"Le Nid ailé" (1920) et "T.S.F." (1926) —
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Georges Cyr - Petit voyage dans l'avenir (1906)
Jy - Les Applications de la T.S.F. : l'école idéale ! (1923)
André Dahl - Naissance et mort de la télévision (1930)
« Que nous réserve pour 1960 l'électricité reine de l'énergie ? », in Paris-Soir du 30 avril 1935
« L'appartement de l'avenir... ou à l'époque du « jour éternel » », in Paris-Soir du 1er mai 1935
« La ménagère "fin du vingtième siècle" », in Paris-Soir du 2 mai 1935
« Quand nous mettrons le soleil en bouteille !... », in Paris-Soir du 3 mai 1935
ANTICIPATIONS
La dernière des locomotives a disparu, ensevelie sous la végétation qui recouvre les voies ferrées. De-ci, de-là, un fût à demi-rongé signale aux historiens la ligne de télégraphe et de téléphone de jadis.
Les journaux ne paraissent plus depuis un siècle ; le dernier des cordonniers a fait faillite, suivant de près le dernier des tailleurs.
A quoi bon sortir de chez soi, ou plutôt de chez tout le monde, pour aller voir qui ? quoi ? puisqu'avec la télévision, il n'y a plus de muraille, plus d'espace même, et que le soleil ne se couche plus, puisque suivant l'inclinaison de votre téléviseur, vous « voyez » à minuit au travers de la planète, le soleil éclairer l'Australie !
Au début, le peuple prit à l'invention nouvelle grand amusement. En réduisant la longueur d'onde, on découvrit au sein de la terre une race humaine jusqu'alors ignorée, qu'on appela les « Cyclopes », Bien qu'ils n'eussent pas même un œil ; leurs mains étaient d'immenses tentacules terminées en forme de bêches, de pelles et de pioches. Leur haleine enflammée fut reproduite à foison sur tous les murs, par un industriel ingénieux qui lança « la ouate des cyclopes ». Celui-ci fit faillite, personne ne passant plus dans les rues.
La publicité s'adapta aux conditions nouvelles et pénétra de jour et de nuit à votre domicile. Jetiez-vous un coup d'œil sur l'horloge de la mairie (personne n'avait plus de montre « individuelle », à quoi bon !) vous lisiez : Sept heures dix : Grains de Vals. Dix-huit heures trente : Picon Curaçao.
Il n'y avait plus de route, plus d'auto, le problème de la circulation était enfin résolu.
Les vivres vous étaient délivrées à domicile comme autrefois, le gaz et l'électricité ; la distribution était rendue d'autant plus facile que le nombre des humains diminuait de jour en jour. Tous les maris trompés savaient, instantanément leur malheur et les duels succédaient aux duels.
La télévision se perfectionna ; elle permit de découvrir nos secrets les plus intimes ; elle tua ainsi l'hypocrisie et le mensonge, alors le monde, abandonné à lui-même, ne connut plus aucune règle et redevint sauvage. A quoi bon dire : « Comme nous sommes heureux de vous voir » puisque les hommes se « voyaient » sans cesse ?
Ils ne pensaient qu'à se procurer un écran protecteur pour masquer le fonds de leur âme ; aussi, à mesure que la télévision se perfectionnait, d'autres inventeurs s'efforçaient d'en bannir les effets à l'aide d'écrans isolateurs. Le Ministres des Finances les fit mettre en prison, sous le prétexte qu'ils poussaient à la fraude fiscale en facilitant aux contribuables la dissimulation de leurs biens, mais on apprit un jour que l'État lui-même était compromis dans une entreprise colossale : la construction d'un écran destiné à cacher le vide des caisses publiques.
N'ayant plus aucune raison de se déplacer, la plupart des humains perdirent peu à peu l'usage de leurs jambes et les enfants naissaient culs-de-jatte. Les générations suivantes connurent les manchots, seuls, quelques hommes politiques conservèrent le bras long.
A se voir nus intérieurement, le désir des hommes et des femmes l'un pour l'autre s'éteignit. Comme nous n'aimons des êtres que leur apparence, celle-ci échappée à jamais, l'amour mourut à son tour, victime de la télévision.
Il ne resta plus sur la terre que le dernier des hommes, boule informe munie d'un œil incrusté d'une lorgnette et qui contemplait, terrifié, le vide de la terre et des cieux.
Marcel PÉRIN.
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