« Le Triste Noël (Image d'Épinal pour les grands enfants) », signé de la Choufardière (allusion, ô combien transparente, à Georges de La Fouchardière !), est paru dans Oran spectacles du 22 décembre 1934.
Le texte est agrémenté d'un bois gravé de ROB.
Bibliogs / A.D.A.N.A.P. : Synergie !
Cette année-là, le 25 Décembre, la nuit était splendide quoique glaciale : toutes les étoiles clignaient de l'œil telles de vieilles cocotes et, cachée derrière l'horizon, la lune simulait une aurore à la lisière des montagnes.
« Veine ! » s'exclama le Père Noël en passant ses belles mains de prélat dans la soie neigeuse de sa barbe plus épaisse que la toison d'un mérinos.
Minutieusement, il emplit sa hotte de jouets, sans oublier une collection complète d'« Oran-Spectacles » pour Zac et un cent de baguettes de coudrier pour l'abbé Lambert. Puis comme il était en avance d'une trentaine de minutes sur l'horaire de l'aérobus affecté aux transports stratosphériques, il s'allongea sur la queue d'une comète et s'assoupit.
Il y avait à peine dix minutes qu'il dormait lorsqu'une poupée curieuse et délurée comme toutes ses semblables, se pencha au bord de la hotte puis, délibérément, l'enjamba et se laissa choir moelleusement sur un nuage.
Gracieuse et jolie, elle ressemblait un peu à Lilian Harvey : une floconneuse chevelure blonde encadrait son visage vermillonné ; ses yeux clairs et rieurs, frangés de longs cils courbes, se fermaient et s'ouvraient à volonté et quand en pressait sur un ressort dissimulé sous sa jupe, elle disait : « Maman ! » avec une petite voix nasillarde de phonographe.
Enhardies par l'exemple, d'autres poupées apparurent bientôt, suivies par des polichinelles grimaçants et des pantins hilares, par des bergers et des bergères, par des fantassins portant leur fusil sur l'épaule, des cavaliers juchés sur leur monture, des artilleurs traînant leurs canons ; par des trains, des autos, des avions...
Et, tout naturellement, les poupées, ainsi que de vraies dames, firent les coquettes et s'assemblèrent pour papoter sur la mode ou médire de leur prochain ; les soldats de plomb défilèrent musique en tête aussi impeccablement que de véritables militaires ; les polichinelles et les pantins parlèrent de politique et discourèrent à la manière des parlementaires en chair et en os ; les trains déraillèrent, les autos écrasèrent quelques piétons, les avions exécutèrent d'impressionnants loopings, etc...
Cependant, toute cette agitation lilliputienne se serait poursuivie sans gravité si un artilleur dont l'histoire n'a pas conservé le nom, ne s'était amusé (curiosité ou désœuvrement, qui le saura jamais ?) à tirer un coup de canon.
Badaboum ! Boum !
Par malheur. l'obus, maladroitement (?) dirigé alla éventrer la poupée gracieuse et jolie qui ressemblait un peu à Lilian Harvey ! Or, précisément, cette poupée entreprenante avait eu le don d'aguicher le général de plomb commandant la cavalerie. Un fort bel homme, ma foi, avec des moustaches à la Souvaroff et un dolman constellé de décorations !
Ivre de rage, ce général se précipita, à la tête de son escadron, sur le coupable. Une mêlée générale s'ensuivit à laquelle les autres artilleurs prirent part, par solidarité, et les fantassins, parce qu'ils avaient un fusil.
Vivement intéressé par ce spectacle, un aviateur qui se livrait pacifiquement à de gracieuses évolutions aériennes ne put se retenir de lâcher toutes ses bombes sur les belligérants.
Un de ces engins tomba involontairement sur le nez du Père Noël où il s'écrasa comme une bulle de savon.
Réveillé en sursaut, le séraphique vieillard se dressa sur son séant puis de frotta les yeux. En apercevant ses jouets disloqués, perdant leur son par d'affreuses blessures, il poussa un cri de désespoir.
« Les misérables ! » hurla-t-il. « Ils ont voulu imiter les créatures de Dieu ! »
Et voilà pourquoi, cette nuit-là, le 25 Décembre, les petits des hommes furent privés de joujoux.
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