les temps ont davantage cherché, dans leurs œuvres, à interpréter le passé. Ceci n'était pas plus facile que cela, au contraire, et ils ont ainsi montré de la vaillance ; mais le cinéma qui est bien l'art le moins statique de tous, semble indiqué pour permettre aux grandes imaginations de se manifester à tous ceux qui regardent vers l'avenir, d'exprimer avec des images leurs utopies ou leur clairvoyance.

Cet art, vivant par excellence, capable de nous conduire au vertige, au rêve ou aux plus audacieuses réalités, a-t-il fait tout ce qu'il pouvait (j'écrirais presque tout ce qu'il devait) pour une expression artistique de l'anticipation ? Sûrement pas. Lorsque nous aurons vu tout à l'heure, les quelques seules œuvres qui, dans le genre, peuvent vraiment compter, nous nous apercevrons qu'il manque la grande chose qui dure : le monument qui défie les modes et qui résiste à toutes les écoles parce qu'il synthétise lui-même une époque, c'est-à-dire qu'il prend à chacune de ses écoles ce qu'elle a de plus pur et qu'il l'assemble.

Vraiment, nous avons beau chercher...

Roger Régent - Les Films d'anticipation (1930)

Mais il y a des objections à cela ! Sans doute ignore-t-on, dans le siècle où une œuvre est édifiée, qu'elle sera éternelle. Et puis aussi que le cinéma, jeune, ne saurait encore penser à l'éternité de ce qu'il donne ! (Cet argument pourtant est fragile, car le cinéma, le vrai, je veux dire l'expression muette par l'image animée, nous a donné quelques preuves assez considérables d'une fin artistique. Et, puisque le film silencieux semble avoir vécu, on doit pouvoir retenir quatre ou cinq œuvres qui constituent de véritables sommets dans la création de l'émotion humaine. Mais parmi ceux-ci, aucun film d'anticipation.)

Ou peut dire aussi, et justement, qu'il est difficile de prétendre à l'éternité — ou tout au moins à une solidité durable — en traitant du monde de demain. La fantaisie, l'imagination ont là une trop grande place et, surtout, parce que l'époque dont il est question finira toujours par arriver !... Il y a alors quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent pour qu'elle renverse les beaux rêves de la veille !

Pour ces raisons, il ne faut peut-être pas trop s'étonner de n'avoir aucune œuvre cinématographique durable dans le domaine de l'anticipation. Contentons-nous donc de regarder les quatre ou cinq films que l'on peut seuls retenir.

Le premier, naturellement, est le Métropolis de Fritz Lang. Ce naturellement ne signifie point que Métropolis soit de loin le meilleur film d'anticipation que nous ayons vu, mais simplement qu'il est le plus réussi, du seul point de vue esthétique qui nous occupe. En dehors de ses prétentions philosophiques et sociales — ce qu'il y a certainement de moins bon en lui — Métropolis, anticipation, est un film construit. Fritz Lang a imaginé un monde futur, a édifié selon ses idées quelques gigantesques maisons, nous a montré l'intérieur d'une usine monstrueuse et est enfin parvenu, par la magie de la lumière et de l'image, à nous faire voir la fabrication d'un être humain.

Roger Régent - Les Films d'anticipation (1930)

Il a réussi par une technique savante à nous faire admettre la vie de son personnage ou plus exactement son sens du mouvement. Lorsque l'alchimiste de Métropolis se livre dans son laboratoire à ses expériences sur son robot, nous ne sommes plus étonnés, à la fin, de le voir s'animer. (M. Roussel, l'auteur de Poussières de soleil, avait déjà, dans sa pièce R. U. R. rendu pensants et animés des êtres mécaniques qui gouvernèrent le monde). Dans Métropolis, la réussite technique nous intéresse seule. Voilà, dans l'anticipation au cinéma, le plus important et le plus beau passage fait jusqu'à présent.

Dans le même ordre, il y a la fin de L'Inhumaine, de M. Marcel L'Herbier. Jaque-Catelain, par le miracle du laboratoire, rend la vie à Georgette Leblanc, et le réalisateur a su rythmer une poésie de la machine, animer l'éclat du métal, donner enfin une âme à toutes ces forces mécaniques combinées pour engendrer la Vie.

La dernière manifestation du genre qui nous occupe vient de nous être donnée avec un film anglais : Point ne tueras. Malheureusement, son principal intérêt réside dans le sujet plutôt que dans la réalisation qui est seulement convenable. L'auteur veut nous montrer par quels heurts des forces internationales une guerre transatlantique pourrait être déclenchée en 1950. L'espace a de moins en moins d'importance et, comme l'a dit Paul Morand, la terre deviendra inhabitable et nous mesurerons son exiguïté le jour où le tour du monde coûtera 80 francs ! Pour son film, le metteur en scène anglais. Maurice Elvey, s'est attaché surtout à développer une thèse pacifiste et, à l'inverse de Fritz Lang, le côté esthétique de son film l'a moins occupé. Malgré l'inévitable stylisation de son cadre, il y a toujours une certaine sobriété dans Point ne tueras.

Roger Régent - Les Films d'anticipation (1930)

L'auteur est parti d'un point de vue différent, et il faut d'ailleurs le félicité d'avoir su éviter toute faute du goût. Bientôt, enfin, nous verrons le dernier film de Fritz Lang ; La Femme dans la Lune. Berlin a pu déjà juger cette anticipation, et les avis paraissent à peu près unanimes : technique remarquable au service d'un scénario médiocre. Nous sommes fixés : c'est un second Métropolis. Mais il convient tout de même de signaler que Fritz Lang s'est appuyé sur des données scientifiques exactes. Il envoie ses personnages dans la lune au moyen d'un obus propulsé par les explosions successives de fusées, ce qui est actuellement le seul moyen scientifiquement déclaré susceptible d'être étudie. Et cela nous permet de supposer que, plus que dans Métropolis, Fritz Lang, dans La Femme dans la Lune, s'est davantage préoccupé de son sujet...

Et je pense enfin au projet qu'avait Mosjoukine, il y a quelques années, de réaliser un film dont le titre est tout un  programme : 1975 ! Je ne sais quel sujet aurait imaginé Mosjoukine, ni sous quel aspect il nous aurait présenté le monde en 1975 ; de toutes façons il est dommage qu'il n'ait pas réalisé son projet. Peut-être a-t-il compris, comme je le disais plus haut, que l'on ne pouvait pas — ou si difficilement ! — faire d'œuvre éternelle dans l'anticipation. A moins que la fin du monde ne survienne avant l'époque considérée...

Roger Régent.

Roger Régent - Les Films d'anticipation (1930)

Roger Régent - Les Films d'anticipation (1930)

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