Escargots volants paraît aux alentours de 1915, en plein conflit. Ce petit album n'est pas daté mais grâce à l'attention affectueuse d'un parent, la page de garde révèle qu'il fut offert au jeune Georges Graveline le 13 mai 1916, il y a cent ans.
L'histoire est racontée par André Surville, en fait une dame, Marie Boyron qui épousa un monsieur Cortet et écrivit, sous cet autre nom, plusieurs romans et nouvelles pour divers éditeurs, Hachette, Dentu, et ici pour la Société d'Édition et de Publications. Cette édition avait été créée par Félix Juven en 1904, il publia plusieurs collections sous ce label, la fameuse Collection Rouge d'abord consacrée à Conan Doyle dont j'ai déjà parlé dans le blog. Cependant, vers 1912, sa société est morcelée, démembrée, revendue à d'autres éditeurs. L'adresse portée sur la page titre, à la rue de l'Odéon, donne à penser qu'il s'agit à présent d'une production des éditeurs Tallandier.
De Mary Boyron, il ne semble être resté que ses noms de jeune fille, d'épouse et d'écrivain. Elle naquit probablement à la fin de la première moitié du 19e et mourut au début du siècle suivant. Le roman qui lui valut quelque notoriété fut publié en 1878, Le roman d'une créole, que l'on peut lire depuis Gallica, est un récit de mœurs. Il débute à Bordeaux où mariée à un banquier, l'héroïne Mademoiselle Luce Joney « née au Sénégal d'une mère française et d'un père créole qui avait dans ses veines quelques gouttes de sang espagnol et de sang mulâtre. » vient de s'installer. Cette jeune Rastignac africaine est bien décidée à conquérir la métropole grâce à sa beauté et son ambition. Escargots Volants ne possède pas cette inspiration peu convenable, l'auteur a pris de l'âge et probablement perdu l'envie d'être célèbre. Il s'agit d'une petite histoire morale où le jeune lecteur comprendra qu'il faut être studieux et soumis s'il ne veut risquer la terrible malédiction des gastéropodes ailés.
Petite déception, pour l'amateur de fantaisie que je suis, ces escargots n'ont d'existence que dans l'esprit du garçonnet désagréable qui vit dans le château à la mode de ceux de la Comtesse de Ségur. C'est d'ailleurs dans l'ombre de la célèbre romancière qu'André Surville exploite le décor et les personnages, celle des maîtres et des serviteurs, de la bonne tenue et de la charité des castes supérieures, et de la cruauté des punitions qu'il faut appliquer pour guérir les travers. Toutefois, il ne s'agit pas d'une histoire à morale religieuse, et sans vergogne, la mère entreprend de guérir son fils par un procédé tout à fait irréaliste, ces fameux escargots dessinés par Carrey. Encore un illustrateur oublié, il crayonnait des cartes postales, des dessins dans les journaux, et fut pourtant choisi, avec Vaccari, pour réaliser les somptueux suppléments Les Beaux Contes de la revue Nos Loisirs, un peu avant 1910. Les illustrations de Carrey se substituent au texte pour lui conférer l'aspect fantasque qui lui manquait. Grâce à lui, je pense, à l'aune de mes souvenirs d'enfant, que le jeune Georges qui l'a lu en 1916 devait estimer qu'une punition cruelle valait bien qu'on rencontre ces Escargots volants, d'autant plus qu'à la fin, tout finit bien.
Vous pourrez lire ci-dessous, numérisé par mes soins attentifs, Escargots volants d'André Surville, illustré par Carrey, une publication de la Société d'Édition et de Publications.
Escargots volants d'André Surville, illustré par Carrey, une publication de la Société d'Édition et de Publications.
LES ESCARGOTS VOLANTS
***
« Oh! maman, je vous en supplie, venez consoler Pierre, il est dans une désolation affreuse.
– Que lui arrive-il encore ? s’écrie la mère, bouleversée à chaque instant par les scènes violentes de son fils.
– Je ne sais pas; il sanglote si fort que je n’ai pu comprendre ce qu’il dit.
– Hélas ! reprit Mme Després, ton pauvre frère aura fait, comme toujours, quelque sottise.
Gabriel, l’aîné des enfants, était aussi calme, aussi doux et soumis, que l’autre était impérieux, entêté et volontaire.
Jamais Pierre ne voulait entendre la plus légère observation, et Mme Després ne savait comment arriver à le corriger de ses défauts.
