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Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Amicale des Amateurs de Nids à Poussière

Le Blog de l'Amicale Des Amateurs de Nids À Poussière (A.D.A.N.A.P.) est un lieu de perdition dans lequel nous présentons revues, vieux papiers, journaux, ouvrages anciens ou récents, qui s'empilent un peu partout, avec un seul objectif : PARTAGER !

Rite de passage d'Alexei Panshin

(Prix Nebula 1968) - Hélios n° 52

 

« Les gens « mûrs », qui vivent sans une seule fausse note, sans la moindre maladresse, sacrifient tout le côté original et créateur de la vie. Ils ne connaissent ni les vrais succès ni les vraies faillites. Cela ne me dit rien, et voilà pourquoi j’ai toujours refusé d’accepter l’image que l’on donne généralement de la maturité.

Ce n’est qu’après mon retour de l’Épreuve que je me fis une idée personnelle de ce qu’était la véritable maturité. La maturité est la capacité d’extraire des bribes de vérité des mensonges et des faussetés avec lesquelles on a grandi. »

in Rite de passage.

Rite de Passage d'Alexei Panshin (Prix Nebula 1968) Hélios n° 52 - Avril 2016

Rite de Passage d'Alexei Panshin (Prix Nebula 1968) Hélios n° 52 - Avril 2016

C'est curieux de constater que cette déclaration ait échappé aux critiques quand Rite de passage, d'Alexei Panshin, est paru au début des années 1970. Elles sont pourtant la déclaration d'intention enfin dévoilée du roman qui s'achève, et que son auteur voulait exposer en écrivant cette histoire de science-fiction à première vue classique : la vie d'une micro-société humaine dans un énorme vaisseau spatial. Cependant, son récit n'était pas une énième description de la vie spatiale après la disparition de la Terre, mais l'examen d'un échantillon humain comme un micro-organisme placé dans des conditions précises, celui d'une très jeune fille qui subit la transformation de l'enfant à l'âge adulte.

Le choix d'une héroïne de douze ans aurait déjà dû surprendre les chroniqueurs, peut-être leur mettre la puce à l'oreille, en leur chuchotant qu'il était étonnant qu'un auteur s'empare d'un personnage aussi peu représentatif de son futur lectorat, que ce soit chez les anciens de l'âge d'or ou parmi les nouveaux auteurs. Bien sûr, il y avait eu Podkayne fille de Mars*, une quasi-pochade juvénile par ailleurs amusante comme peut l'être une aventure de space opera mais réactionnaire dans l'esprit, écrite en 1963 par Heinlein, cependant, ce roman n'est publié en France que l'année suivant la parution de Rite de passage, en 1974. En tout état de cause, du point de vue du lecteur français, il ne pouvait être établi de parallèle entre les deux romans, alors, pourquoi l'avoir perçu soit comme une copie sans intérêt de romans précédents qui mettaient en scène des vaisseaux gigantesques, soit comme un juvénile, sans grand intérêt encore de par sa fadeur supposée pour un lectorat adulte ? Mystère. Ou peut-être un balayage un peu désinvolte de ce récit qui semblait écrit pour la jeunesse, un brin de mépris condescendant, à cause de l'expression faussement simpliste quand celle-ci tente d'incarner une enfant éduquée en conformité à une société particulière, et réussit son coup, d'après moi. Une désinvolture qui manque, et même comprend à contresens, l'objectif d'Alexei Panshin, en focalisant sur les conditions sociales, l'environnement et les expériences de l'héroïne sans s'intéresser au personnage lui-même : Mia est le sujet de Rite de Passage.

