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Gabriel Timmory - Télépathie (1925)
Alin Monjardin - Ou le plus malin des policiers, Saynète (1918)
Jean Bréchal - L'Agence d'assassinats (1899)
Louis-Frédéric Sauvage "La Bombe" (1910)
Claude Orval - L’École des Détectives (1934)
Georges Auriol - Éclatante Défaite de Sherlock Holmes (1911)
Fâcheuse découverte
Ça n'a l'air de rien cette petite histoire de détective allemand qui met le spiritisme au service de la police. Ça n'a l'air de rien et c'est pourtant gros de conséquences.
Cet extraordinaire détective-médium n'a, paraît-il, qu'à entrer en transe, pour qu'aussitôt, il lui soit permis de reconstituer les détails d'un crime et le signalement des assassins. Après ça, on n'a plus qu'à cueillir le ou les coupables et ça évite bien des dérangements, bien des gaffes, bien des dépenses inutiles.
Cependant, on ne paraît pas accorder à ce fait divers toute l'importance qu'il mérite. En réalité, il s'agit d'une de ces découvertes qui révolutionnent le monde auprès de laquelle l'invention du phonographe est un jeu d'enfant.
Supposez, en effet, qu'en dépit de la routine et des intérêts coalisés l'administration policière s'avise de recourir à un procédé aussi simple que celui du médium-détective. Supposez qu'elle ouvre une école spéciale et qu'elle se mette à enseigner la double vue. Du coup, c'est la suppression de ces fins limiers dont on nous conte les prouesses et c'est un art fait de subtilité, d'audace, de clairvoyance, qui sombre irrémédiablement.
C'est aussi toute une littérature qui se meurt. Nul n'osera plus écrire de ces fameux romans policiers dont nous nous délectâmes durant des années. Il faudra dire adieu aux rêves de Gaboriau et de Conan Doyle. Finis les Lecoq, les Sherlock et les pistes savantes, les traces éphémères, les combinaisons, les déductions. Le flair, le fameux flair classique fait place à la vision directe.
Il est même curieux que Conan Doyle n'ait pas songé à transformer son Sherlock Holmes en adepte du spiritisme, puisque lui-même... Mais, peut-être a-t-il songé que son cher détective était une profane et il lui a paru un peu vieux pour modifier sa manière.
Tout de même, la littérature policière de demain ne sera pas drôle.
On pourra lire, invariablement, des choses dans ce genre :
— Maître, lui dis-je, voici les circonstances dans lesquelles fut trouvé le cadavre de ma belle-mère dans un pot de moutarde, lacéré et criblé (le cadavre, pas le pot) de coups d'épingle à cheveux.
Le maître se renversa en arrière, songeur. Puis, soudain :
— Attendez, fil-il.
Il poussa un soupir, et ses yeux, brusquement se mirent à rouler de droite à gauche :
— Que faites-vous ? m'écriai-je.
—Chut ! répondit-il. Laissez-moi m'endormir.
(La suite au prochain numéro.)
Encore, ne s'agit-il ici que de littérature. Mais, dans la vie ? Ce sera une véritable catastrophe. Non. seulement, les traditions policières se verront bouleversées de fond en comble, mais les juges d'instruction, eux-mêmes, n'auront plus rien à faire. Et les reporters ? Comment voulez-vous, dans ces conditions, qu'ils emplissent les colonnes des journaux, de détails palpitants ?
Plus j'y pense et plus j'estime que cette invention de détective-médium est tout ce qu'il y a de plus dangereuse. Elle ne peut apporter que perturbation.
Heureusement, nous avons, pour nous défendre, les lenteurs administratives et la résistance des intéressés. Nous avons aussi les malfaiteurs qui ne se laisseront pas faire. Car rien n'empêche les malfaiteurs de cultiver aussi le spiritisme et de s'endormir paisiblement. Ainsi ils pourront voir ce que voient les détectives et, très habilement, donner le change, brouiller les pistes, mêler les apparitions, susciter de fausses visions.
Ainsi, tout se passera dans le monde de l'invisible et personne n'y comprendra plus rien. Et il n'y aura rien de changé dans les méthodes policières. Rien que la façon de se fourrer le doigt dans l'œil — j'allais dire dans le quart d'œil.
Victor MÉRIC.
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