Quand elle ouvrit la porte de la chambre où se trouvait le petit garçon, celui-ci se mit à trépigner, en poussant des exclamations de fureur.
– Voyons, dit la mère avec bonté, cesse de crier, mon enfant, et raconte-moi la cause de ton chagrin?
– Hi, hi, hi, hi, faisait Pierre, en enfonçant ses poings dans ses yeux, hi, hi, hi, hi, je suis bien malheureux !
– Et pourquoi ?
– Parce que, parce que, j’avais des escargots dans un panier, je l’ai mis sur cette chaise, et ce matin, le panier est vide, les escargots ont disparu.
– Eh bien ! ils seront allés se promener ailleurs.
– C’est impossible, j’ai regardé partout ; hi, hi, hi, hi, bien sûr ils se sont envolés !
– Envolés ! dit Gabriel, en riant, d’abord, pour voler, il faut des ailes, et je n’en ai jamais vu aux escargots.
– Ni moi, non plus, reprit Pierre; mais je sais que ceux-là doivent en avoir, sans cela, comment seraient-ils partis ! Oh ! les malignes bêtes, c’est pour me jouer un mauvais tour, qu’ils ont fait, comme les chenilles, et sont devenus des papillons. Hi, hi, hi, hi !
Gabriel se tut car il savait, que s’il essayait de contredire son frère, celui-ci retomberait
dans un nouvel accès de colère.
Pendant ce temps, la mère réfléchissait, elle avait levé les yeux au plafond, tout imprégné de traces brillantes, et elle savait bien maintenant, où s’étaient réfugiés les escargots ; mais elle se garda de l'apprendre à Pierre, auquel elle continua à faire subir un sévère interrogatoire.
Seulement, lorsque Mme Després lui demanda où il avait ramassé ces escargots, et ce qu'il en voulait faire, l’enfant se troubla, et cachant sa tête dans ses mains, il se mit à pleurer plus fort.
– C’est bien, reprit la mère, puisque tu ne veux pas parler, je vais aller aux renseignements ; ce sera le meilleur moyen de connaître la vérité.
La mère Mathurine faisait un petit commerce de ces mollusques, et elle en apportait à la ville voisine, deux ou trois fois par semaine.
Cette brave femme, qui n’aurait jamais osé se plaindre à ses maîtres, ne pût refuser de répondre aux questions de Mme Després ; celle-ci apprit ainsi que, pour satisfaire un caprice, son fils avait emporté le panier de Mathurine, pendant que la fermière se baissait afin de ramasser de nouvelles coquilles.
– Merci, dit Mm' Després, voilà l’argent de vos escargots. Maintenant, vous allez m’aider à tirer parti de cette aventure, qui me fournira l’occasion d’infliger, à cet enfant, une correction, dont
il pourra garder le souvenir ?
– Oh ! Madame, je suis tout à votre service.
– Bien, ma bonne Mathurine, voici quel est mon projet. Je vais amener Pierre ici, et tant qu’il ne se sera pas amendé, vous le garderez chez vous, comme valet de ferme. Il faut qu’il comprenne l’étendue de ses fautes, en acceptant courageusement la punition qu’elles méritent.
Mme Després rentra au château, très résolue à poursuivre l’exécution de son plan.
Le jeune mutin, voyant qu’il n’avait pu apitoyer ni sa mère, ni son frère, sur ses malheurs, gardait un silence farouche.
Le moment du déjeuner étant venu, M“' Després fit apporter à Pierre un potage et un morceau de pain sec.
Je n'ai pas besoin de manger, dit l’enfant à la cuisinière, puisqu’on m’abandonne ici, tout seul, je veux mourir !
La brave fille, qui l’avait vu naître, avait pour lui une véritable affection, elle essaya de le consoler ; mais elle fut repoussée si durement, qu’elle s’enfuit en pensant qu’il était inutile de faire entendre de bonnes paroles à un petit garçon aussi bourru.
Quelques instants plus tard, Mme Després vint près de son fils, celui-ci boudait toujours, et n’avait rien mangé.
La mère fit semblant de ne pas s’en apercevoir, elle regarda Pierre d’un air attristé, en lui disant qu’elle avait appris de si vilaines choses sur son compte, qu’elle allait être obligée de se séparer de lui.
– Non seulement, ajouta-t-elle, vous êtes querelleur et méchant ; mais encore voleur ! C’en est trop ! Puisque vous ne voulez ni obéir, ni vous corriger, je vais vous placer, comme valet de ferme, chez Mathurine, afin que vous rachetiez, par votre travail, le tort que vous lui avez fait en lui enlevant ses escargots.
