« Robida précurseur et visionnaire », de
est paru dans Paris-Soir nº 1321 du 19 mai 1927.Robida précurseur et visionnaire
Compiègne fête actuellement la mémoire et le génie de Robida.
L'austère palais, dont s'enorgueillit cette ville, sert désormais de tabernacle à toutes les œuvres du visionnaire, patiemment réunies et cataloguées. L'enfant prodigue de Compiègne y gagnera beaucoup en renommée, et tous ceux qui mettent la Fantaisie intelligente au-dessus des compositions réalistes ne manqueront pas de s'en réjouir.
Il ne s'agit point ici d'étiqueter le talent de Robida comme une bouteille de Champagne, ni de savoir s'il fut un grand artiste ou simplement un bon dessinateur. Ne nous attachons, qu'à l'esprit des œuvres exposées.
Certes, il est divertissant, de feuilleter le premier album de Robida, intitulé Des qualités requises pour faire un bon notaire et qui mentionne parmi les talents du Parfait Tabellion « Bien écorcher les clients. — Ne jamais les faire crier. — Les flanquer à la porte s'ils crient. » Mais on ne peut voir là qu'une boutade de saute-ruisseau.
À cette époque, en effet, Robida était petit clerc chez un notaire de Compiègne dont il déshonorait l'étude par ses précoces facéties.
J'irai même plus loin, en invitant le touriste à ne pas trop s'attarder devant les aquarelles qui célèbrent les campagnes et les clochers de « douce France ». Ce n'est là que de l'illustration poétique et savante, agréable à découvrir sous la reliure d'un livre de prix, et qui eût également trouvé sa place dans les magnifiques volumes de Ballades de Paul Fort.
Où Robida nous intéresse et nous étonne, c'est lorsqu'il contemple l'avenir de ses yeux écarquillés et trace d'une main délirante l'image de « ce qui sera ». Il a tout prévu : la navigation aérienne, l'horrible guerre moderne, les moyens actuels de communication entre les villes et les peuples.
Il eût pu se tromper et, dans ce cas, sa tâche eût été beaucoup moins méritoire : tous les hommes depuis Icare, n'ont-ils pas rêvé de planer dans les nuages ? Tous les guerriers, depuis l'antiquité, n'ont-ils pas désiré anéantir les villes ennemies à l'aide de machines infernales ?
Ce qui fait l'immortalité de Robida, c'est qu'il a vu vrai, c'est que la réalité présente justifie toutes ses prédictions comme s'il avait inspiré deux générations d'ingénieurs et de savants.
La guerre moderne, Robida l'annonçait dès l'année 1870. Il ne l'appelait pas avec ferveur, comme tous les Déroulèdes dont la France fut le berceau. Il la redoutait, et c'est ce qui explique le caractère tragique de ses compositions. Et surtout, il savait par avance ce qu'elle serait.
Il a représenté des hommes enfermés dans des cubes et qui vont à l'assaut des citadelles comme les prisonniers d'un nouveau cheval de Troie — et cela, c'est la prévision des tanks. Il a montré des armées entières suffoquées par les vapeurs pestilentielles qui s'échappent de bombes éventrées — et c'est l'invention, avant la lettre, des obus asphyxiants.
Si Robida avait prévu ce néfaste progrès, il avait également deviné l'Autre : celui qui donne aux hommes la puissance des Sorciers, anéantit l'espace et supprime l'impossible. Les machines volantes de Robida se rattachent évidemment au type « dirigeable » beaucoup plus qu'au type « avion ». Toutefois, l'artiste pressentait déjà les perfectionnements modernes lorsqu'il enrichissait d'une ou deux paires d'ailes battantes ses chers oiseaux mécaniques.
Par certains côtés, il a même devancé le présent, puisqu'il a peint tout ce dont rêvent les assoiffés de mouvement : la plate-forme aérienne d'où partent les machines volantes et où elles reviennent se poser, l'avion de tourisme qui remplace l'autocar et dont les passagers ont déjà des physionomies d'hurluberlus particulières aux étrangers de Paris, l'avionnette économique enfin, où prend place une seule personne et que pilotent indifféremment le commis voyageur ou la jolie Parisienne qui va se promener au Bois — pardon, au-dessus du Bois…
Ce n'est pas tout. Voyez cette jeune étudiante, voyez ce monsieur à favoris blancs dont la physionomie rappelle celle de feu Arthur Meyer : confortablement installés dans leur chambre, tous deux contemplent un écran où viennent s'imprimer des signes et des images. L'étudiante suit son cours de mathématiques sans se rendre à la Sorbonne. Le vieux monsieur s'informe des nouvelles du jour avant même que les journaux aient paru. Cela, c'est la télévision imaginée par un homme du siècle dernier.
Rien de grave, rien de pontifiant dans toutes ces compositions. Le sourire et les fanfreluches des femmes nuancent chaque tableau d'une atmosphère de « Fête Galante ». Toutes ces œuvres sont nées sous le signe de la Joie et de l'Amour.
On peut préférer à ces images fantaisistes du monde à venir, celles que Robida consacra au monde des contes de fées, ses nuits de Walpurgis, ses marines où batifolent des ondines et des tritons, ses forêts enchantées toutes peuplées de bons génies couronnés de lierre.
Ce qu'il importe de retenir, c'est que Robida, prophète des prophètes, pèse sur notre siècle par son imagination de Titan.
« Rien n'est beau que le vrai » a dit un poète grincheux. Il ne songeait donc pas à ceux qui, dédaignant le vrai d'aujourd'hui, peignent le vrai de demain, et s'égalent aux Dieux par leur vision surnaturelle de l'Éternité ?
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Destins croisés : Albert Robida & Louis Moulignié , in Le Visage Vert n°25 (février 2015)
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