"Le Docteur de Garlaban", nouvelle écrite par Aimée Fabrègue, fut publiée dans Le Magasin Pittoresque n°4 du 15 février 1900.
Le texte n'est pas illustré.
Le docteur Darbois était arrivé à Garlaban précédé par une réputation de savant. Il sortait de la faculté de Montpellier, et c'était pour les Garlabanais le plus beau titre de gloire. Même, ils ne comprenaient pas bien comment un homme qui aurait pu exercer en ville — et dans quelle belle ville aristocratique ! — avait préféré s'installer à Garlaban.
C'est que Garlaban était un délicieux petit village, planté au bord de la mer bleue parmi les mimosas et les orangers. Les eucalyptus et les pins pénétraient l'air de senteurs fortes et saines. C'était un coin béni où l'étude devait être douce comme un jeu, et le docteur l'avait choisi parce que, muni de son diplôme, il ne se croyait pas investi de la science universelle et voulait, au contraire, travailler âprement pour essayer d'arracher à la nature quelques-uns de ses secrets et tâcher de les transformer en bien pour l'humanité souffrante.
A peine installé, il se mit à l'étude, et les Garlabanais virent avec étonnement M. Darbois, au lieu de courir à la recherche des malades, ouvrir ses livres et s'absorber en eux. Ils ne comprenaient rien à ce singulier homme. Comme il ressemblait peu à son prédécesseur, toujours par monts et par chemins, faisant tirer la langue à celui-ci, auscultant celui-là, de telle façon qu'il finissait par vous convaincre que, ma foi, vous aviez bien besoin de ses soins et de ses visites. On rencontrait bien le docteur par les routes, mais il était toujours en compagnie de quelque livre qu'il dévorait en marchant. Quant aux malades, il attendait tranquillement ou qu'ils vinssent chez lui ou qu'ils le fissent appeler chez eux. Cette méthode était sans doute la bonne, car depuis l'arrivée de M. Darbois tout le monde se portait bien à Garlaban. Pourtant, les gens n'étaient pas contents ; ils s'étaient fait une toute autre idée du genre de vie que devait mener un savant, et l'existence de M. Darbois les déroutait.
Les plus malins disaient :
— Pourquoi a-t-il toujours le nez fourré dans un livre ?... S'il est savant, comme on nous l'a affirmé, il n'a plus besoin d'apprendre ; et, s'il n'est pas savant, nous n'avons plus besoin de lui...
Les autres trouvaient le raisonnement sans réplique et approuvaient.
Le docteur, qui n'avait d'abord remarqué sur la physionomie des Garlabanais que de l'étonnement, y distingua bientôt des sourires ironiques et même une certaine hostilité.
Il s'affligea car il aimait ces braves gens et aurait voulu être leur ami. Il sentit néanmoins peu à peu qu'il perdait tout son prestige auprès d'eux et qu'il était nécessaire de frapper vivement l'imagination de ces grands enfants pour qu'ils lui rendissent leur confiance en son savoir.
Donc, le docteur fit annoncer à son de tambourins que, le dimanche suivant, à deux heures de l'après-midi, il se rendrait au cimetière et que là, il ressusciterait tel mort qu'on lui désignerait.
La nouvelle fit grand bruit comme bien l'on pense.
Les plus malins insinuèrent bien :
— Il galèje...
Mais, en se grattant l'oreille, ils finirent par confesser : « Pas moins... s'il disait vrai ?... »
Aussi, au jour dit, toute la population était-elle réunie dans le petit cimetière de Garlaban.
On était à la saison des fleurs. Mai rayonnait et des guirlandes de roses grimpaient après les tombes. Le soleil brillait dans le ciel bleu ; la mer étincelait comme une immense nappe d'argent sous ses rayons ; des oiseaux chantaient dans les branches vertes des pins et le cimetière était si frais sous sa parure embaumée qu'on eût dit un jardin. Des enfants jouaient autour des tombes, et des mères riaient aux tout petits dont les pieds s'embarrassaient dans les guirlandes de roses qui traînaient jusque par terre. C'était la vie qui voisinait avec la mort, mais sous ce ciel éblouissant et ce grand soleil qui jetait des coulées d'or sur les choses, rien n'apparaissait triste.
Tout Garlaban était là ; même les vieillards s'étaient fait conduire au cimetière pour jouir du miracle avant de fermer leurs yeux à la lumière.
Il n'était pas encore l'heure fixée par le docteur que l'on s'impatientait.
— Il n'ose pas venir... murmurait-on déjà. Enfin, M. Darbois parut. Vêtu de noir, l'air grave, il s'avança lentement et prit place sur un tertre d'où il dominait l'assistance. Un silence religieux planait ; on eût entendu le bruissement d'un brin d'herbe.
Le docteur produisait déjà son effet et on lui trouvait vraiment la mine de quelqu'un qui va faire un miracle.
Très calme, M. Darbois promena son regard autour de lui et, d'une voix bien timbrée, il demanda :
— Voyons, qui allons-nous ressusciter ?... Chacun regarda son voisin et le silence régna plus profond encore.
Le docteur attendit quelques instants ; un fin observateur aurait pu remarquer que quelque chose, comme l'ironie d'un sourire, soulevait légèrement les coins de sa bouche.
Il dit :
— Puisque personne n'ose se décider, je vais choisir moi-même celui que je vais vous rendre...
Les visages se tendirent, anxieux...
— Si nous ressuscitions cette Joséphine Oserger qui mourut presque à la veille de son mariage, et qui était, dit-on, la plus belle et la plus sage fille de Garlaban ?...
Une voix, sanglotante dans la foule, cria :
— Non, monsieur le docteur, non... Laissez dormir la chère innocente... Elle est partie croyant que son fiancé ne l'oublierait jamais et, à peine était-elle refroidie, qu'il en choisissait une autre, non plus belle, mais plus riche que ma Joséphine... Elle aurait tant de chagrin, si elle voyait les préparatifs de la noce, qu'elle me maudirait de l'avoir fait rappeler à la vie...
Et la pauvre mère, bouleversée, éclata en pleurs. Le docteur eut un geste large de compassion et dit :
— Laissons dormir les cœurs blessés d'amour... Il réfléchit quelques instants, puis avisant un paysan, il reprit :
— Pierre Lardey, je vais faire revenir votre femme sur la terre... On m'a conté l'histoire de votre ménage ; vous étiez très unis...
— Non, monsieur le docteur, non !... interrompit Pierre, ne prenez pas la peine de rappeler ma défunte... Certes, c'était une bonne femme, mais si paresseuse ! Elle passait son temps à regarder les nuages et quand je rentrais du travail, la soupe n'était jamais prête... Il me fallait éplucher les pommes de terre, couper le bois, même parfois laver mes « brayas ».... Je ne suis pas méchant et je n'ai jamais eu le courage de me fâcher devant les yeux doux de Madeleine... Elle est partie, tant pis pour elle ! Je me suis mis en pension dans une famille excellente et, quand j'arrive, je n'ai qu'à me mettre à table. Je ne charrie plus l'eau ni le charbon, ni ne trempe la soupe ; Je puis fumer ma pipe sans soucis. Je suis tranquille ; je ne tiens pas à changer... Madeleine n'avait qu'à ne pas s'en aller si tôt...
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