"Aller simple pour la lune" est un texte de Pierre-André Kaiser paru dans l'album Super Picsou Géant, supplément à Picsou magazine numéro spécial hors série n°77 bis (juillet 1978).
Ce récit est extrait du recueil "Jeunesse oblige" (1977), des Auteurs en Herbe, publié dans la Bibliothèque Verte (Hachette).
Aller simple pour la lune
Claude fit faire un rapide demi-tour à son fauteuil et se retrouva en face de la grande baie vitrée qui occupait l'avant et le plafond du module. Mille kilomètres plus bas était la Terre. Sa courbure apparaissait déjà nettement. La Terre d' »après ». Une heure auparavant, on était encore « avant ». L'histoire de la Terre s'était achevée une heure plus tôt. La Terre avait été couverte de grandes villes aux larges avenues animées, entre des falaises de buildings de verre et d'acier, et de campagnes où les arbres perdaient déjà leur feuillage d'été. Ce qu'elle était maintenant, c'était un immense désert, avec des restes de murs en ruine au ras de la surface, qu'un vent ininterrompu couvrait déjà d'une couche de plus en plus épaisse de poussière de sable, couleur de rouille.
C'avait été la dernière chose que Claude avait vue de son ancien univers. Autour de lui, un monde s'était écroulé, un monde où, quelques heures plus tôt, régnait la paix et dans lequel, il avait placé sa confiance. Il avait, une dernière fois, regardé la Terre autour de lui de ses yeux de quinze ans.
Puis il s'était placé en face d'un clavier semblable à celui d'une machine à écrire et avait tapé ces cinq mots : « États-Unis de la Lune. » Il programmait ainsi l'ordinateur du module qui piloterait l'engin vers le satellite de la Terre.
Le monde avait trahi Claude, il n'y avait plus rien à attendre de ce désert rouge, aride et stérile. D'un mouvement rageur, Claude tourna le dos à la grande vitre. Mais ses yeux restaient secs. Il n'aurait d'ailleurs pas été capable de verser une larme. Il était vidé, épuisé, et seuls quelques sanglots l'agitaient par saccades. Accablé, il pencha la tête, une mèche lui tomba sur les yeux, et il s'endormit.
Lorsque Claude se réveilla, la Terre n'était plus, derrière le module, qu'une grosse sphère où le bleu et l'orange se mélangeaient confusément.
Il se souvint de ses dernières impressions sur sa planète natale. Il avait eu de la peine à atteindre le module, tellement l'air s'était raréfié, et il avait dû s'agripper à l'échelle pour ne pas s'écrouler sur le sol poudreux ; puis il en avait péniblement gravi les échelons avant d'actionner l'ouverture du sas et de tomber à genoux sur la moquette de la cabine. Il avait mis en marche le groupe électrogène, et la lumière avait jailli, douce, indirecte et tamisée, puis il avait refermé la porte du sas en hâte afin que l'air impur de l'extérieur n'envahît pas l'intérieur de la cabine.
Il se demandait comment il avait pu être sauvé, comment il avait échappé au cataclysme, lui, Claude, garçon de quinze ans naïf et innocent. Il se souvenait vaguement d'une lueur aveuglante, à laquelle avait succédé un fracas d'apocalypse, alors qu'il se promenait à cheval dans la forêt. « Avant »...
Lorsqu'il était revenu à lui, le cheval n'était plus là, la forêt avait disparu. Disparu aussi, le ciel nuageux. À sa place, et bien qu'on fût en plein jour puisque le soleil brillait, s'étendait un ciel presque nocturne, avec des dizaines de milliers d'étoiles qui brillaient ; éblouissant, énorme, le soleil étincelait... Comme si des forces terrifiantes avaient soufflé l'atmosphère terrestre. Mais tout cela était « après ».
Claude devait s'occuper de la trajectoire du module. Les deux réacteurs fonctionnaient à merveille, et l'ordinateur de pilotage ronronnait doucement.