– Ah ! par exemple, s’écria l’enfant, ses maudits escargots ! C’est bien la peine de faire tant d’embarras pour de si sottes bêtes !
– Pas si sottes que cela, reprit Mme Després, puisqu’elles ont eu l’esprit de vous échapper, en devenant de beaux papillons.
– De beaux papillons ?... Vous les avez vus ? maman.
– Non, c’est vous, qui m’avez appris cette métamorphose extraordinaire.
L’enfant se mordit les lèvres, et tourna la tête de l’autre côté.
Tout à coup, il éclata de nouveau en sanglots.
– Ah ! dit-il, à travers ses larmes, si jamais je retrouve des escargots, sur mon chemin, je leur ferai payer cher la malice de ceux qui se sont envolés, et me valent de tels reproches !
– Prenez garde, fit la mère, n’attirez pas sur vous la juste colère de ces bêtes surnaturelles, et rappelez-vous qu’on ne s’amuse point aux dépens des pauvres gens. Les escargots volants sont leurs défenseurs, tâchez d’être sage, car si vous vous révoltez, ils se chargeront de vous faire rentrer dans l’ordre.
– Mais enfin, dit Pierre, inquiet, malgré lui, à l'idée de cette mystérieuse surveillance, dont il avait peur, je n’ai point taquiné les escargots, pourquoi m’en veulent-ils ?
– Parce que vous vous êtes servi d'eux pour commettre une mauvaise action.
Oh ! comme Pierre regrettait maintenant d’avoir fait tant de bruit, à propos de ces vilains escargots ! Son imagination, enfiévrée par le chagrin, les lui montrait sous la forme d’une légion immense, acharnée à sa perte, et tout en marchant à côté de sa mère, qui le conduisait à la ferme, il lui semblait sentir, sur son dos, le passage de ces mollusques visqueux et froids, et il frissonnait sans oser se plaindre !
La mère Mathurine attendait son nouveau serviteur, un balai à la main.
Je vous le confie, dit Mme Després à la fermière, faites-le travailler dur, et vous savez, s’il ne vous écoute point, ne craignez pas d’appeler à votre aide les escargots, dont Pierre a vu pousser les ailes ; ce sont eux qui ont reçu la mission de le punir.
L’enfant, confus et humilié, baissait la tête, se demandant quels pourraient bien être les moyens qu’emploieraient les escargots, pour se venger ?...
Sa mère eut le courage de partir, sans l’embrasser, elle lui fit seulement un petit signe d’adieu, et disparut.
Allons, mon gas, fit la vieille, tu vas te mettre à l’ouvrage, et commencer par balayer cette cour.
Pierre s’y prit très mal; mais chose étrange, il apporta à ce travail une attention extrême.
La terreur vague, que lui inspiraient les escargots volants, exerçait déjà une influence salutaire sur son esprit rebelle.
Il avait, tout d’abord, parlé de leurs ailes par bravade ; mais puisque sa mère paraissait ajouter foi à son récit, c’est qu’il y avait vraiment une conspiration de ces bêtes contre lui !
Et il grattait consciencieusement les pavés, poursuivant avec son balai le moindre fétu de paille. Mathurine riait sous cape.
– C’est bien, dit-elle enfin à Pierre, lorsque celui-ci eut accompli sa tâche ; à présent, nous allons ramasser de l’herbe pour mes chèvres.
Et comme l’enfant fatigué poussait un soupir,
– Ah! dame, reprit-elle, le métier de valet de ferme n’est pas aussi doux que celui d’un petit monsieur, qui n’a autre chose à faire qu’à apprendre ses leçons, et griffonner des pages d’écriture. Mais ce n’est pas ma faute, si votre maman vous a placé chez moi, il faut que l’ouvrage se fasse ; on se repose le soir, voilà tout.
Pierre ne répondit rien, il refoula ses larmes, et suivit Mathurine jusqu’au pré.
En agissant ainsi avec le jeune garçon, la fermière faisait violence à sa nature ; seulement, elle avait promis à Mme Després d’imposer son autorité à l’enfant, et comme tous les gens timides, parfois elle dépassait la mesure.
Mathurine avait emporté une faucille, avec laquelle elle coupa la luzerne, en recommandant à Pierre de la rassembler en petits tas à mesure qu’elle tomberait sur la terre. Mais il était distrait, et au lieu de réunir les brins d’herbe, il les dispersait en tout sens.
