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Gus BOFA
Aucun signe extérieur ne permet de le classer. On reconnaît à première vue un photographe, un militaire, un poète ou un humoriste. Mais Bofa ?
Un jeune homme de bonne famille qui aurait passé dix années de sa vie à Oxford, puis à Heidelberg, qui aurait beaucoup lu, que l'ordre établi et les idées reçues auraient fait sourire dès l'âge de sept ans, qui se serait précocement construit, d'après ses expériences, une philosophie pessimiste douce, d'une anarchie de bonne humeur.
La guerre ? Un argument, dont il se serait volontiers passé, à sa thèse.
Convaincu de la méchanceté et de la bêtise universelles, Bofa prend plaisir à les vérifier dans les créatures. Il a créé un tragique de la bêtise ! Le monde lui apparaît comme un système arbitraire et stupide et c'est vraiment lui qui pourrait reprendre les paroles désolées du grand Will :
« La vie est une histoire racontée par un idiot et qui ne signifie absolument rien. »
Pour donner de l'ampleur à sa décision, Bofa choisit comme truchements des êtres mystérieux, d'une fantaisie qui étonne.
Le cauchemar est son lot. « Les monstres sur la voie », « la Vérité », « le Train mou », donnent le frisson d'angoisse, comme chaque fois qu'un poète nous fait toucher nos limites.
Bofa inquiète ; pas d'affirmation, d'assurance, de hurlement, non, mais le paradoxe, la question insidieuse, la contradiction sournoise, et il arrive à ses fins.
Son trait ne se rapproche d'aucun et on en garde la molle emprise. Ses légendes vous obsèdent.
Bofa occupe une place à part dans le peloton dense et si mêlé des dessinateurs d'aujourd'hui. Personne ne s'y trompe puisque c'est son nom qui vient à l'esprit quand on songe à tel livre éternel : Pantagruel, Don Quichotte, qu'il appartient à lui seul de commenter par le crayon.
Une création de Bofa : « l'Araignée », ce rassemblement de peintres, de dessinateurs, de décorateurs, d'éditeurs et d'écrivains réunis sous le signe de l'amitié.
Mais pourquoi l'Araignée ?
Vous n'en savez rien ; moi non plus ; Bofa non plus...
Bernard ZIMMER.
De la fantaisie envisagée comme formule énergétique
Il n'y a aucune vanité a reconnaître que depuis quelque dix ans, nous fabriquons de l'Histoire.
C'est une besogne, au demeurant, assez facile, puisque nous y réussissons honorablement sans avoir subi, pour ce faire, aucun entraînement préalable.
La tâche sera plus compliquée pour les historiens à venir, qui prendront souci de mettre cette Histoire au net, chaque événement classé à son rang, avec ses causes et ses effets épinglés à la boutonnière, et orné de mille hypothèses ingénieuses.
Pour nous,c'est tout simple : il n'y a qu'à se laisser vivre, en s'occupant de ses petites affaires, et l'Histoire se fabrique toute seule.
Il y a des époques comme ça !
Nous nous sommes laissé bluffer, quand nous étions petits, par les hommes de la Révolution et de l'Empire. Ils ne procédaient pas autrement.
Il est donc bien inutile de se donner du mal : les embusqués de la guerre sont tout aussi bien historiques que ces petits intrigants du front qui se firent amocher ridiculement, pour étonner la Postérité...
L'évidence de cette constatation a marqué profondément les hommes de la dernière génération.
De haut en bas de l'échelle sociale, on se résigne, depuis quelques années, à laisser l'Histoire se fabriquer soi-même, quittes à en suivre les développements quotidiens, dans son journal.
A voir les choses d'un point de vue philosophique, la manière en vaut une autre et ne donnera peut-être pas de pires résultats que l'activité concertée et frénétique de nos grands-pères.
Toutefois, la génération nouvelle ne paraît pas décidée à la même résignation ; une fièvre d'action la dévore, quel que soit, d'ailleurs, le sens de cette action.
Ces hommes jeunes cherchent, comme ils disent, constamment les combinaisons sociales nouvelles, les rythmes littéraires inédits, des formules d'art jamais vues.
Ils forcent la matière à se déformer vers des phénomènes ingénieux de leur invention — ils veulent créer, en un mot, et dans tous les genres.
Alors que leurs aînés, qui font, pour eux, figure de vieillards, se flattent d'agir prudemment, de progresser lentement, de recourir aux compétences et de nourrir leur action de traditions respectables et de notions expérimentales, ces jeunes brûlent les étapes, et ne se réclament que de la Fantaisie, seule féconde, et créatrice.
Je crois, pour ma part, qu'ils sont dans le vrai, et qu'ils s'arrangeraient fort bien de mener les affaires publiques du haut de cette Fantaisie.
Il vous suffira, pour l'admettre, de proposer à un de ces jeunes gens pleins d'une énergie redoutable l'un quelconque des grands problèmes de l'heure, qu'il soit de finances, de vie chère ou de circulation : vous pouvez être assuré qu'il en trouvera bientôt une solution élégante, logique, ingénieuse et absurde, que jamais ne s'aviseraient de découvrir les vieillards, réputés compétents, qui en ont mission.
Je me demande quel accueil eût reçu, en août 1914, du Grand État-major, le ministre intelligent qui serait venu lui proposer de confier la conduite de la guerre à un soldat de deuxième classe, enrichi, pour la circonstance, de broderies d'or et d'étoiles... assez nombreuses pour lui conférer l'autorité nécessaire.
Il paraît évident, pourtant, que seul un réserviste cultivé, mais réfractaire aux galons rouges de caporal, aurait pu concevoir un plan d'opérations assez audacieux pour courir la chance d'enfoncer le front allemand et de terminer la guerre au troisième mois, la responsabilité de la mise au point de ces opérations étant réservée à quelques généraux, blanchis sous le harnais et en possession de donner à ce plan la couleur locale et la forme traditionnelle indispensables.
En matière d'art et de littérature, où les jeunes hommes ont plus facilement accès que dans les Conseils de l'État, nous assistons à une révolution permanente.
Les titres d'école se multiplient où ne fréquente aucun élève qui ne soit résolu, à son tour, à bouleverser les poncifs nouveaux.
Cet exercice est sain pour le maître, à la fois, et pour l'élève — on ne saurait assez mépriser les aînés — leur situation éminente sert de but, d'abord, à leurs cadets, puis d'échelon, sur quoi ils posent le pied pour monter plus haut.
Beaucoup d'artistes et d'écrivains faibles et nonchalants se servent du respect dû aux maîtres comme d'une excuse commode à leur propre impuissance ; leur élévation justifie qu'ils ne s'efforcent pas à les atteindre et à les dépasser.
Je m'aperçois trop tard que ces considérations préliminaires ne me laissent plus le loisir de vous parler de l'Araignée, groupe d'artistes fantaisistes, pour la plupart excellents, dont le VIIIe Salon tient actuellement ses assises à la Galerie Devambez.
Cette distraction n'est d'ailleurs pas irréparable, puisque l'éminent critique d'art de Paris-Soir le fera, dans peu de jours, avec détails et infiniment plus de compétence.
Gus BOFA.
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