Les images, les belles images pour enfants sages, je m'en souviens puisque je viens de l'époque où leur commerce scolaire existait, – il n'a d'ailleurs jamais cessé tout à fait, en récession puis de nouveau vent en poupe. Certains tressaillent en lisant le mot commerce, qui pourrait ternir une madeleine du bon vieux temps, et pourtant, il s'agissait bien de cela. Mon expérience est identique à celle de tous ceux qui ont reçu des bons points, dix pour une image, et dix images pour une grande image. J'ai même le souvenir d'une ultime transaction, étendue à l'ensemble de l'école, qui pouvait se terminer par l'échange de dix des dernières pour un lot munificent : une montre. « Le temps, c'est de l'argent » n'a jamais mieux été inculqué par le biais des récompenses illustrées.
Intermède anecdotique : lorsque j'étais élève au cours préparatoire, je savais déjà lire et écrire couramment, autant dire que les images pleuvaient... au début. Dénicher entre les pages de mon cahier du jour le bon point, et parfois même plusieurs, m'enchantait. Je serrais
les papillons merveilleusement apparus et quand il y avait le compte, je les échangeais très sérieusement contre une image en espérant qu'elle serait belle. C'est curieusement l'apprentissage du concept monnayeur qui réduisit à néant ce plaisir. L'aspect hasardeux écorniflait le moment du troc lors du passage au bureau de la maîtresse, je n'avais pas le choix de l'image et certaines ne me plaisaient pas du tout, mais quand l'année avançant vers Noël, je reçus des exemplaires froissés et un peu salis, résultant d'échanges précédents, ce rapport quotidien et gratuit de contentement égotiste entre le cahier et moi s'est anéanti.Peu à peu, alertée par l'altération de ce que je croyais beau et qui m'aurait été destiné pour me ravir exclusivement, le fonctionnement général m'est apparu dans sa bien plus pragmatique réalité, c'est ainsi que le puéril égocentrisme découvre la société. Cet échange réduisait l'illustration obtenue à une valeur monnayable, les bons élèves possédaient une boîte à bons points et une boîte à images ; les moins bons tâchaient de les imiter, les cancres s'en fichaient, ils n'avaient rien à préserver. Parfois, une image était confisquée, pour une raison ou une autre, effaçant la récompense et ce qui l'avait motivée.
Je n'ai plus réclamé ces boîtes que j'admirais chez le marchand de presse, et mes bons points entassés dans ma trousse ont perdu toute valeur à mes yeux. Tâchés, chiffonnés, ils finissaient généralement à la poubelle quand ma mère faisait le ménage trimestriel de mon cartable, en me reprochant d'être si peu soigneuse, comme les images profanées qui traînaient dans les poches latérales ou dans le fond, avec les miettes de gâteaux.
Fin de l'anecdote qui entamait probablement une longue carrière de tête de mule à bonnet d'âne.
Si le plaisir a échoué quand j'étais écolière, comme beaucoup, j'ai gardé cette fascination pour les vignettes issues d'un lourd passé d'images d’Épinal, des fragments en petite dimension du monde que nous découvrions, enfants. Les animaux, les plantes, les faits glorieux de notre histoire ou trois vers de poésie, La Fontaine souvent, et bien d'autres inspirations qui voulaient toutes nous inculquer en patchwork des petits bouts de culture plutôt que d'enseignement, les légendes inscrites au dos étaient parfois bien éloignées de la vérité. Amusantes ou dramatiques, pontifiantes ou désinvoltes, elles pouvaient être médiocres, coloriés n'importe comment, mais il avait aussi des petits chefs-d’œuvre de l'illustration enfantine, et chanceux sont ceux qui les ont eus dans les mains si petits.
Je ne collectionne pas les images, c'est le hasard qui me les met dans les mains aujourd'hui ; je ne les échangerai pas non plus contre d'autres plus grandes à entête républicaine, mais j'ai quelques doubles de fleurs ou d'animaux que j'offrirai à l'occasion, pour rire ou par affection. Celles ci-dessous exposées sont de Raylambert (1889 – 1967), la provenance de l'impression est inconnue.
Cet illustrateur signa aussi Ray-Lambert et tint une longue carrière de dessinateur dans les manuels scolaires, probablement l'un des meilleurs ou en tout cas, celui qui leur ajouta une touche chaleureuse et fantasque, des dessins colorés, vifs et doux à la fois, semés de gags ou de détails émouvants, et même de mises en page peu respectueuses des matières enseignées. Parmi tous ces livres, je ne peux que conseiller de découvrir ceux qu'il a illustrés pour Ernest Pérochon et Édouard Jauffret, des instituteurs et auteurs de la première moitié du XXe siècle.
Les six images qui suivent ont été données en 1955 à un ou une écolière à qui il ne fallait pas en conter mais bien compter, comme l'indique péremptoirement une note manuscrite au dos de l'une d'entre elles : « Pour l'épreuve, madame D. me doit une image. » En tout cas, les images ont été conservées, jamais échangées, – jusqu'à ce qu'elles me parviennent et je préfère ignorer pourquoi –, certainement parce qu'elles sont de belles images.
Images scolaires, Raylambert, 1955.
La série est loin d'être complète, je ne possède que celles-ci. Il existe d'autres images dont voici un aperçu plus complet.
Images scolaires, Raylambert, 1955.
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