La Terre avait disparu depuis longtemps derrière le module mais la Lune grossissait dans la vitre de l'avant. Les contours de son globe argenté et son relief de cratères s'y découpaient de plus en plus nettement.
Claude avait choisi de partir pour la Lune parce que c'était l'endroit le plus proche de la Terre où il savait pouvoir trouver des hommes. Une centaine d'années plus tôt, en 1990, des hommes auxquels la planète mère ne plaisait plus, ne convenait plus, avaient fondé les États-Unis de la Lune. Ils s'étaient exilés volontairement, et avaient créé leurs villes sur la surface défoncée du satellite de la Terre. Ils ne devaient pas être bien nombreux, deux cent mille, deux cent cinquante mille peut-être, alors que la Terre, qui pour eux ne représentait plus que l'Ancien Monde, en comptait plus de douze milliards. Claude sourit en se rappelant les premiers immigrants américains, débarqués par le Mayflower. Mais c'était déjà si loin... Ça devait remonter à trois cents ans, au moins, avant l'ère atomique.
Claude modifia la trajectoire du module afin de ne pas atterrir sur un terrain trop accidenté et choisit pour se poser un vaste emplacement vierge de tout cratère météorique. Sur le tableau de commande, les chiffres apparaissaient, s'effaçant les uns des autres.
... 440... 438... 436... 434 km d'altitude, 8,7... 8,5... 8,2 km à la minute.
La décélération commençait à se faire sentir, mais très doucement, comme lors de l'arrivée d'un ascenseur : un léger sentiment d'oppression s'emparait de Claude.
Un bruit régulier retentit, et un bouton vert se mit à clignoter sur le tableau de commande. Les cadrans indiquaient une altitude de deux kilomètres, et une vitesse de descente de dix mètres à la seconde. Claude éteignit presque complètement le réacteur principal, et le module s'approcha lentement du sol ; au bout de deux minutes, il n'était plus qu'à mille mètres , et descendait de moins en moins vite. Cinq minutes plus tard, il flottait dans l'air, à un mètre du sol, soutenu par ses rétrofusées. Avec lenteur, les cinq pieds du module se déplièrent, sortant de leur habitacle, adaptant leur hauteur aux accidents du terrain, de telle sorte que le vaisseau soit absolument horizontal, puis se verrouillèrent solidement.
Claude endossa sa combinaison isolante, y adapta le casque de Plexiglas, vérifia la température du dehors qui approchait de + 100 degrés, et s'enferma dans l'étroit sas de sortie. Le vide se fit et, silencieusement, la porte donnant sur l'extérieur glissa de côté.
Le paysage lunaire apparut. Claude descendit rapidement par l'échelle. Autour de lui, s'étendait une vaste plaine, limitée à l'horizon par les contreforts d'une chaîne de collines aux lignes assez douces, et à droite et à gauche, par des étendues chaotiques criblées de cratères météoriques aux contours espacés.
Derrière Claude, le module reflétait la lumière aveuglante du soleil. Il savait que sur la Lune, les colons s'étaient établis dans de petites cités semi-souterraines, mais où les chercher ? Il était bien possible que la ville la plus proche fût à plus de cent ou deux cents kilomètres. Mais Claude se souvint que des cartes avaient été établies, et il décida d'essayer d'en trouver une dans le module après avoir exploré un peu les environs. Il se dirigea donc vers un rocher à moitié enfoui dans le sol, à quelque deux cents mètres du module.
À chaque pas, il bondissait comme sur un trampoline, et ses pieds s'enfonçaient dans la terre friable, soulevant de légers nuages de poussière. Mais le rocher que Claude s'était fixé pour but semblait reculer à mesure qu'il avançait et devait se trouver en fait à plus de deux kilomètres. Claude maudit sa naïveté et obliqua vers la gauche. Il distingua soudain une ombre qui se déplaçait rapidement sur le sol et leva les yeux.
