"Ceux qui s'en vont : Albert Robida dessinateur, humoriste et voyageur", par Léon Maillard, fut publié dans Paris-Soir n°1103 du 13 octobre 1926.
Léon Maillard : directeur du journal hebdomadaire illustré Le Parisien de Paris pour lequel a travaillé Albert Robida.
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Robida vient de mourir dans un appartement qu'il habitait depuis fort longtemps à Neuilly, tout en haut de la maison. Il avait 78 ans et depuis son plus jeune âge, il avait manié le crayon et la plume. Très épris de tout ce qui concernait la typographie et l'illustration des livres, il avait été d'une habileté technique exceptionnelle en ce qui concernait tous les modes de traduction et de reproduction des images. Que ce fût le hors-texte qui était de mise, il trouvait le trait gravé à l'eau-forte ou le large trait de la lithographie convenable au texte à illustrer.
Pendant plus de quarante ans, il a été son plus fidèle et meilleur collaborateur pour les œuvres écrites que son imagination, précise et vagabonde, lui inspirait et qu'il mettait en route à la plus grande joie de sa clientèle. Car son trait cursif, où le, dessin semblait écrit et le texte dessiné avait séduit d'emblée une masse de lecteurs qui lisent surtout en feuilletant les pages d'un livre et en s'arrêtant aux scènes figurées et représentées par le talent du vignettiste.
Il avait tout d'abord conquis une célébrité de très bon aloi par ses paraphrases humoristiques de l’œuvre de Rabelais. La tâche était ardue après Gustave Doré, et pourtant il réussit pleinement dans cette tâche formidable, dont il renouvela la connaissance et l'aspect.
Dans ses livres innombrables d'anticipation sur les modes, sur les mœurs, sur les objets de la vie à venir telle qu'il la supposait, Robida fit preuve de qualités vraiment extraordinaires. Que l'on se souvienne de son Paris au vingtième siècle où, sans trop de traduction visuelle il est permis de constater bien des transformations acquises depuis leur notation préalable au crayon par cet inventeur spirituel.
Sac au dos et crayon en main comme les artistes du romantisme, il parcourut la France entière. Il en sortit cette collection vraiment unique des ouvrages sur la Normandie, les Flandres, l'Île-de-France, la Bretagne, la Provence et même sur les villes du Rhin.
Ce qui le hanta le plus, ce fut la transformation constante de Compiègne, sa ville natale. Tout enfant, il en avait saisi les aspects. Dès 1865, il en prit des croquis d'une justesse extrême qu'il traduisit en gravure à l'eau-forte. Dès ce moment, son style est déterminé. Il fera plus large, il aura plus de liberté, mais ses placements et ses perspectives seront de la même certitude, sous un trait griffu et enveloppant.
Quand Robida parlait de Compiègne, il était aussi imagé que ses livres. On voyait pétiller ses yeux sous son lorgnon, et sa courte barbe s'agiter comme un pinceau. Il décrivait les vieilles fortifications, la tour Beauregard ou tour Jeanne d'Arc pour laquelle il avait une affection filiale. Il situait chaque emplacement détruit. Il rappelait le temps affreux où les forçats destinés au bagne de Brest étaient détournés de leur chemin (!) pour démolir les vieilles abbayes, celle de Saint-Bertin à Saint-Omer comme Saint-Corneille à Compiègne. Alors, il était rempli d'indignation, mais il se calmait car il n'avait pas vu, pas vu de ses yeux, opérer ces embellissements, disait-il.
Robida était d'un esprit charmant, et ceux qui l'ont fréquenté ont été vraiment ses amis et sont restés attachés à la séduction de ses délicieuses images.
Léon Maillard.
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