"Une Chasse au bouquin", signé W.-T. Kandersen-Peternsen, traduit du norvégien par Géo Daumas (le véritable auteur de ce texte), est paru dans Le Sourire du 5 décembre 1912.
Une Chasse au bouquin
(Extrait des relations de chasse de M. W.-T. Kandersen-Peternsen.)
Le bouquin est un animal très bizarre rentrant dans la famille des foliacés ; sa taille varie beaucoup depuis le grand in-quarto jusqu'au petit Jésus ; il présente en outre, cette particularité de pouvoir changer de peau à volonté ; en cas de deuil, il pousse même la délicatesse jusqu'à arborer une peau de chagrin.
Cet animal est très recherché, surtout par la caste dite des littérateurs, qui, apôtres convaincus de la vivisection n'hésitent pas à ouvrir ces malheureux bouquins pour en extraire le suc.
Les terrains où l'on chasse généralement le bouquin sont appelés « bibliothèques » (notes du traducteur).
* * *
Ayant appris que l'État français avait aménagé, pour distraire ses citoyens, une bibliothèque dite nationale, je résolus d'aller y chasser pour y planter le drapeau norvégien.
Après a voir campé par 36° 7' 12"de latitude nord et 43° 51' 57" de longitude ouest, dans de vastes steppes désertes appelées — par dérision, sans doute, Palais-Royal — je m'armai de mon alpenstock et, suivi de mon attelage de chiens danois, je partis.
Il me fallut tout d'abord solliciter d'un garde-chef, habillé en général, l'autorisation de chasser, qui me fut donnée après entente avec le consulat de mon pays. On me pria de laisser à la porte, dans une petite pièce appelée en français « vestiaire (1) » mon attelage de chiens et mon alpenstock. On me fit également déposer un cornet à bouquin que j'avais emporté et que je croyais indispensable pour cette chasse.
On me fit ensuite remarquer que je ne devais ni fumer, ni faire de bruit, sans doute pour ne pas effrayer le bouquin, animal extrêmement méfiant, j'assurai le garde-chasse que je serais aussi tranquille qu'un renne buvant de l'eau (2). Je pénétrai alors dans la chasse gardée, où la température est uniformément de 37° centigrade (128° Farenheit), température la meilleure pour l'élevage du bouquin en captivité.
Je rédigeai encore deux feuilles de couleurs voyantes et j'allai me mettre à l'affût pendant de longs quarts d'heures qui me parurent des siècles, retenant mon haleine, les yeux fixés vers la porte par où devaient entrer les bouquins. De nombreux chasseurs assis à mes côtés guettaient également le gibier qui, poussé dans une petite voiture, arriva jusqu'à un bureau où un monsieur grave — le président de cette association cynégétique — donna des ordres aux gardes qui répartirent le gibier entre les chasseurs. A ce moment, une cloche sonna plusieurs coups — l'hallali — et la chasse fut terminée sans qu'il y eût à déplorer aucun accident de personnes.
Voici le tableau de cette chasse mémorable qui ne dura pas moins de trois heures 24 minutes.
18 in-quarto.
145 in-octavo.
1257 in-douze.
Il me fut impossible, car de sévères règlements l'interdisent, de rapporter dans mon pays natal, auquel je suis si profondément attaché, mon gibier, mais j'en ai rapporté quelques photographies que j'ai offertes au musée d'Ankeljstormfeldstvk (3) où elles font l'admiration des visiteurs.
(Traduit du norvégien par Géo DAUMAS.)
(1) Mot en français dans le texte.
(2) Jeu de mots intraduisible en français.
(3) Petite ville, patrie de l'auteur de cet ouvrage, située à 30 kilomètres au nord-ouest de Khjoersbemt près de Sueffkbreow.
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