Le phare d'Eckmühl est un monument émouvant. Ou plus modestement, qui m’émeut mais les phares ont toujours enflammé mon imagination d'émerveillement et de vertige. Ce phare en particulier a une histoire littéraire, il fut bâti sur les recommandations d'une salonnière du XIXe siècle, Adélaïde-Louise d'Eckmühl de Blocqueville (1815-1892), poète et romancière, amie d'artistes qu'elle recevait chez elle. Cette dame éprise de littérature a toutes les nobles qualités du siècle revenu à l'admiration de la particule, fille du maréchal d'Empire Davout, elle voue d'ailleurs un culte à ce père qu'elle connut à peine et lui consacra les efforts de sa vie entière pour perdurer la grandeur du général, dans des écrits, des courriers, au cœur d'un musée mais surtout dans l'édification de ce phare. Lorsqu'à sa mort, la lecture de son testament révèle ses dernières dispositions, il provoque grand émoi. La marquise parisienne désire offrir un phare aux terres bretonnes, et bien qu'il soit dédié à son père, elle sert un autre objectif qui me paraît finalement représentatif de l'avis secret de beaucoup de femmes, au moins à l'époque, qu'elles n'avaient pas la volonté d'affirmer, soumises de leur plein gré à leur société.
Si les publications de la dame de salon n'ont pas retenues l'attention des lecteurs d'aujourd'hui, une partie de son testament demeure, attachée au phare et lui accorde une aura qui ternit celle du général honoré ; et après tout, c'est justice enfin que son initiative destinée à sauver des vies durant plus de cent ans soit mieux reconnue que les prouesses militaires de ce père adulé.
« Je nomme M. Le Myre de Vilers, ancien Gouverneur de Cochinchine, mon exécuteur testamentaire en tout ce qui concerne le phare d'Eckmühl. Ma première et ma plus chère volonté est qu'il soit élevé un phare sur un point dangereux des côtes de France, non miné par la mer. Mon vieil ami, le Baron Baude, m'a souvent dit que bien des anses des côtes bretonnes restaient obscures et dangereuses. J'aimerais que le phare d'Eckmühl fût élevé là: mais sur quelque terrain solide, granitique, car je veux que ce noble nom demeure longtemps béni... Les larmes versées par la fatalité des guerres, que je redoute et déteste plus que jamais, seront ainsi rachetées par les vies sauvées de la tempête... Je consacre à cette fondation une somme de 300 000 francs, voulant ce phare digne du nom qu'il portera. »
Adélaïde-Louise Davout hérita du titre d'Eckmühl de son père – Louis Nicolas D'Avout avait pourtant renoncé à la particule lorsqu'il était brûlant révolutionnaire. Il s'était illustré sous le commandement de Napoléon dans la bataille éponyme en Bavière, le 22 avril 1809, qui fut une victoire meurtrière. L'empereur lui donna le titre de prince de cette région avant de le nommer gouverneur-général du grand duché de Varsovie.
Le phare d'Eckmühl fut la troisième « tour à feu » construite sur la commune de Penmarch'. Ou plutôt, une tour exista dès le XVe siècle mais on en bâtit trois entre 1794 et 1897, la première sur l'emplacement historique fut longue à mettre en service, la deuxième à côté n'avait pas l'envergure nécessaire pour s'alimenter à l'énergie nouvelle électrique, le dernier projet à la fin du XIXe était en études lorsque le legs bouleversa les plans initiaux. La somme généreuse allouée permit d'édifier presque une folie architecturale, quoiqu'elle ait la forme classique d'un phare solidement campé face à la mer. Les matériaux s'ils furent plus élégants n'en furent pas moins choisis pour durer et remplir leur rôle de vigie bienveillante sur les côtes comme l'avait souhaité la donatrice. La preuve qu'une construction pensée et dessinée pour un bien commun peut être belle et constante.
Un escalier en colimaçon de 272 marches, en kersantite, et un revêtement intérieur réalisé en plaques d'opaline azurée.
« Les travaux sont particulièrement soignés. Ainsi, la tour octogonale qui s'élève à 54,20 m est exécutée en kersantite. La roche magmatique, extraite des carrières proches de Logonnna, est acheminée par la mer jusqu'au port de Kérity. De là, elle est transportée jusqu'au site à l'aide de charrettes avant d'être taillée en fonction des besoins. La tour propose un escalier en colimaçon de 272 marches, également en kersantite, et un revêtement intérieur réalisé en plaques d'opaline azurée. Marbre bleu turquin pour le plafond, acajou d'Australie pour la porte d'entrée, boiserie et bronze poli renforcent l'impression grandiose qui se dégage de l'édifice. Qui bénéficie aussi d'une lanterne de qualité. Construit par l'entreprise parisienne Sautter-Harlé et Cie, le système d'éclairage électrique dont est doté le phare se compose de deux optiques à quatre lentilles de Fresnel dont la portée est de 23,5 milles. Électrique lors de sa mise en service, Eckmühl était alimenté par deux chaudières à vapeur avant d'être raccordé au réseau en 1930. »
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En tout 307 marches depuis le perron jusqu'à l'ultime palier. Les dernières marches sont en fonte et mène à une salle d’apparat puis à la lanterne, elle aussi parée pour recevoir et renvoyer la lumière jusqu'à cent kilomètres au large.
Les travaux furent suivis attentivement par la presse de l'époque, le phare a continué d'alimenter régulièrement les colonnes de la presse puis les émissions télévisées. Au cours des années 1895 à 1897, lorsqu'il fut inauguré au son de la Marseillaise jouée au biniou, une impertinence musicale à la mode bretonne, l'Illustration et Le Petit Parisien, par exemple, l'avait illustré à plusieurs reprises. C'est une composition, anonyme, particulièrement romantique et aventureuse de ce dernier journal qui avait retenu mon attention lors de recherches.
Les phares avaient des gardiens, celui d'Eckmühl comme les autres fut habité par des présences humaines pendant cent-dix ans. En 1997, l'automatisation les a remplacés.
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