"Les « Figures Contemporaines » à la Bibliothèque Nationale" d'Octave Uzanne est un article publié à l'origine dans Le Figaro du 25 novembre 1909 sous le titre "Un don à la Bibliothèque Nationale", puis repris dans l'Album Mariani T. XII (1910) en tant que préface.
Pour plus d'informations sur Octave Uzanne, nous vous recommandons la lecture du Blog de Bertrand Hugonnard-Roche, Bibliophile-Libraire, consacré à Octave Uzanne (1851 - 1931) - Homme de lettres, Bibliophile, Vie publique, Vie privée. Vous trouverez, entre autres, un dossier sur Octave Uzanne, Joseph Uzanne, Angelo Mariani et les Figures... : "Octave Uzanne fait partie des 24 premières personnalités biographiées pour le tout premier essai d'Album Mariani publié en juillet 1891 (première série) [...]"
Au dernier printemps, je berçais un heureux farniente matinal dans le rocking-chair du Hall-reading-room d'un Palace-Hôtel de la Riviera. Près de moi, tandis que je regardais, — garé contre le mistral, — les troupeaux de Neptune frisant leur blanche toison sur la crête des vagues de la Mer antique, je perçus comme une violente controverse verbale entre deux jeunes gens. La discussion portait sur l'œuvre d'un maître médailliste de l'Institut, précisément en villégiature sur la côte. L'un des discoureurs soutenait que ce graveur célèbre avait signé certaine plaquette connue ; l'autre en attribuait la paternité à un confrère moins glorieux. Affirmations et négations aboutirent à un pari. Pour en déterminer l'issue, il convenait de trouver d'indiscutables livres de références. Le Grand Larousse datait ; Les Mémento Encyclopédiques étaient trop sommaires. L'un des parieurs proposa : « J'ai cru voir ici des volumes de l'Album Mariani. C'est bien ce qu'il nous faut ! » — L'adversaire essaya de la blague et de l'ironie...
« Mais non, reprit l'autre... Mais non, c'est très bien fait, très sérieux, tu vas d'ailleurs t'en rendre compte. »
Il fut à la bibliothèque de la salle de lecture, compulsa rapidement les tables des onze volumes jusqu'alors parus des Figures contemporaines, où tous les hommes notoires de ce temps chantèrent les vertus de la Coca régénératrice, la biographie nécessaire ne fut pas longue à trouver, et, triomphant, le jeune vainqueur du pari cita à son ami confondu un texte confirmant nettement que Oscar Roty (car c'était de lui qu'il s'agissait) était bien le créateur de la Médaille du centenaire de Chevreul, C.Q.F.D., comme on dit au Collège.
Je ne pouvais me soustraire au souvenir de ce pari, dont l'album les Figures Contemporaines avait été l'arbitre, lorsque j'appris que M. Angelo Mariani venait de faire don à la Bibliothèque Nationale de la collection reliée des notices et gravures des Douze volumes de son Recueil panthéonesque, avec adjonction des lettres, dessins, aquarelles, autographes, originaux de toutes les personnalités qui s'y pressent.
N'est-il pas surprenant de penser qu'une telle œuvre eut pour origine la publicité ? Mais quelle publicité ingénieuse, pour ainsi dire philosophique, que celle qui, dans la mutualité des bons procédés, affirme à la fois les vertus d'un vin bienfaisant aux hommes et la valeur des hommes qui attestent l'excellence de ce breuvage !
Mariani, on doit le reconnaître, eut le génie d'imaginer et de mettre en pratique une formule qui finira bientôt par devenir proverbiale, tant les résultats en sont concluants : Publicité bien ordonnée commence par les autres — par et pour ceux qui la font.
Grâce à cette conception exceptionnelle d'une publicité, — dont Balzac eût déclaré l'art transcendental, — car elle cesse vraiment de s'apparenter avec l'annonce ou la réclame, le créateur du vin à la coca, a pu réunir, en une sorte de Galeries des Illustres, près d'un millier de contemporains de première marque, depuis les chefs d'états, d'églises et d'armées jusqu'aux savants de laboratoire, aux professeurs de science médicale, aux thérapeutes, aux cliniciens, aux artistes et écrivains, aux hommes et femmes du théâtre français et étranger.
Mariani, puissant accumulateur de sympathies, pouvait seul réaliser l'œuvre en question. Ceux qui lui prêtèrent, d'un spontané élan, leur concours devinrent, sans exception, ses amis ; non pas de ces amis frivoles et passagers comme chacun de nous en compte tant sur les boulevards, mais des amis dévoués, fervents, persistants, qui sont l'honneur d'une existence.
En faut-il un exemple entre mille ? Je le découvre dans l'un des tomes offerts à la Bibliothèque ; c'est une lettre ajoutée à la biographie du poète des Trophées et datée de novembre 1902. L'académicien écrit à son ami :
Nous avons fait aujourd'hui le mot coca à l'Académie et j'ai eu le plaisir, en songeant à vous, de faire ajouter à l'ancienne définition ces trois mots : Vin de coca. J'aurais bien voulu y joindre votre nom, mais ce n'est pas dans les usages. Il aurait fallu que vous fussiez mort et j'aime mieux que vous soyez bien vivant. A vous.
J.-M. de HÉRÉDIA.
Et cette lettre du poète de Mireille, n'est-elle pas également à citer :
Maillane, 8 février 1893.
En vrai fils d'Apollon, mon cher Mariani, vous dispensez aux mortels la santé et la gloire. Je suis en admiration devant l'album magnifique où vous voulûtes bien appendre mon portrait, superbement gravé par Lalauze et amicalement enluminé par Paul Arène. Merci, et qu'Apollon vous le rende à sa manière.
