J. B. - Anticipation au bal des « Arts-Déco » (1937)

"Anticipation au bal des « Arts-Déco »" fut publié dans Le Journal du 1^er mars 1937.

Le texte est signé J. B. et n'est pas illustré.

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Une nuit en 2037, bal de l'école des Arts décoratifs (1937)

J. B. - Anticipation au bal des « Arts-Déco » (1937)

— En quelle année sommes-nous, s.v.p. ?

— En 2037.

— Fichtre !

Toute rutilante de blancheur et de clarté, la salle des fêtes de la Maison de la chimie (centre Marcelin-Berthelot) aux lignes pures, aux contours nets, retentit du brouhaha confus d'une foule élégante que domine la voix d'un orchestre moderne : c'est le bal organisé par la grande masse de l'École nationale supérieure des Arts décoratifs, ce bal qu'elle a voulu en 2037.

… Vieillot ! Retardataire ! Rococo ! Fini ! Ampoulé ! Rétrospectif ! Siècle dernier ! Très 1937 !

Telles sont, je crois, les réflexions que feront nos arrière-petits-fils du XXI^e siècle s'ils peuvent voir, un jour, ce qu'on a pensé d'eux en 1937, un certain soir de février.

On était très chic, pourtant. Les robes de soirée étincelaient auprès de la sobriété des habits noirs, cravatés de blanc.

Et puis, on était sérieux. On causait en prenant des mines de bon ton, avec des inflexions dans la voix, qui rappelaient l’expérience de plusieurs siècles de diplomatie.

On était mondain.

Les coiffeurs avaient coupé les barbes, les coiffeurs avaient frisé les cheveux. Beaucoup de jeunes premiers, nombreuses jeunes premières. Émules de Clark Gable, de Gary Cooper, de Robert Montgomery, de William Powel ; petites sœurs de Joan Crafford, de Joan Blondell, de Marlène Diétrich. C'était comme une transposition d'Hollywood...

— Oh ! pardon, monsieur l'infirmier.

— Je ne suis pas infirmier, je suis barman.

— Excuse.

Donc, les barmen de 2037 seront habillés comme nos infirmiers. Et vice versa, probablement. Ce sera plus gai pour les malades.

Un groom passe comme le vent, avec des épaules aérodynamiques qu'il a dû chaparder dans la « Vie Futures », de Wells...

— Allo, allo, vous allez assister à une séance de télévision, clame le haut-parleur.

Tout le monde se porte vert un panneau qui vient de s'éclairer par transparence, laissant voir, derrière un rideau de mousseline, un scène spacieuse.

Sur la scène, un piano. Au piano, une artiste.

— Mlle Rose Carday, du Théâtre Mogador, glapit le haut-parleur.

Le silence se fait. L'artiste chante, C'est magnifique, chuchote une jeune fille à l'oreille de son danseur, ce qu'on arrive à faire.

N'est-ce pas ?

Et, toute la soirée, ce sera ainsi, jusqu'au « téléreportage » au cours duquel Michel Simon nous apparaîtra, dans cent ans, remplissant la fonction de « directeur général des beaux-arts ».

Pourquoi pas ?

Les rapins sont bien imberbes. Les chapeaux ont bien rogné leurs bords. Le langage est bien académique. Et dans un bal, en 2037, on trouve bien des robes du plus pur Directoire. Déterminisme historique, peut-être ? Tout est possible ! On peut même espérer que tout va aller mieux ! Anticipation !

J. B.