Une fois que ce postulat rare en science-fiction est bien ancré dans l'esprit, le lecteur qu'il soit jeune ou âgé plonge alors dans l'histoire d'une petite fille qui devient adulte, c'est-à-dire une citoyenne qui va penser et agir au cœur de sa société. Celle de Mia est réduite aux dimensions d'un vaisseau spatial. Un univers quotidien limité mais plus vaste qu'il n'y paraît : de la taille d'un astéroïde dans lequel il est façonné d'abord ; puis nomade, il est capable de mener sa population d'une planète à l'autre. S'il est d'une taille infinitésimale dans le cosmos, – peut-être celle de la principauté de Monaco, par exemple –, son origine remonte à la destruction de la Terre quand il a transporté les derniers humains pour les déposer sur des terres souvent hostiles avec pour seul avenir de les coloniser. Après avoir assuré cette colonisation depuis notre planète, quand elle disparaît et que leurs passagers ont été débarqués, les équipages scientifiques de ces vaisseaux particuliers (il en existe plusieurs mais ils seront seulement mentionnés) se sont donné le rôle de gardiens de la civilisation mère. Ils entretiennent les savoirs, les technologies et les cultures dans une nouvelle société non agressive et égalitaire, soumise à l'approbation directe de chaque citoyen, dépourvue de sexisme, de racisme et de pouvoir imposé. Idyllique ? Oui et non, elle est surtout viable et agréable à vivre en acceptant comme allant de soi les conditions. Car il y a l’Épreuve, celle que passe tout enfant, sans passe-droit, à laquelle il est préparé durant deux années, s'il le désire : la notion de choix personnel est primordiale dans cette société, mais bien sot l'enfant qui ne comprend pas que l'entraînement est indispensable.

Cette épreuve est mortelle, tous ne reviendront pas du mois pendant lequel ils vont séjourner sur l'une des planètes colonisées, seuls et équipés du stricte minimum. Les pièges et les ennemis qui les attendent ne sont pas uniquement la nature, qui leur est inconnue, ni seulement les animaux prédateurs, mais aussi les colons, ces colons que les grands vaisseaux maintiennent dans l'ignorance pour leur bien. Et peut-être pour d'autres raisons qui ne font pas l'unanimité chez les nomades de l'espace.

Fille de l'administrateur le plus important de ce pays minuscule, la condition de Mia lui permet de jouir de quelques privilèges qui ne sont pourtant pas ceux du confort ou de l'exception. Sa vie est la même que celles de tous les autres enfants de son âge, et ses avantages sont autant d'inconvénients. Toutefois, par l'intermédiaire de la figure tutélaire de son père, elle est en prise directe avec l'organisation sociale qu'il dirige, avec ses idées et sa personnalité plus forte encore que celles ordinairement requises par les fonctions paternelles. Mia l'admire et lui voue la confiance attendue qui la conduit à adopter les opinions d'un ordre filial. L'emménagement dans un nouveau quartier, à l'étage supérieur et néanmoins plus populaire, pour la rapprocher d'un enseignement auquel tient curieusement son père, la rencontre d'autres enfants en passe d'adolescence, l'entraînement, la découverte des planètes et de leurs habitants et celle plus directe des transformations hormonales conduisent Mia dans sa métamorphose et, au-delà de l'aspect purement fictionnel ou science-fictionnel, ses aventures souvent cruelles et ses réflexions empreintes d'une naïveté ou plutôt de la fraîcheur de son esprit la mènent à endurer les déchirures et les ruptures avec ce qu'elle a cru depuis l'enfance. Et comme beaucoup d'enfants, l'acceptation d'être en contradiction avec leurs parents ou leur éducation ; Alexei Panshin semble penser que la maturité survient lorsque la pensée n'envisage plus le libre-arbitre comme une trahison de l'enfance.

Rite de passage n'est pas un roman révélateur oublié injustement. Méjugé, sûrement, l'histoire de Mia, écrite à la première personne du singulier, et un parcours initiatique touchant, parfois féroce et d'autres fois doux, ou encore exaltant. La fillette est campée sans mièvrerie mais sans héroïsme non plus, c'est une petite personne tour à tour volontaire, décidée et péremptoire ou bien en proie aux doutes, injuste et malheureuse. Une personne attachante et intéressante qu'on prend grand plaisir à suivre jusqu'à ce qu'elle devienne adulte, qu'on le soit déjà soi-même ou pas encore (et on pourrait ajouter que cela n'a pas grand-chose à voir avec l'âge des artères).

 

 

 

 

* Précisons que la traduction française de Podkayne, fille de Mars reprendra la fin alternative appliquée par certains éditeurs des USA, plus mièvre que l'issue tragique qu'avait écrite à l'origine Heinlein. Précisons également que Panshin souffrit plus fortement, et c'est presque cocasse, de sa défense de la littérature militariste d'Heinlein dans les années 1960 que l'auteur en cause, ceci expliquant peut-être l'accueil frais qui lui fut fait en France.

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