À une centaine de mètres, volant très bas, passait un module semblable au sien, un peu plus petit. Claude le vit décrire un virage sur la gauche et obliquer sur lui, s'immobiliser, hésiter, puis se poser à moins de dix mètres de lui. Presque aussitôt, la porte s'ouvrit, puis l'échelle se déplia et deux jeunes garçons se laissèrent tomber sur le sol, et s'approchèrent du jeune Terrien en faisant de grands bonds. Ils lui firent signe de les suivre. Claude hésita, puis se décida, et le petit groupe se dirigea vers le module lunaire, les deux garçons de la Lune progressant par lents bonds gracieux et le Terrien se déplaçant, malhabile, à leurs côtés. Tous trois se retrouvèrent dans le sas, attendant que la pression atteigne celle de la cabine, où ils étaient assis quelques minutes plus tard.
Les deux Sélènes déboulonnèrent leur casque, et Claude décida de les imiter. Les trois garçons, ou plutôt Terrien et Sélènes, se dévisagèrent. Claude remarqua que les deux garçons de la Lune étaient étonnamment pâles et blonds.
— Bonjour, dirent-ils fort naturellement. Tu viens de la Terre, n'est-ce pas ? Nous avons reconnu cela à ton vaisseau qui est plus grand que nos modules ordinaires.
— C'est vrai, je viens de la Terre, répondit Claude légèrement sur la défensive, content tout de même d'avoir si rapidement trouvé un contact avec les Sélènes. Je suis venu car, sur la Terre, la vie est désormais impossible. La Terre est une planète morte. »
Il s'approcha de la baie, à l'avant du vaisseau, et regarda vers l'horizon, tout autour de lui. Mais la Terre ne s'était pas encore levée et le noir ciel lunaire était encore vide.
Les deux garçons le regardèrent, stupéfaits et incrédules.
« Guerre atomique ? » finit par prononcer celui qui paraissait le plus âgé.
Claude haussa les épaules en signe d'ignorance et baissa la tête. Il y eut un instant de silence puis Claude demanda, en sentant la vibration des deux réacteurs :
— Où allons-nous ?
— Dans notre ville. Je pense que tu n'es pas venu sur la Lune pour te promener tout seul ? Elle s'appelle Newpolis.
— Ne t'étonne pas si tu nous entends parler entre nous une langue que tu ne connais peut-être pas : nous conversons en latin, reprit le second Sélène.
— En latin ! s'exclama Claude horrifié.
— Oui, répondit son interlocuteur avec un sourire amusé, c'est en effet une langue que nous avons presque tous apprise à l'école, aussi bien à Newpolis que dans toutes les autres cités Sélènes. Mais à Newpolis, nous parlons aussi l'anglais ; c'est la langue de nos ancêtres. L'unité de langue facilite beaucoup nos rapports avec les autres cités, et chez nous, nous utilisons une langue propre. Tiens, nous arrivons. Mais il faut que je me présente : je m'appelle Caïus. Mon frère, fit-il en désignant son aîné, se nomme Marcus. Voici Newpolis. »
Par la vitre avant, Claude vit un bâtiment en forme de cube, un cube dont seule la partie supérieure émergeait, une sorte de boîte d'allumettes carrée, mais une boîte immense d'un kilomètre de côté, dépassant le sol d'une trentaine de mètres.
Le module prit un peu d'altitude.
« Les parois sont en ciment armé de huit mètres d'épaisseur, commenta le plus jeune des deux Sélènes. Quant au toit — il se pencha en avant — c'est une immense vitre de verre blindé épaisse de deux mètres parfaitement transparente, d'une seule pièce... cela nous protège des chutes de météorites », expliqua-t-il.
Le module fit demi-tour et se retrouva en face de l'interminable paroi de béton. Le vaisseau resta un moment immobile et soudain, une ouverture qui adoptait exactement la forme du module vu de face apparut dans le mur. Lentement, l'engin avança et vint s'engager exactement dans l'ouverture, qui l'avala et se referma sur lui.
