« Une Catastrophe mondiale », de Curnonsky, fut publié dans Le Journal du 24 février 1911.
Il s'agit (de peu !) d'une anticipation (très farfelue !), puisque les événements décrits se déroulent le 23 décembre 1911.
Une Catastrophe mondiale
(Par câblogramme de notre correspondant spécial.)
NALJOUR-PARIS
BUFFALO (État de New-York, U.S.A.). — 23 décembre 1911, 11 heures 60 matin. (Le port est gratuit. — Le nombre des mots n’est pas limité. — Le câblogramme peut circuler dans les limites des deux hémisphères.)
Le chaud et l’effroi règnent en Amérique.
Un immense incendie s’est déclaré hier soir dans les chutes du Niagara. Les pompiers de la caserne Lobau, arrivés par aérobus extra-rapide, sont impuissants à conjurer le sinistre.
Le spectacle des cataractes embrasées défie toute description.
L’incendie est dû à la bienveillance.
Trois vice-rois du Pétrole lampant ont voulu doter leur pays de fontaines lumineuses incomparables et définitives — et permettre, en même temps à tous ceux de leurs compatriotes qui s’adonnent au noctambulisme de pouvoir admirer à toute heure la quatorzième merveille du monde. Dans cette généreuse intention, ils ont fait vider à 2,000 mètres au-dessus des chutes le contenu de 123,456,789 bidons de saxoléine… Puis, sur cette couche inflammable, ils ont projeté quelques millions d’allumettes en ignition.
Le résultat ne s’est pas fait attendre plus de vingt-trois secondes : en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, les chutes se sont embrasées dans toute leur largeur ; la lueur qui s’en dégage est si éclatante que tous les spectateurs accourus sont forcés de lui tourner le dos.
Par malheur, les improvisateurs de cette féerique cascade lumineuse ont, dans leur zèle patriotique, dépassé le but qu’ils s’étaient proposé : alors qu’ils croyaient n’allumer qu’un punch à la surface des cataractes, le feu s’est communiqué au lit même du fleuve. On ne conserve plus aucun espoir d’éteindre les flammes.
Ainsi se vérifie le proverbe : qui trop embrase mal éteint.
Une foule immense stationne devant les chutes. Onze restaurants sont déjà ouverts. Les trains de plaisir organisés à la hâte ont amené six millions d’Américains et quatre Européens, parmi lesquels MM. Jim Smiley, Bill Sharp, Willy Kohlett et notre ami Teddy.
L’affluence est telle que l’on craint des collisions entre les spectateurs.
La police de Buffalo, impuissante à contenir la foule, a fait appel à trois brigades de réserve qui viennent d’arriver, en nageant, de la Sûreté.
Le cri bien français : « Circulez, messieurs, circulez ! » est dominé par le fracas des chutes.
Des désordres sont imminents.
Dernière heure. — La Ligue contre la Licence des Fleuves va mettre en œuvre le seul moyen capable de conjurer le fléau : dès ce soir, par les soins d’un congrès d’ingénieurs oculistes, le trop cascadeur Niagara sera opéré de la cataracte.
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