F. MISTRAL.
Une autre encore de l'académicien administrateur de la Comédie-Française que voici, datée de Viroflay :
Nous retrouver et honorer Armand Silvestre : double plaisir. Vous pouvez dire que vous aurez passé dans ma vie comme un génie bienfaisant et je vous aime de tout mon cœur.
Jules CLARETIE.
Faire partie des Albums Mariani est aujourd'hui une consécration du succès. Tous les arrivés y sont représentés, iconographies, étudiés, biographiés, rigoureusement. Aussi, les arrivistes y sollicitent-ils leur admission ; mais il faut montrer patte blanche de réelle valeur et de talent et n'est point accueilli qui veut.
Douze volumes déjà publiés des Figures contemporaines constituent comme autant d'Annuaires de Gotha de la noblesse intellectuelle des deux mondes.
Ce n'est donc pas une surprise pour nous d'apprendre avec quel intérêt reconnaissant M. Henry Marcel, administrateur de la Bibliothèque Nationale, apprécia hautement la libéralité de M. Angelo Mariani offrant à notre admirable conservatoire des livres, ce recueil si complet. Les douze volumes de la Collection, ici dédoublés en vingt-quatre tomes (tant les pièces additionnelles originales y sont nombreuses), se trouvent somptueusement et différemment reliés par M. Charles Meunier, qui a prodigué sur les plats et les dos de ces volumes des petits chefs-d'œuvre de cuirs incisés, d'incrustations de médailles, de mosaïques harmonieuses, lorsque ce ne sont pas des artistes en renom qui y signèrent des aquarelles.
Une exposition temporaire dans le vestibule d'honneur de la Bibliothèque nationale, attenant au cabinet de l'administrateur général, a été aussitôt organisée. Les Figures contemporaines ont donc pu, sans délai, y être admirées et consultées avant de prendre rang dans les départements d'élite de nos grandes collections. Elles voisinent actuellement avec les belles publications, richement habillées du legs Andéoud. Plus tard, les curieux qui demanderont à consulter les Albums Mariani seront charmés par l'abondance des lettres amicales, des dessins, croquis, épreuves successives de gravures, variantes, essais divers qu'ils y verront en état absolument unique.
Ceux qui voudraient faire une étude spéciale sur l'esprit de la publicité à notre époque, et qui n'auraient point connu Angelo Mariani comprendront difficilement par quel moyen cet inventeur et producteur d'un vin fortifiant put arriver à réunir autour de lui, sans avoir jamais songé à se les attacher par des munificences royales, tant d'hommes illustres empressés à servir ses intérêts en devenant ses amis.
Les amis de Mariani, on les compte non seulement parmi ceux qui préfacèrent les Figures Contemporaines de la première heure, Jules Claretie, le plus dévoué et le plus affable des Marianistes, Armand Silvestre, Oscar Roty, Maurice Bouchor, moi-même et, parmi tant d'écrivains et illustrateurs qui lui dédièrent des contes spécialement consacrés au vin de coca, mais également parmi les maîtres de la statuaire, de la peinture, de la médecine, du barreau et de la science.
Cette publicité altruiste et mutualiste qu'il innova dans les suppléments et les albums publiés avec tant de vaillante continuité a été, il fallait s'y attendre, imitée, copiée, déformée, caricaturée même par d'innombrables industriels, car les méthodes de succès ont toujours des plagiaires. Cependant, aucun autre que Mariani ne pourra jamais réunir autour de soi autant de notoriétés et de célébrités accordant à l'instinctive sympathie, à l'attirante bonté d'un homme incomparable ce qu'ils refuseraient assurément au banal intérêt ou à la vulgaire réclame.
Ce n'est pas le nabab, c'est le philanthrope qui put mener à bien ce monument de biographies et de portraits dont la Bibliothèque Nationale vient d'accueillir le don en exemplaires originaux. Ce don, il faut bien le remarquer, authentifie, pour ainsi dire, la valeur de centaines et centaines d'autographes, presque tous alertes, spirituels, amusants, confraternels, amicaux et poétiques. Aussi bien, l'accueil fait à cette libéralité, l'exposition publique accordée à ces livres exceptionnels témoignent, sans qu'on ait à y insister, de leur intérêt et de l'importante qu'on doit attacher à leur contenu.
Les Albums Mariani, à mon sentiment, pourraient devenir de précieux et instructifs documents à consulter dans nombre de bibliothèques départementales et municipales de France, où les lecteurs retireraient tant de plaisir et d'enseignement à les parcourir. Je ne doute pas un seul instant que, s'il en était prié, ce généreux « Bonhomme Étrennes », qu'est Angelo Mariani, s'empresserait de répondre aux désirs officiels des bibliothécaires par l'envoi des rares collections de ses publications, aujourd'hui classées et si recherchées.
Figaro, 25 novembre 1909.
O. U.
Octave Uzanne – Les « Figures Contemporaines » à la Bibliothèque Nationale in Album Mariani T. XII (1910)
Octave Uzanne – Les « Figures Contemporaines » à la Bibliothèque Nationale in Album Mariani T. XII (1910)
Octave Uzanne – Les « Figures Contemporaines » à la Bibliothèque Nationale in Album Mariani T. XII (1910)
Octave Uzanne – Les « Figures Contemporaines » à la Bibliothèque Nationale in Album Mariani T. XII (1910)
Octave Uzanne – Les « Figures Contemporaines » à la Bibliothèque Nationale in Album Mariani T. XII (1910)
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