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Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Le Blog de l'Amicale Des Amateurs de Nids À Poussière (A.D.A.N.A.P.) est un lieu de perdition dans lequel nous présentons revues, vieux papiers, journaux, ouvrages anciens ou récents, qui s'empilent un peu partout, avec un seul objectif : PARTAGER !

"Choses en l'air", par Victor Méric, fut publié dans Paris-soir n°412 du 20 novembre 1924.

Victor Méric est, entre autres, l'auteur de "La Der des der, roman de la prochaine guerre" (1930).

Une critique de ce roman est proposée sur ArchéoSF : Victor Méric, La Guerre qui revient: Fraîche et Gazeuse ! (1932).

Victor Méric - Choses en l'air (1924)

Choses en l'air

Alors, ça y est ? Nous allons avoir nos aéro-cars qui nous transporteront, allègrement, d'un bout de Paris à l'autre.

Vous savez déjà, sans doute, comment on va opérer. Des câbles seront placés à quatorze mètres du sol. Entre les câbles, des rails dits de suspension. Là-dessus des véhicules de deux mètres quarante de hauteur sur treize mètres de long et deux mètres quarante de large. On entassera là-dedans, très confortablement, jusqu'à cent voyageurs. Et il sera possible, affirme-t-on, de franchir une distance de dix kilomètres en vingt minutes environ.

La première ligne sera établie entre La Chapelle et Saint-Denis. Suivront Neuilly-Saint-Germain, Clichy-Colombes, Pantin-Dugny, etc. Et, après la banlieue, ce sera le tour, naturellement, de la capitale elle-même.

Tout cela nous promet bien du bonheur.

Évidemment, nul ne sera forcé de prendre l'ascenseur, qui conduira à l'auto-car. Ceux qui préfèrent le plancher des vaches seront parfaitement libres de faire sonner leurs talons sur l'asphalte.

Seulement, nul ne sera à l'abri des accidents qui peuvent pleuvoir sur toutes les têtes. Jusqu'ici, pour peu qu'on eût le pied marin et le coup d'œil prompt, on pouvait échapper aux attaques sournoises ou brutales des autobus, tramways, taxis, cycles ou voitures à bras. Mais, demain ? Quand le péril sera à droite, à gauche, devant et derrière, sous nos pieds et sur nos têtes, qu'allons-nous devenir, Seigneur ?

Je ne voudrais pas faire étalage de pessimisme. Tout progrès comporte sa rançon. Mais je ne puis m'empêcher de songer que le problème de la circulation, déjà si pénible à résoudre, va, du fait des nouveaux moyens de transport par air, entrer dans la voie — aérienne — de nouvelles et formidables difficultés.

Le bon bourgeois de Paris, accompagné de sa progéniture, pourra, avec quelque apparence de bon sens, regretter le « bon vieux temps » des diligences et des omnibus à impériales. Sur le champ de bataille quotidien, son fils aura beau lui crier : « Père, gardez-vous à droite ! Père, gardez-vous à gauche ! »...patatras ! Au moment où le malheureux se croira sauvé, une tuile, une énorme tuile viendra prendre contact avec sa boîte crânienne.

On ira rapidement, beaucoup plus rapidement, mais on prendra souvent la direction du sombre séjour où règne Hadès : ce sera le moment ou jamais d'affirmer que les « morts vont vite ».

Et puis, voyons il faudra bien réglementer cette circulation d'en haut. De là, des postes, des vigies, des policiers avec bâtons blancs et sonneries électriques. Toute une immense cité sur la cité. Tout un réseau de constructions barbares qui nous cacheront le peu de ciel dont nous jouissons et nous voleront nos rares rayons de soleil.

Peu à peu, on s'achemine vers la cité fantastique, monstrueuse et abracadabrante que nous peint le romancier anglais dans son anticipation Quand le Dormeur s'éveillera.

Encore une fois, c'est gai, tout à fait gai.

M. Francis Laur, qui fut député et ne contribua pas peu à compliquer la circulation des idées politiques, se félicite hautement de la réalisation de son idée. Car M. Francis Laur est aussi ingénieur et l'idée de la circulation aérienne est de lui.

Mais M. Francis Laur peut, en effet, se féliciter. M. Francis Laur sait qu'il faudra, tout de même, quelques hivers avant que son projet en l'air soit entièrement appliqué.

M. Francis Laur s'en moque.

M. Francis Laur vient d'entrer dans sa quatre-vingt-cinquième année.

Alors, vous comprenez, le jour où il y aura du grabuge, M. Francis Laur ne sera pas là pour ramasser les éclopés.

Après lui, le déluge !

Victor MÉRIC.

* * *

Extrait de la nécrologie de Francis Laur, signée R.P., parue dans L'Echo des mines et de la métallurgie n°3175 du 1er juin 1934 :

"M. Francis Laur, Ingénieur Civil des Mines, ancien député, vient de mourir au seuil de ses 90 ans, après avoir joué au cours de sa longue carrière,  un rôle actif dans l'industrie, le journalisme et la politique.

Cette carrière reflète admirablement la grande  originalité de caractère de notre ami : il fut tour à tour ingénieur épris de toutes les idées nouvelles quand il ne les suscitait pas lui-même ; politicien avisé préconisant des réformes que tout le monde proclame aujourd'hui indispensables, et journaliste enthousiaste doué d'un grand talent d'écrivain.

[…] D'une intelligence très vive, cet enfant acquit de solides connaissances à l'école et s'en vint tout jeune, à treize ans seulement, remplir les fonctions de secrétaire chez un voisin et ami de Georges Sand, M. Robin-Duvernet qui était aveugle.

Enjoué et spirituel, ce jeune homme fut vite remarqué par la « bonne Dame de Nohant » et les écrivains qui l'entouraient, notamment Alexandre Dumas fils. Ils s'intéressèrent à ses études, à son avenir, le conseillèrent et finalement le jeune Francis, qui avait du goût pour la géologie, se présenta à l'Ecole des Mines de St-Etienne où il fut reçu en 1866 pour en sortir comme ingénieur en 1868.

[…] Homme de lettres admirablement doué, s'il avait suivi le penchant naturel de son esprit il aurait certainement laissé une œuvre littéraire abondante et de premier ordre, alors que son grand talent s'est surtout dispersé dans le journalisme industriel.

[…] Il est parti quelques mois avant d'avoir atteint ses 90 ans, mais il n'emporte pas le secret de sa longévité : il a déposé un pli à l'Académie des Sciences dans lequel cet ingénieur, qui fut considéré à tort souvent comme un grand fantaisiste, proclame que pour vivre longtemps il surfit d'observer une stricte discipline corporelle et de respirer le grand air loin des bureaux d'ingénieur […]"

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