Après trente secondes, le module s'arrêta, et un long cylindre blanc télescopique sortit de la paroi de la pièce et vint s'appliquer contre la porte de l'engin. Les deux Sélènes en commandèrent l'ouverture, et les trois garçons s'engagèrent dans le cylindre, se retrouvant dans une petite salle bien éclairée, dans laquelle attendait un très curieux appareil en forme d'œuf, tout en plexiglas, fixé au sol par une espèce de mince aileron métallique.
— Ce sont nos voitures-taxis, expliqua Caïus. Nous ne nous en servons qu'à l'intérieur de la ville. Viens ! »
Les trois garçons s'installèrent confortablement dans le taxi. Celui-ci comportait quatre sièges : deux à l'avant, et deux, légèrement surélevés, à l'arrière. La lumière s'alluma, une agréable lumière orange. Le taxi-bulle se mit en mouvement dans le plus parfait silence, que Marcus, l'aîné des Sélènes, rompit pour une nouvelle explication.
« Vois-tu comment le taxi se déplace ? »
Claude, installé à l'avant, se pencha et remarqua que leur engin suivait une étroite rainure dans le sol, large de deux centimètres à peine, deux lèvres métalliques.
— L'aileron qui est fixé sous le taxi est engagé dans cette rainure. Sous la rainure, avance un chariot propulsé électroniquement auquel sont fixés l'aileron et le taxi. D'accord ?
— Pas mal, acquiesça Claude... très bien. Mais lorsqu'il y a un embranchement, comment faites-vous pour tourner à droite ou à gauche ?
— Nous ne nous en occupons même pas. Tout cela, c'est le travail de l'ordinateur du bord. Avant de partir, nous ordonnons à l'ordinateur : emmène-moi à la piscine en passant d'abord chez mon ami Lucius. L'ordinateur, lui, enregistre ces données, et la bulle nous amène par le chemin le plus court chez Lucius puis à la piscine.
— Mais, avec ce système où personne ne s'occupe de la conduite, il doit y avoir une quantité d'accidents ?
— Jamais. Les rails vont toujours deux par deux, l'un pour les bulles qui vont dans un sens, l'autre pour celles qui viennent dans le sens contraire. Aux croisements, il n'y a jamais d'accidents, car un radar communique à l'ordinateur toutes les données concernant les bulles qui circulent aux alentours. Si deux bulles se rapprochent trop l'une de l'autre, le radar de chaque bulle le fait savoir à son ordinateur, qui fait immédiatement ralentir la machine. Les accidents sont donc absolument im-pos-sibles !
Claude ne tenta pas de cacher son admiration. Puis il demanda, sceptique :
« Mais vous devez être riches, pour vous payer des taxis pilotés par ordinateur, par exemple !
— Pas du tout. Ici, personne n'est pauvre ou riche. Chacun travaille pour la ville ou pour l'État. Nous ne payons pas d'impôts, mais nous ne sommes pas payés non plus. Si nous avons besoin de quelque chose, la ville ou l'État nous le donne. C'est notre salaire. Par exemple, chaque Newpolite a droit, dès sa naissance, à une surface d'habitation de cinquante mètres carrés. Dans la famille, nous sommes quatre, et nous avons donc reçu un appartement de deux cents mètres carrés. Nous avons aussi reçu un taxi-bulle pour quatre personnes. Tu comprends ? Nous travaillons pour Newpolis et Newpolis nous donne ce dont nous avons besoin, et souvent ce dont nous avons envie.
— C'est extraordinaire! approuva Claude enthousiaste.
La bulle ralentit et obliqua sur la voie de parking afin de ne pas obstruer la voie principale. Claude put jeter un coup d'œil par la porte de l'un des bureaux. Jamais il n'en avait vu de si confortable. Il eut l'impression qu'à Newpolis le travail de bureau devait être bien agréable, et que l'espèce du scribouillard recroquevillée dans une pièce mal éclairée était une espèce définitivement disparue.
Mais le taxi-bulle poursuivit sa promenade parmi les larges couloirs peints en couleurs chaudes. L'engin laissa derrière lui le secteur des bureaux et arriva dans le quartier des Magachra.