La fermière s’en étant aperçue, se moqua de sa maladresse, et lui montra comment il fallait s’y prendre.
– Je ne peux pas, dit l’enfant, agacé de toutes ses remontrances.
– Tu feras ton apprentissage, essaye toujours.
Pierre, irrité par l’insensibilité de cette femme, qui ne paraissait pas se douter de sa lassitude, fit rageusement une dernière tentative, et il réussit enfin à dresser un superbe monticule d’herbe fraîche.
– Tu le vois, dit celle-ci, avec un peu de bonne volonté, on vient à bout de toutes les difficultés.
Le jeune garçon serrait les dents, sans répondre, étouffant les flots de colère, qui bouillonnaient en son cœur.
Être commandé, raillé, tutoyé par cette vieille paysanne, n’était-ce pas affreux ?
Ah ! si la crainte des escargots volants n’avait, sans cesse, hanté son cerveau, comme il aurait eu du plaisir à se jeter à poings fermés sur Mathurine, et à lui faire sentir qu’il était son maître, non son esclave !
Mais Pierre se contint, et il dût se résigner à porter sa part du faix de luzerne, jusqu’à l’écurie de la ferme.
Le soir étant venu, on se mit à table pour souper.
Pierre aurait bien voulu faire comme le matin, et ne prendre aucune nourriture ; seulement, le rude travail de la journée lui avait donné un appétit féroce, et quelle que fut sa répugnance, il avala deux grandes assiettées de soupe aux choux et au lard; il se laissa même tenter par une petite corbeille de cerises, posée devant lui. On le fit monter ensuite dans une chambre, qui communiquait avec celle de Mathurine. Brisé de fatigue, il s’endormit. Il était sept heures du matin, lorsqu’il s’éveilla.
– Ah ! le paresseux, s’écria la fermière, dès qu’elle l’entendit se lever, il y a longtemps que tout le monde est debout ici. Enfin, pour le premier jour, je ne dis rien; mais il faudra que ça change, je n’entends pas que mon valet soit le dernier à l’ouvrage !
Pierre semblait être devenu muet, car il ne répondait rien.
Il obéissait pourtant, écrasé sous le poids de son chagrin, et se demandant s’il allait passer sa vie à soigner des bêtes, et à faire tous les travaux pénibles de la ferme.
Trois jours s’écoulèrent ainsi, il n’avait vu ni sa mère, ni son frère ; l'avaient-ils donc oublié, et son exil devait-il durer toujours.
Cependant, vers le soir, Mme Després et Gabriel se montrèrent au seuil de la cour.
– Maman ! s’écria le pauvre Pierre, les yeux remplis de larmes.
– Oui, c’est moi, mon enfant, qui viens te rendre visite ; je te permets de jouer avec ton frère, pendant que je vais entrer chez Mathurine. Du reste, je dois te dire que les escargots volants sont contents de toi ; si tu continues à être bien sage, on te ramènera peut-être à la maison.
Mais ces paroles, en rappelant à Pierre la triste condition, où il était réduit, jetèrent une ombre sur son visage, et il refusa toutes les parties que Gabriel s’ingénia à lui proposer.
Ce jeune garçon, si doux et si bon, souffrait beaucoup de la dure punition, qui avait été infligée à son frère ; il essaya de le consoler, de le distraire ; malheureusement, il ne put y parvenir, et les deux enfants, tout attendris, versèrent des larmes amères.
Gabriel pleurait encore, en rentrant seul au château, qu’il trouvait triste, depuis le départ de Pierre.
– Calme-toi, mon chéri, lui dit Mme Després, ce que je fais est dans l’intérêt de ton frère, quand il sera corrigé, il reviendra ici, et nous jouirons alors d’un bonheur tout nouveau.
Cette visite inattendue avait fait une grande impression sur Pierre.
Ah ! sans cette maudite histoire d’escargots volants, il aurait demandé pardon à sa mère, et bien certainement, elle ne l’aurait pas repoussé !
Le lendemain, il reprit sa tâche accoutumée, et quoiqu’il continuât à garder le silence, il semblait moins accablé, maintenant qu’un rayon d’espoir avait traversé son cœur.
Cette première semaine s’écoula, puis une autre, qui lui parut mortellement longue, car il ne reçut point la visite si chèrement désirée de sa mère et de son frère ! — Il avait pourtant bien travaillé, et il ne savait plus comment il pourrait s’y prendre pour apaiser la vengeance des escargots volants ?
