« La S.U.S.P.D. », de Gus Bofa (Texte et dessins), est paru dans Le Journal du 31 décembre 1911.
La S.U.S.P.D.
Société pour l'utilisation des sous-produits dramatiques.
Capital : 160.000 francs.
Cette importante compagnie vient de déposer ses statuts la semaine dernière, et, bien que l'usine qu'elle possède à Billancourt soit, à l'heure actuelle, en pleine marche d'exploitation, nous ne sommes pas encore autorises à publier les noms des auteurs dramatiques qui figurent à sa tête.
Toutefois nous pouvons, dès aujourd'hui, renseigner nos lecteurs sur la raison sociale et le but de la société, dont les actions seront, sous peu, le meilleur placement possible pour un père de famille.
Les promoteurs de cette affaire avaient remarqué, au cours de la saison dernière (et la chose s'est vérifiée et confirmée durant l'actuelle année théâtrale) le déchet, parfois considérable, qui se produisait dans les traductions, adaptations et autres transmutations des œuvres littéraires à la scène.
La plupart des adaptateurs n'utilisent, en effet, qu'une partie plus ou moins importante de l'ouvrage initial, comme Max Maurey dans David Copperfield ou le consanguins Rostand dans Un bon petit diable. Parfois même le titre seul et les noms des personnages leur suffisent et le reste est rejeté, dépouillé d'une partie de sa valeur et abandonné sur le chemin.
Il en résultait une perte appréciable de matières premières qui, à une époque de progrès économique comme la nôtre, devait révolter le sens pratique d'industries dignes de ce nom.
Ces déchets ayant une valeur minime, souvent, mais récupérable néanmoins, il est possible d'en tirer une deuxième et parfois une troisième moutures : c'est le but que s'est proposé la S.U.S.P.D.
Par une série de traitements dont il serait trop long d'exposer la nature exacte, elle arrive à traiter dans son usine les moindres chapitres, les plus modestes, descriptions, les dialogues en apparence les moins scéniques ; elle les isole, les comprime en tablettes ou les embouteille en solution et les expédie ensuite par colporteur ou par tournées dans les théâtres de province, d'étranger et d'Extrême-Orient.
C'est ainsi que des déchets après la pièce de chez Gémier, du roman de Dostoïewski, l'Éternel mari, on a pu tirer encore : un vaudeville fort gai pour l'Allemagne, une opérette en cinq actes pour l'Amérique, onze films cinématographiques, et que l'on espère pouvoir traiter le résidu actuel pour lui faire produire encore une revue de fin d'année.
La société, outre cette source importante de revenus se propose également l'exploitation régulière d'un monopole intéressant.
On sait qu'à l'heure actuelle n'importe quel vaudevilliste peut, sans contrôle, puiser à pleines scènes dans les pièces de Labiche, de Feydeau, de Tristan Bernard. La S.U.S.P.D. est en pourparlers avec la société des auteurs pour obtenir l'exclusivité de cette sous-production et compte lui faire produire le maximum de son rendement possible.
On voit quel avenir immense est réservé à notre époque, où la demande dépasse de beaucoup la production pour la plupart de nos dramaturges, à cette intéressante société, et il n'est pas douteux qu'une hausse brusque attende ses actions aussitôt leur prochaine admission à la cote.
On peut souscrire dès maintenant à toutes les caisses publiques dignes de ce nom.
Bibliogs / A.D.A.N.A.P. : Synergie !
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