« C'est le coin des MAGasins pour ACHat RApide, expliqua Caïus. Si tu es pressé, tu viens faire tes achats ici. Ta bulle s'arrête devant l'un des ordinateurs. Sur le clavier, tu tapes ce que tu veux, par exemple : beurre, une livre, et après dix secondes, les marchandises arrivent dans ton taxi par un tuyau spécial. Évidemment, c'est très froid, comme système, très inhumain. Si tu as assez de temps, mieux vaut aller dans le Centre. »
Le taxi-bulle passa devant les Magachra d'alimentation, devant lesquels attendaient quelques bulles semblables à celle qui emmenait Claude à travers la cité.
Puis l'un des deux Sélènes tapa sur le clavier de l'ordinateur le mot PARKING. Le taxi ralentit sa course et soudain, une petite lumière rouge s'alluma sur le tableau de contrôle et il s'arrêta. Les deux bords du rail qu'avait suivi le taxi s'écartèrent, et la bulle disparut dans les profondeurs. La rue se referma sur elle. Une lumière orange pénétra dans le taxi par la grande baie avant et un couloir télescopique se détendit pour venir s'appliquer contre l'ouverture du véhicule. Les trois garçons quittèrent celui-ci, longèrent le couloir, qui s'arrêta après cinq mètres et obliquèrent à gauche pour pénétrer dans un spacieux ascenseur. Celui-ci les remonta au niveau de la rue.
« Tu vois, ici, à chaque étage, nous avons les mêmes quartiers, mais disposés différemment afin de ne pas avoir de plan monotone. Magachra, centre, bureaux, habitations... lui expliqua Marcus. Tiens, nous arrivons. »
La rue s'était arrêtée une cinquantaine de mètres plus tôt et, maintenant, les trois garçons se trouvaient en face d'une balustrade d'acier aux formes douces qui montait à hauteur de poitrine. Ils approchèrent, et Claude découvrit alors un spectacle incroyable. À ses pieds, une quarantaine de mètres plus bas, s'étendait un parc verdoyant, auquel on accédait par des escaliers aux formes minces et légères, qui tournoyaient gracieusement jusqu'au sol. Ça et là, quelques grands arbres s'élevaient, droits et fiers, au milieu de jolies pelouses vertes alternant avec des étangs aux couleurs différentes, élégamment disposés et enjambés par des ponts élancés. Claude regardait, fasciné. Caïus leva les yeux, et Claude l'imita. À travers le verre épais et transparent du toit de la cité, les étoiles scintillaient dans un ciel noir, dans le ciel éternellement noir de la Lune. Leur éclat était vif, et la couleur variait de l'une à l'autre, toujours froide et métallique. Le contraste était saisissant entre le noir indifférent et lointain de l'espace et la lumière chaude et rassurante de Newpolis.
Les trois amis se promenèrent tranquillement dans ce curieux parc, oasis naturelle au milieu de ce petit univers artificiel.
Claude s'approcha d'un grand arbre au tronc droit et qui dressait sa cime à trente mètres du sol, et y appliqua sa main, faisant courir ses doigts sur les aspérités de l'écorce.
« Ils sont naturels ! » lui dit Marcus en riant.
Il s'agenouilla et caressa, de sa paume, l'herbe de la pelouse. Claude se demanda comment ce paradis avait pu être créé sur un astre si stérile. Et sa tristesse était immense en pensant que tout cela avait existé sur la Terre.
Les deux compagnons de Claude l'invitèrent à manger et tous trois s'assirent sous la pergola d'un petit restaurant qui débordait sur la rue en fleurs et, où on leur servit des tranches de viande grillée puis des fruits. Claude jugea qu'il était impossible que ceux-ci soient fabriqués artificiellement.
« Tu as raison, lui répondirent ses compagnons. La viande vient du bétail que nous entretenons dans les étages inférieurs. Nous y avons aménagé de vastes prairies d'herbe des champs de blé et de toutes sortes de céréales. Quant aux fruits, nous avons des vergers, ensoleillés par des rayons solaires artificiels et parfaitement identiques aux rayons naturels.