À force de penser à ces bêtes extraordinaires, il avait fini par les confondre avec ces mauvais génies, dont on raconte les maléfices, dans les contes de fées.
– Si je leur écrivais, se dit-il, ils ne poursuivraient peut-être plus l’exécution de leurs méchants desseins contre moi ?
Dès que ce projet se fut emparé de son esprit, il songea aussitôt au moyen de le réaliser.
Il était si fatigué, lorsqu’il venait se coucher, qu’il n’avait jamais remarqué les objets, qui se trouvaient dans sa chambre, tant il avait hâte de dormir ; mais ce soir-là, ses préoccupations nouvelles le tinrent éveillé. Il fureta un peu, de côté et d’autre, et finit par découvrir sur une vieille table, un encrier, une plume et du papier.
Heureux de cette trouvaille, il s’assit devant le bureau improvisé, et mettant sa tête entre ses mains, il chercha par où il allait commencer sa supplique.
Enfin, après avoir barbouillé deux ou trois feuilles de papier, sans être satisfait de son œuvre, il écrivit les lignes suivantes :
« Messieurs les Escargots,
« Je suis un grand coupable, puisque maman m’a puni, à cause de vous. Soyez bons, et demandez ma grâce.
« Si vous avez des ailes, partez au plus vite, je vous charge d'être les messagers de mon repentir. »
Escargots mignons,
Laissez là vos coquilles,
Escargots volants,
Imitez l'hirondelle.
Fendez l’air en chantant
Et dites à maman,
Que Pierre se repent !
Tout en traçant ces mots, l’enfant se les redisait à lui-même, sur un ton doux et bas, qui faisait ressembler sa prière à ces cantilènes, qu’on entend le soir, dans la campagne.
Il avait travaillé longtemps pour trouver la formule de sa lettre, si bien qu’il s’endormit sur sa chaise.
Lorsqu’il s’éveilla, son message avait disparu, mais il ne songea point à s’en étonner.
– Ce sont les escargots qui l’ont emporté, pensa-t-il, bons petits escargots, ils ont compris ma douleur, et ils veulent y mettre un terme !
Rassuré par cette réflexion, il se déshabilla tranquillement pour achever la nuit dans son lit.
Cependant, la disparition de cette feuille de papier n’avait rien de surnaturel ; la bonne Mathurine, ayant aperçu de la lumière, à travers les vitres de la chambre de Pierre, était entrée près de lui, pour savoir s’il n’était pas malade ; elle devina tout, en lisant la page qu’il venait d’écrire, et elle l’enleva, afin de la remettre à Mme Després.
La pauvre mère, qui n’attendait qu’un signe de la part de son fils, pour lui pardonner, se hâta d’accourir à la ferme.
Tu le vois, mon petit Pierre, dit-elle, les escargots volants ont accompli leur mission, tu les as chargés de me transmettre tes excuses, je les accepte, car je crois qu’elles sont sincères. Tu vas reprendre avec moi le chemin du château ; après avoir remercié Mathurine, des bons soins qu’elle t’a prodigués.
L’enfant ravi, s’était jeté dans les bras de sa mère, en fondant en larmes. Seulement, c’étaient des larmes de joie.
Mme Després, tout heureuse du succès de son épreuve, prit congé de la fermière, et emmena le petit garçon. Ce retour fut une douce surprise pour Gabriel, que rien n’avait pu consoler de l’absence de son frère. La leçon avait été rude, elle devait être salutaire. Ce n’est pas que la fable des escargots volants eût continué à impressionner l’esprit de Pierre ; il ne les craignait plus, il savait maintenant qu’en ajoutant foi aux fantômes, créés par son imagination, il avait fait fausse route. Si sa mère s'était servie de ce moyen pour le corriger, elle n’avait eu d’autre but que de lui prouver sa sottise et son fol entêtement.
Le garçon violent, tapageur et taquin, a disparu pour faire place à un enfant soumis et studieux.
Mme Després, en femme intelligente, avait su profiter des égarements de son fils pour le forcer à reconnaître ses erreurs, et lui donner le courage d'effacer ses torts, par la seule application d’une volonté ferme et persévérante.
Fin
Deux cartes postales éditées en 1915 que dessina Carrey, deux illustrations postales éternelles : l'attente passionnée du courrier.
Commenter cet article