Avec plaisir, Claude avala une dernière pêche, et les trois camarades se laissèrent aller, se reposant sur le dos de leur siège, les jambes tendues, les yeux fermés ou observant les gens qui passaient dans la rue.
Tout le reste de la journée, ils se promenèrent dans le centre, d'une boutique à une autre, et dans le parc. Lentement, la gaieté revint à Claude, que les deux Sélènes invitèrent à dormir chez eux. Ils se dirigèrent donc tranquillement vers le parking, en discutant de choses et d'autres.
Quel contraste avec la Terre ! Où était maintenant le monde civilisé et heureux, et où était le désert ?
« Nous recommençons l'école la semaine prochaine, se rappela soudain le plus âgé des compagnons de Claude. C'est formidable : nous avons école le matin, et l'après-midi soit nous faisons du sport, soit nous sommes libres. »
Ils se rapprochaient du parking tout en conversant. Une adolescente sourit à Claude, et il lui rendit son sourire. Ils récupérèrent le taxi-bulle, qui se dirigea vers l'un des étages supérieurs où habitaient les deux amis. Leurs parents étaient partis voir des amis dans une autre ville, de sorte que les deux garçons étaient seuls. Ils improvisèrent rapidement un lit pour leur compagnon, avalèrent leur dîner sur le pouce et reprirent leur promenade dans les couloirs multicolores de Newpolis, pour se retrouver finalement devant la baie vitrée du dernier étage. Devant eux s'étendait le paysage lunaire, avec son sol caillouteux et son relief accidenté. Très loin se dessinait le bord d'un cratère, et à droite, les lignes plus douces d'une chaîne de collines.
Les yeux des trois amis parcoururent ce paysage dantesque et désolé. Soudain, les yeux de Claude accrochèrent un bâtiment semblable à New-polis, mais plus petit.
— Une autre ville ? demanda -t-il, intrigué par la proximité de l'édifice.
— Non ; c'est notre dépôt d'armes. Nous y entreposons les bombes atomiques, et c'est là que se trouvent les silos des missiles à ogives nucléaires. C'est là-dessus qu'est fondée notre paix, nous devons nous défendre contre nos ennemis, les États de la Face Cachée. »
Les garçons se remirent en marche et regagnèrent l'appartement.
Les trois garçons se couchèrent aussitôt et la lumière s'éteignit. L'obscurité artificielle de Newpolis s'établit. Tous trois eurent de la peine à s'endormir et eurent un sommeil agité.
Le lendemain matin, ils déjeunèrent tranquillement, puis Claude annonça brusquement qu'il quitterait la Lune après le déjeuner de midi.
— Quoi! tu pars ! s'exclamèrent ses deux camarades. Mais pourquoi ? »
Claude ne leur répondit pas, et leur demanda s'ils pourraient le conduire hors de Newpolis.
— Nous pouvons te conduire jusqu'à ton module spatial.
— Il n'est pas loin, et j'y arriverai rapidement en marchant.
— Tu reviendras ? »
Claude mentit :
— Je reviendrai. »
Ils firent encore une courte promenade dans le parc, puis regagnèrent, avec leur taxi, le module lunaire qui les avait amenés, la veille, dans la cité.
Aussitôt après, le module s'arrêta, sur la prière de Claude, et les trois garçons endossèrent leur combinaison spatiale. La porte du sas s'ouvrit et bientôt les trois camarades se retrouvaient au pied de l'échelle du module des deux Sélènes. Claude serra la main de ses deux amis d'un jour, puis regarda devant lui, là où, un kilomètre plus loin, se trouvait son module spatial. Il salua encore amicalement les deux Sélènes puis s'éloigna. À chaque pas, il soulevait un léger nuage de poussière. Sa silhouette décrût et ne fut bientôt qu'un petit point entre les deux garçons de la Lune et son module.
L'un des Sélènes, fit un pas en avant. C'est alors qu'il aperçut le bout de papier gisant dans la poussière. Il le prit dans son gant et l'approcha de ses yeux. Après l'avoir lu, il le tendit à son compagnon.
« Je ne reviendrai pas. Je ne peux pas rester quelque part où la paix est figurée par deux hommes assis chacun sur un tonneau de poudre, se regardant fixement et prêts à mettre le feu à la mèche qui aboutit au tonneau de l'autre. Je pars à la recherche d'un monde où le bonheur ne repose pas sur une bombe atomique. Si vous parvenez à supprimer cet état de choses sur la Lune, appelez-moi sur la longueur d'onde que voici. Le message de réussite : trois traits. Ne me suivez pas, vous êtes plus utiles où vous êtes. »
CLAUDE, de la Terre.
Claude hésita avant de s'engager sur l'échelle de son module. Deux mètres plus bas, les cinq pieds de son vaisseau reposaient sur le sol martien. Mars n'était qu'une étape dans sa quête. Tout le monde savait qu'il n'y avait jamais eu, qu'il n'y avait toujours pas d'hommes sur Mars.
Claude fit quelques pas en avant. La pesanteur était faible et il avança rapidement d'une centaine de mètres, laissant le module derrière lui. Puis il regarda autour de lui et décida d'escalader une colline de hauteur moyenne qui s'allongeait à droite et à gauche, sur deux bons kilomètres. Lentement, il entreprit son ascension. À chaque pas, ses pieds s'enfonçaient dans une épaisse et moelleuse couche de sable. Plus il s'élevait, plus le vent se faisait fort. Bientôt, le jeune garçon arriva au sommet. Il se trouvait sur le bord d'un immense cratère.
Claude entreprit la descente. Cheminant entre les blocs détachés, il avançait prudemment pour ne pas glisser. Transpirant, il atteignit le fond de l'énorme cratère. Devant lui, ce n'était qu'une immense plaine rouge et lisse que ne limitaient que les bords en forme de colline, très loin.
Mais, c'est déjà après quelques pas que Claude découvrit... « la chose » : à droite et à gauche, à l'abri de l'élévation formée par le bord du cratère, qui l'avait protégé de l'érosion, s'étendait un immense champ de ruines. Claude se baissa, et de la main palpa les bords rongés de ce qui avait été un épais mur de béton. Grâce au jeu des ombres et de la lumière qui soulignaient le relief, le jeune garçon découvrit le plan des rues et des bâtiments. Plus il s'avançait vers le centre du cratère, plus les murs étaient rongés et bientôt les ruines disparurent, recouvertes par le sable. Extrêmement las, Claude remonta sur le bord du cratère. Il ressentait la terrible impression d'être vide, de n'être rien, d'être seul au milieu d'un univers d'incompréhension.
Puis, il leva les yeux et regarda la Terre qui passait au zénith. Et il se mit à courir vers le module, à courir pour ne plus regarder vers cette cité morte, pour ne plus lever les yeux vers cet astre qui commençait déjà à ressembler à la Planète Rouge.
Il s'arrêta au pied de l'échelle. Sa lassitude ne l'avait pas quitté, mais l'espoir revenait. Il trouverait un monde dans lequel existait la vraie paix.
Levant les yeux, il aperçut tes étoiles. Il y en avait des milliers. Comment serait-il possible que, d'entre toutes ces étoiles, il n'y en avait pas une seule qui abritât la vie ?
À Newpolis, quelqu'un lui avait souri. Il se rappelait. Il sourit, lui aussi, et rentra dans le module. Les cinq pieds du vaisseau spatial se replièrent, et le module s'éleva, laissant Mars derrière lui. La planète décrût et décrût, jusqu'à n'être plus qu'un petit point ronge. Claude détourna la tête. À des milliards de kilomètres brillait une étoile...
FIN
Pierre-André Kaiser - Aller simple pour la lune in Super Picsou Géant, supplément à Picsou magazine numéro spécial hors série n°77 bis (juillet 1978)
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